Quand l’éolien devient citoyen
Par Elodie Troadec
Le premier parc éolien citoyen de France sera inauguré en juin dans le Pays de Redon, en Bretagne. Grâce à l’acharnement de ses initiateurs et au financement de plus de mille habitants de la région.
« Nous aurions dû être découragés, nous n’aurions pas dû réussir. Les gens sont vraiment étonnés que ce projet ait fonctionné. » Jean-Christophe Chaurin, la soixantaine, est l’un des initiateurs du projet de parc éolien collectif de Béganne, dans le Morbihan, le premier construit par des citoyens en France. Bien loin de l’Allemagne, où près des deux tiers des éoliennes ont été financées par des particuliers en 2008. Jean-Christophe Chaurin est aussi l’un des trois directeurs généraux de la société par actions simplifiée (SAS) Bégawatts, qui gère ce parc et compte plus de mille particuliers parmi ses actionnaires.
Tout commence en 2003. Un couple d’agriculteurs veut construire une éolienne individuelle. Mais au moment de passer à l’action, les démarches à effectuer s’avèrent trop lourdes. « Avec une bande de copains, on a alors pensé que ce serait plus simple de travailler collectivement. On a décidé de monter un projet industriel de parc éolien. Quitte à faire dans le complexe, autant faire dans le très complexe ! », plaisante Jean-Christophe Chaurin.
Une idée domine la vision de ces amis : la gouvernance du parc éolien doit être citoyenne. Par conséquent, son financement doit lui aussi être assuré par les habitants de la région. L’association Eoliennes en Pays de Vilaine est créée pour développer le projet. Au final, il est décidé que le parc sera composé de quatre éoliennes, capables de produire 20 millions de kilowattheures (kWh) par an, soit l’énergie nécessaire pour couvrir les besoins, hors chauffage, des 15 000 habitants du canton d’Allaire, qui entoure Béganne.
Mais un tel projet requiert de grands terrains, qui plus est éloignés des habitations. Deux ans de recherches et plusieurs échecs seront nécessaires avant de finalement trouver le site qui convient. C’est à Béganne, sur un terrain d’environ deux kilomètres carrés, que sera bâti le parc. Située près de Redon, en Bretagne, cette commune de 1 500 habitants accepte tout de suite d’accueillir les quatre éoliennes. Le permis de construire validé, les initiateurs du projet se lancent alors dans la recherche d’investisseurs.
Une mobilisation citoyenne
« Nous n’avons même pas eu à démarcher les citoyens. Quand le moment est venu de trouver des fonds, ce sont eux qui sont venus à nous. Ça s’est fait par le bouche à oreille » se rappelle Florence Lecordier, membre d’Eoliennes en Pays de Vilaine. Au total, ils sont près de mille, pour la plupart habitant le Pays de Redon ou la Bretagne, à répondre à l’appel. Chacun d’entre eux a apporté en moyenne 1 700 euros au capital de Bégawatts, la structure qui gère et exploite le site éolien. La trentaine de bénévoles à l’origine du projet, comme Jean-Christophe Chaurin et Eoliennes en Pays de Vilaine, qui a investi à hauteur de 50 000 euros, conservent une minorité de blocage qui leur permet de garantir le respect de l’objectif fixé initialement.
La plupart de ces personnes sont passées par des clubs d’investisseurs pour une gestion alternative et locale de l’épargne solidaire (Cigales) pour apporter leur capital. Une structure que certains proches du projet, comme Jean-Christophe Chaurin, connaissaient déjà depuis les années 1980. Au total, les 53 Cigales ont 31 % des voix dans la société Bégawatts. D’autres ont préféré investir par l’intermédiaire d’Energie Partagée Investissement, une structure nationale dédiée aux projets citoyens de production d’énergies renouvelables, créée en 2010 par Enercoop, la Nef et Hespul. Au final, « les retombées de ce projet sont positives, non seulement d’un point de vue économique et écologique, mais également par la création de lien social, conclut Florence Lecordier. Ce parc éolien donne du sens à l’argent des habitants, car leur investissement sert à faire vivre le territoire. Il y a une réalisation concrète, même si tout cela a mis dix ans à aboutir. »
Résidente de Bains-sur-Oust, près de Redon, Roselyne Guihard, responsable de la Cigale Audace, fait partie de celles et ceux qui ont cru en cette expérience : « J’ai investi 3 000 euros dans le parc éolien, soit mille euros pour chacun de mes enfants. Après tout, c’est pour leur avenir qu’on s’engage… » Roselyne s’est rapidement beaucoup impliquée dans Bégawatts. Elle a sollicité voisins, amis et famille pour qu’ils participent au financement du projet. « Tout le monde n’investit pas pour le même motif, explique-t-elle. Certains parce qu’ils croient en l’éolien ou parce qu’ils sont hostiles au nucléaire ; d’autres parce qu’ils voulaient placer leur argent dans un projet utile pour le territoire ; d’autres encore pour gagner un peu d’argent. Toutefois, cette dernière motivation n’est pas la plus forte, car c’était un projet risqué. »
Une construction laborieuse
L’investissement citoyen n’était cependant pas suffisant pour rassembler le capital nécessaire. Il a fallu trouver d’autres soutiens en complément : 300 000 euros ont été apportés par Eilan, un fonds d’investissement porté par la région Bretagne qui aide à financer les projets de production d’énergies renouvelables. Des structures de l’économie sociale et solidaire ont également pris des parts dans la société, comme la Biocoop « Le héron bleu » ou le Ciné Manivel, cinéma associatif de Redon. Les banques, en revanche, se sont montrées réticentes à financer le projet : « Elles ne nous ont pas pris au sérieux. Elles n’ont pas l’habitude de travailler avec un collectif, explique Florence Lecordier. Paradoxalement, alors que les citoyens apportent pourtant une garantie éthique et morale dans la gestion du parc, elles préfèrent travailler avec un unique et gros investisseur. »
Une fois la somme initiale réunie, la mise en oeuvre est cependant restée lente et compliquée. Trouver le statut juridique qui convient a été un véritable casse-tête. C’est finalement une société par actions simplifiée (SAS) qui a été retenue, une forme juridique souple qui permet notamment d’avoir une représentation au conseil d’administration qui ne reflète pas strictement le capital investi. Ce qui explique pourquoi les membres fondateurs détiennent 35 % des voix, bien qu’ils n’aient apporté que 15 % du capital. « Nous étions un peu naïfs au début, sourit Jean-Christophe Chaurin. On a dû apprendre, se professionnaliser, intégrer de nouvelles compétences. Mais nous n’avons jamais douté, même si nous avions quand même un plan B, au cas où. Nous avons toujours fait les choses avec sérieux, car nous ne voulions pas décevoir ceux qui nous avaient suivis. »
Dix ans après le lancement du projet, le parc est enfin en voie d’achèvement. Les éoliennes doivent être testées en avril et l’énergie produite sera vendue dès juillet à EDF. L’association a signé avec l’entreprise un contrat d’achat garanti sur quinze ans, s’assurant ainsi 1,6 million d’euros de chiffre d’affaires par an environ : les 20 millions de kWh produits chaque année par les éoliennes seront en effet rachetés au prix de 8,2 centimes d’euro le kWh.
Une partie des bénéfices qui devraient en être tirés sera allouée à un poste d’animateur autour de la maîtrise énergétique et la sensibilisation aux énergies renouvelables. Le reste sera distribué aux actionnaires citoyens, qui espèrent un retour sur investissement de l’ordre de 4 % par an. « Si le projet a aussi bien fonctionné, c’est parce qu’il existe une confiance entre les citoyens et Bégawatts, estime Jean-Christophe Chaurin. Le Pays de Redon est plutôt pauvre, mais il y a ici une véritable conscience du territoire, une dynamique locale. Si un pays comme le nôtre peut financer un tel projet, imaginez ce que peut faire un territoire bien plus riche ! »
Elodie Troadec
Le Prix de l’information économique en Bretagne
Cet article a reçu le Prix de l’information économique en Bretagne, coorganisé par Alternatives Economiques, Ouest France, Les champs libres de Rennes et l’Apses-Bretagne. Le deuxième prix de ce concours a, quant à lui, été décerné à Elisabeth Denys et Thomas Clerget pour leur article « L’aide alimentaire en mutation ». Les trois étudiants primés dans le cadre de ce concours sont élèves de l’Institut d’études politiques (IEP) de Rennes.
En savoir plus
• Portail de l’Eolien citoyen : www.eolien-citoyen.fr, où l’on peut suivre les étapes du chantier éolien citoyen de Béganne.
• Les cigales : www.cigales.asso.fr
• Energie partagée : www.energie-partagee.org
Source : publié dans le mensuel Alternatives Economiques n° 334 – avril 2014, en kiosque (4,30 €). Commande et abonnement sur internet : http://www.alternatives-economiques.fr/boutique
Plus d’infos sur le numéro 334 : http://www.alternatives-economiques.fr/industrie—cette-france-qui-gagne_fr_pub_1293.html