Climat : le rapport du groupe-2 du GIEC
Par Sylvestre Huet
Le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) [1] rend la copie (datée du 31 mars 2014) de son groupe-2 dirigé par Vicente Barros (Université de Buenos Aires) et Chris Field (Carnegie Institution for Science, USA). Ici (2] la liste des auteurs du rapport, classés par chapitre. Un rapport lourd de centaines de pages, et un lapidaire «résumé pour décideurs» qui fait l’objet d’une approbation phrase par phrase cette semaine, lors d’une ultime réunion de travail à Yokohama, au Japon.
Le sujet ? Son titre le dit : «impacts, adaptation et vulnérabilité au changement climatique». Il répond donc à la question climatique telle que l’opinion publique ou les gouvernements se la posent vraiment.
A part les climatologues, qui s’intéresse vraiment aux statistiques du climat futur, aux mécanismes de la mousson ou aux calculs complexes de l’évolution des calottes glacières sur les cent ans qui viennent ? Les interrogations populaires, gouvernementales ou de décideurs économiques sont autres. Est-ce grave ? Pour qui, quand, où ? Cela vaut-il vraiment le coup de rationner notre consommation de pétrole, de gaz et de charbon ? Les autres causes de transformation de l’environnement —pollutions, acroissement démographique, agriculture, pêche, coupe de bois, extension des villes, commerce mondialisé… -ne sont-elles pas plus importantes que le changement climatique ? Peut-on faire quelque chose ou se résigner à subir ?
Politologues et psychologues
C’est à ces questions concrètes que répond le groupe-2 du Giec. Dans la suite logique du travail du groupe-1, qui traite de la physique du climat et de son évolution sous l’effet de nos émissions massives de gaz à effet de serre. Et avant le groupe-3, dont le rapport sera publié en avril, qui envisage des moyens de limiter ces émissions afin d’atténuer l’ampleur future, durant la seconde moitié du siècle, du changement climatique en cours.
Le groupe-2, explique le climatologue Hervé le Treut (Cnrs, laboratoire de météorologie dynamique), l’un des deux réviseurs du chapitre introductif, se distingue fortement du groupe-1. Ce dernier rassemble des scientifiques des géosciences et privilégie un regard global sur la planète. Le groupe-2, explique t-il fait appel à «une culture différente, très multidisciplinaire et problématisante, avec un enracinement dans des territoires ou des milieux déterminés.»
L’éventail des spécialités mobilisées parmi les 309 auteurs de 70 pays est en effet très large. Certes, on relève des géographes, des biologistes, des économistes… mais également des sociologues, des politologues et des psychologues. Il ne s’agit pas seulement d’estimer l’évolution de stocks de poissons, de la fréquence d’inondations fluviales, de calculer les étendues de terres menacées de submersion marine, ou l’effet sur les débits des cours d’eau, la production d’électricité ou la capacité à irriguer l’agriculture des changements climatiques. Le rapport traite aussi de la prise de décisions en situations incertaine, de la résilience d’organisations sociales bousculées par un climat en évolution rapide, ou de «l’équité du développement durable».
Le coût des morts
Evaluer les risques du changement climatique, les hiérarchiser, examiner comment les réduire relève désormais, estime le Treut «d’une science de l’adaptation qui émerge petit à petit» de milliers de travaux scientifiques dont le rapport présente une synthèse critique. Une science qui ne «fonctionne pas par chiffres symboliques», souligne le climatologue, et spectaculaires, jetés en patûre aux médias simplificateurs ou aux militants. «Ce n’est pas facile pour les journalistes», s’amuse le chercheur «très sceptique» sur la possibilité de chiffrer en dollars ou en euros —l’outil favori des économistes avec le Produit intérieur brut— les conséquences du changement climatique. «Peut-on donner une valeur monétaire aux morts ?», interroge t-il.
Opportunités
Depuis le dernier rapport du Giec, en 2007, l’éventail et le volume des recherches conduites sur les conséquences du changement climatique a considérablement évolué. Il y a dix ans, les chercheurs en économie, écologie, santé publique et épidémiologie, urbanisme, géographie, droit ou sciences politiques qui placent leurs travaux dans le cadre de la problématique du changement climatique étaient plutôt marginaux dans leurs disciplines. Ils sont désormais nombreux et ont gagné pignon sur rue dans les programmes universitaires et des organismes de recherche.
Ces études ont permis de sortir d’approches simplistes qui ont fait du tort aux premiers rapports du groupe-2 du Giec. Ainsi, si les risques de santé publique (épidémie due aux insectes vecteurs tropicaux, vagues de chaleur urbaines) sont mieux documentés, l’accent est mis sur le rôle décisif des politiques et des infrastructures de santé, de la disponibilité de l’eau potable.
Dans un autre domaine, celui des extinctions d’espèces, même approche plus nuancée. Certes, les changements clmatiques vont mettre à dure épreuve celles qui ne peuvent migrer, mais les autres atteintes anthropiques à l’environnement, comme la pollution des cours d’eau, auront un rôle autant, voire plus important.
Le vocabulaire même évolue, dans le souçi d’éviter l’accusation d’alarmisme et de catastrophisme. Ainsi, les adaptations indispensables aux changements dont une part est inéluctable en raison de l’inertie de la machinerie climatique de la planète sont présentés comme des «opportunités». Un terme positif dans la sémantique politique.
Pour autant, nul retrait de l’alerte lancée. La submersion de territoires occupés par des centaines de millions de personnes —bien au delà du sort symbolique de quelques îles basses qui disparaîtront— est une menace confirmée. Voire amplifiée par les études récentes sur le niveau marin. La compétition pour l’accès à l’eau risque de devenir violente entre groupes sociaux et pays dans certaines régions comme le sud de la Méditerrannée. Le graphique ci-dessous est tiré d’une étude parue dans Science en 2009 qui traite du risque d’étés plus chauds que les records actuels. Il montre que des étés comme ceux de 2003 en France ou 2010 en Russie vont se multiplier. Or, ils se sont traduits, entre autres, par des chutes brutales de la production céréalière.
Risques d’étés plus chauds en 2040-2060 que les records actuels
Régions
Ces travaux se sont de plus en plus régionalisés. Hervé le Treut en a fait l’expérience en coordonnant un travail collectif d’envergure sur la région Aquitaine. «J’ai pu mobiliser pour ce travail plus de 100 leaders scientifiques au Cnrs, dans les Universités, à l’Institut national de recherche agronomique à l’Ifremer (recherche marines)…» Presque surpris du succès, il a pu remettre aux commanditaires, les élus du Conseil Régional, une étude détaillée ([3] téléchargeable en pdf) montrant de manière concrète les différences entre un changement climatique limité à une évolution de 2°C des températures (en moyenne planétaire annuelle) et celles d’un bouleversement lié à une élévation de 4°C, qui peut provoquer l’effondrement de chaînes trophiques et écologiques. Déjà, des collectivités territoriales peuvent s’appuyer sur ces travaux pour prendre des décisions stratégiques. Comme le recul anticipé devant la montée du niveau marin. Ou des politiques agricoles adaptées aux évolutions des ressources en eaux.
Sans anticiper sur les formulations du résumé pour décideurs qui est publié ce matin, Hervé Le Treut en livre le message principal: «Comment allons nous pouvoir vivre ensemble, en paix, sur une planète transformée par le changement climatique ? Cette question est explorée dans ce texte avec une précision et une acuité beaucoup plus grandes que dans les premiers rapports du Giec. Et les réponses plaident pour une réduction très forte des émissions de GES, afin d’atténuer ce changement. Et simultanément pour des politiques d’adaptation, à lancer dès maintenant.»
Sylvestre Huet – 31 mars 2014
Notes :
[1] http://www.ipcc.ch/home_languages_main_french.shtml [2] http://www.ipcc-wg2.gov/AR5-tools/AR5_authors.php [3] http://sciences.blogs.liberation.fr/files/livre-climat-aquitaine-25-07-13.pdfSource : http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2014/03/climat-le-rapport-du-groupe-2-du-giec.html