Jean XXIII : le saint inattendu
Par Bill Huebsch
Angelo Roncalli était vraiment un homme très commun. Ses dons et ses faiblesses sont celles que vous ou moi pourrions posséder. Il réussit bien à l’école, mais sans être une star. Il ne possédait pas de grandes maisons, n’avait pas un physique sensationnel. Il n’était pas l’un des plus grands musiciens du monde ; il n’était pas l’un des théologiens de premier plan de son temps ; et il a toujours eu du mal à garder son poids sous contrôle. Sa vision du monde lui venait de son éducation au sein d’une famille nombreuse paysanne catholique, laborieuse mais très moyenne. Il semble l’un de nous, n’est-ce pas ? Et pourtant, il est un saint. Qu’est-ce que cela signifie dans sa vie et dans la nôtre ?
En 1907, il a donné une conférence au séminaire de son diocèse de Bergame, dans le nord de l’Italie. Dans ce document, il a donné une description prophétique de ce que cela signifie d’être un saint. Nous avons tendance, a-t-il dit dans ce discours, à faire les saints plus grands que nature, plus comme des personnages de film ou de roman que comme nos voisins dans la rue. La sainteté disait-il, résulte en fait à apprendre l’art de l’amour qui se donne. Elle découle de la mort à soi, de savoir rire de ses propres faiblesses et supporter humblement les faiblesses des autres. Les saints ne sont pas tant des superstars de la sainteté que d’humbles pécheurs, prêts à permettre à Dieu de les aimer comme ils sont.
Cette façon de mourir à soi, d’avoir une telle confiance en un Dieu d’amour et d’avoir une vie souriante est ce qui fait un saint de cette personne ordinaire. Nous pouvons faire la même chose nous-mêmes.
Le pape Jean XXIII est donc vraiment un saint inattendu. Ses journaux révèlent un homme qui admirait grandement les saints, mais aussi qui serait surpris d’apprendre que cet honneur lui a été fait. Nous apprenons dans ses journaux qu’il n’a jamais senti qu’il était tout à fait assez saint ; il a estimé qu’il n’était pas tout à fait à la hauteur de sa foi. Dans ses écrits, nous rencontrons un homme d’une grande humilité, ravi de la façon dont les gens l’aimaient et surpris d’avoir été choisi pour la papauté.
Quand il a remis ces journaux manuscrits et ces carnets froissés à son fidèle secrétaire, Mgr. Loris Capovilla, le pape Jean lui confia : « Mon âme est dans ces pages. J’étais un bon garçon, innocent, un peu timide. Je voulais aimer Dieu à tout prix et je n’ai pensé à rien d’autre que de devenir un prêtre au service des âmes simples qui ont besoin de soins patients et diligents ».
Son humilité lui a permis d’accepter que Dieu le conduise dans sa vie. Se laisser conduire par Dieu est aussi un élément majeur de sa sainteté. L’idée de convoquer le Concile Vatican II, par exemple, est lui est venue, dit-il, « comme un éclair de lumière céleste ». L’idée a émergé dans la prière et il a fait confiance.
Il a senti que Dieu lui demandait de conduire l’Eglise vers une plus grande unité globale, et c’est dans cet esprit qu’il a invité les dirigeants des églises anglicane, protestantes et orthodoxes. Ils sont venus parce qu’ils ont senti l’amour avec lequel ils avaient été invités. Parmi le plus émouvantes de ses premières rencontres avec les non-catholiques, citons la façon dont il a accueilli à bras ouverts un groupe de Juifs, en leur disant : « Je suis Joseph, votre frère ». (Malheureusement, signe de ces temps, il n’y avait pas de « sœurs » parmi ces invités, et il a fallu attendre un coup de coude supplémentaire de l’Esprit Saint pour que des femmes catholiques soient finalement invitées au Concile en Septembre 1964.)
Vatican II a été pour lui une réponse à l’appel de Dieu le poussant à réformer et mettre à jour l’Eglise, et à entraîner tous les chrétiens vers une plus grande unité pour le bien de l’humanité et la paix mondiale. Comme les apôtres, à la veille de la Pentecôte, il s’attendait à ce que se déroule quelque chose d’important. Il ne savait pas que le Saint-Esprit allait balayer dans l’Eglise avec une telle force.
Vatican II, sous sa houlette, a été un rassemblement dans la basilique Saint-Pierre de tous les évêques catholiques du monde, mais ce fut aussi un rassemblement quotidien de dizaines de milliers de religieux et de religieuses, de laïcs et de visiteurs sur la place Saint-Pierre devant la basilique. Les évêques n’ont pas agi seuls ; eux aussi, ont été mus par l’Esprit qui travaillait à la fois en Jean et dans les foules.
Au centre de tout cela se tenait, paisible et tranquille, l’aimable et humble Jean. C’était un homme au grand cœur et un homme de Dieu, qui avait gagné la confiance et l’affection des gens de partout. Et pourquoi ? Parce que quand les gens le rencontraient, ils rencontraient son cœur aimant. Ses yeux brillaient de bonheur, son attention ne quittait jamais son visiteur, et de ses lèvres ne sortaient que paroles positives et affection.
Il a dit une fois à un évêque en visite que ses bras étaient ouverts, comme ceux du Christ l’avaient été sur la croix, pour embrasser tout le monde – tout le monde – avec amour. Si vous étiez un employé du Vatican sous-payé, le pape lui-même prenait votre parti. Si vous étiez à l’extérieur de l’Eglise, il vous rappelait combien l’Eglise vous aime. Si vous étiez un non-croyant, il vous offrait son amitié.
Tel était Jean XXIII. Il était celui qui a cherché ce qui nous unit et non ce qui nous divise. Il estimait que cela conduirait à la paix. C’était un prêtre, oui, mais d’abord il était un être humain, lui-même sur le chemin de la foi.
Il était capable de donner un mot de réconfort à tous, sans un soupçon de conscience de soi. Une fois, le jour de la fête de Noël à Saint-Pierre, il a dit au monde entier que son cœur était « plein de tendresse » en nous donnant ses vœux de Noël. Je voudrais, disait-il, être en mesure « de m’attarder sur les tables des pauvres, dans les usines, dans les lieux d’étude et de la science, à proximité des lits des malades et des personnes âgées, dans tous les lieux où [les gens] prient et souffrent, travaillent pour leurs besoins et pour les autres. »
Je voudrais, poursuivit-il, placer mes mains sur la tête des petits enfants, regarder les jeunes dans les yeux, encourager les mères et les pères dans leurs tâches quotidiennes. Pour tout le monde, je tiens à répéter le message de l’ange : « Voici, je vous annonce une grande joie : un sauveur vous est né. »
Avec ces simples mots, il catéchisait le monde sur la fête de Noël. Il nous a permis de croire que le Christ nous aime et que nous sommes appelés à l’aimer et à nous aimer mutuellement. Jean a percé le bavardage du monde et les gens ont entendu dans son message un appel adressé au meilleur d’eux-mêmes.
Je comprends qu’il faut fournir la preuve de plusieurs miracles pour qu’une personne soit canonisée. Il suffit de considérer l’influence de Saint Jean XXIII et de Vatican II sur le monde et l’Eglise d’aujourd’hui : des centaines de milliers de ministres laïcs dans le monde entier ; des personnes réellement en prière pendant la messe plutôt que simplement présentes ; le travail pour la justice mise sur un pied d’égalité avec l’enseignement de la religion ; la dignité humaine au centre du témoignage de l’Eglise ; des relations chaleureuses entre chrétiens et juifs ; l’harmonie et le dialogue entre les confessions chrétiennes ; et une nouvelle vigueur dans la foi chrétienne comme celle dans laquelle nous entrons maintenant sous la direction du pape François. Miracles, en effet !
Sa mort en 1963 a eu un impact fort sur les gens partout dans le monde, croyants et non-croyants. Partout dans le monde, tout le monde pleurait. Le Patriarche Alexis de l’Eglise orthodoxe russe a appelé son peuple à la prière. Le rabbin de la synagogue sépharade de Paris a présenté une prière pour l’intention de Jean dans l’office du sabbat. Les prisonniers de la prison Regina Coeli de Rome, qu’il il avait visitée lors de son premier Noël au Vatican, ont envoyé à Jean ce message : « Avec un amour immense, nous sommes près de vous. »
Peut-être que cela dit tout.
Bill Huebsch
Traduction française de Lucienne Gouguenheim
Bill Huebsch est l’auteur de « La sagesse spirituelle de Saint Jean XXIII », ouvrage publié en anglais, en février 2014 : « The spiritual wisdom of Saint John XIII », Twenty Third Editions, 112 pages.
Source : publié dans National Catholic Reporter (NCR) le 24 avril 2014 à :
http://ncronline.org/news/vatican/john-xxiii-accidental-saint
Illustration : couverture de l’ouvrage cité.