L’austérité, un mauvais coup pour les femmes
Par Jérôme Latta
Une étude menée sur plusieurs pays européens montre l’impact négatif des politiques d’austérité sur l’emploi des femmes, mais aussi sur la volonté de réduire les inégalités sexuelles. Pour les auteurs, la période actuelle est celle d’un tournant qui pourrait être ravageur.
En s’appuyant sur les données concernant neuf pays (huit européens [1]), les chercheurs dirigés par l’économiste Jill Rubery de l’université de Manchester [2] ont tâché d’identifier les effets de la récession économique et des politiques d’austérité menées en réponse à celle-ci. L’étude indique que la période 1994-2007 avait permis des progrès significatifs, notamment pour le taux d’emploi des femmes (en particulier des moins qualifiées d’entre elles) et au travers de l’amélioration de la protection sociale – sans toutefois amoindrir d’importantes différences sectorielles entre l’emploi des hommes et celui des femmes. Ce dernier est ainsi plus concentré dans le secteur public, en particulier pour les plus qualifiées, et pour certains pays dans le temps partiel ou les formes d’auto-emploi.
La baisse des dépenses publiques, facteur majeur de dégradation
La récession a d’abord affecté hommes et femmes sans autre distinction que celles liées aux secteurs d’emploi, les jeunes et les hommes immigrés faisant figure à leurs dépens de principales variables d’ajustement. Elle a aussi tendu à réduire les inégalités professionnelles entre hommes et femmes, mais… principalement en raison d’une détérioration de l’emploi des premiers. La diminution du nombre de ménages à deux revenus s’est par ailleurs traduite par l’augmentation de ceux où l’unique salaire est celui de la femme. Mais les conséquences du passage de la récession à l’austérité ont beaucoup plus pénalisé les femmes avec la réduction drastique des dépenses publiques (qui a spécifiquement altéré l’emploi des femmes dans les administrations), l’extension de la flexibilité, le gel des bas salaires ou encore les libertés prises par les employeurs avec les conventions collectives. Pour Jill Rubery, l’emploi public est passé d’un rôle de protection à celui d’un facteur majeur de dégradation au travers des baisses de rémunération et de l’augmentation du temps de travail.
Au-delà des effets économiques, ceux affectant les politiques publiques de réduction des inégalités hommes-femmes ont elles aussi été particulièrement perceptibles dans la plupart des pays étudiés, par exemple avec la suppression du ministère de l’Égalité et le report du congé paternité en Espagne, les coupes franches dans les budgets des organismes dédiés en Irlande et au Royaume-Uni, la suspension des programmes en faveur de l’égalité des sexes au Portugal…
Une aubaine pour les idéologies conservatrices
Globalement, l’austérité, en frappant les populations et les régions les plus pauvres, en réduisant les dépenses sociales (en premier lieu celles concernant les aides aux familles et à l’enfance), aggrave la situation des femmes. Pour les auteurs, si la réduction des inégalités de genre ne s’inverse pas encore, l’Europe et les États-Unis se situent à un tournant critique et à la merci d’évolutions négatives : abandon par l’État de sa fonction positive d’employeur, précarisation des parents isolés, impact sur la natalité.
En définitive, si les inégalités continuent à se réduire, c’est désormais essentiellement à cause de la dégradation de la situation de l’emploi des hommes (chômage et baisse des rémunérations). Celui des femmes est directement menacé par l’austérité et les politiques libérales, tandis que les inégalités entre femmes s’accroissent aussi. Plus grave est la remise en cause de la volonté de lutter activement contre ces inégalités, notamment sous l’impulsion d’idéologies conservatrices qui se sont exprimées avec le Tea Party aux États-Unis, la remise en cause de l’avortement en Espagne ou encore le retour à une politique familiale “traditionnelle” en Hongrie.
L’étude confirme les résultats de deux autres menées récemment, l’une [3] émanant d’experts de la Commission européenne, l’autre [4] du Lobby européen des femmes (LEF). Pour toutes celles-ci, la conclusion est politique : afin de remobiliser autour de la cause et en faire un objectif central, il s’agit inévitablement de trouver des alternatives en faveur d’une croissance plus soutenable et moins inégalitaire, de reconquérir l’État et les services publics, de redonner sa valeur au secteur non marchand – et en premier lieu à la protection sociale…
Jérôme Latta – 5 mars 2014
Notes
[1] Grèce, Espagne, Irlande, Portugal, Hongrie, Royaume-Uni, Italie, Islande plus les Etats-Unis. [2] « Women and Austerity : the economic crisis and the future for gender equality », dirigé par Maria Karamessini and Jill Rubery, éditions Routledge, 368 pages, 2013. [3] http://www.ingenere.it/en/articles/women-crisis-european-report [4] http://www.womenlobby.org/?lang=frrapport téléchargeable en cliquant ci-après : the_price_of_austerity_-_web_edition
Source : http://www.regards.fr/web/l-austerite-un-mauvais-coup-pour,7526