Michel Warschawski : Après l’échec de Kerry, l’heure est au boycott
La société civile doit se mobiliser pour pallier l’incapacité de la communauté internationale à imposer à Israël le respect du droit.
Par Michel Warschawski
Pendant quelques jours, j’y ai cru. Sinon, comment expliquer l’obstination du secrétaire d’État américain, John Kerry, et sa bonne dizaine d’allers-retours entre Washington et Tel-Aviv ? Tout semblait cette fois indiquer que l’administration américaine avait vraiment l’intention de faire bouger les choses au Proche-Orient. Et de désembourber les négociations entre Israéliens et Palestiniens. Faire bouger les choses, à savoir mettre toute la pression nécessaire sur un gouvernement israélien qui refuse même de geler provisoirement la colonisation en Cisjordanie. Quant à la décolonisation, on a carrément cessé d’en parler ! Le discours du Caire, tenu il y a maintenant cinq ans par le président Obama, n’était donc pas un leurre ? Combien de fois, au cours des quarante-cinq dernières années, a-t-on cru – ou, en tout cas, a-t-on voulu nous faire croire – que, cette fois-ci, c’était la bonne : plan Rogers (1969), plan Jarring (1971), Camp David I (1978), Wye Plantation (1998), Camp David II (2000), Taba (2001) ? Et j’en passe. Mais, à chaque fois, les gouvernements israéliens, qu’ils soient d’extrême droite ou de centre gauche, ont trouvé le moyen de se dérober, soit parce que le Grand Israël est leur idéologie et leur politique, soit parce qu’ils craignaient une fracture dans la société israélienne : « On veut, mais on ne peut pas. »
Si le secrétaire d’État américain a fait tant d’efforts, alors que siège à Tel-Aviv le gouvernement le plus fanatiquement de droite qu’Israël ait jamais connu, c’est donc qu’Obama avait décidé de se lancer dans une partie de bras de fer avec le trio Nétanyahou, Yaalon, Bennett [1]. Comme une revanche au camouflet subi après le discours du Caire, mais, surtout, une réponse indispensable pour la puissance états-unienne aux bouleversements que vit le Moyen-Orient et à la présence nouvelle et agressive d’autres États de poids dans cette région, particulièrement la Russie et la Chine. Pourtant, le gouvernement israélien a, une fois de plus, osé dire non à son allié stratégique, et Kerry revient à Washington bredouille. La méthode utilisée par Nétanyahou n’a pas été élégante : il a tout simplement exigé de Mahmoud Abbas qu’il reconnaisse non pas l’État d’Israël en lui-même – chose faite par Yasser Arafat dès 1993 –, mais comme « État du peuple juif ». Revendication inédite dans l’histoire de la diplomatie internationale, et totalement anti-démocratique, la définition de la nature d’un État étant le privilège du seul souverain de cet État, en l’occurrence les citoyens israéliens.
Nétanyahou savait pertinemment que Mahmoud Abbas ne pouvait accepter cette condition, et que le plan Kerry allait donc rejoindre dans les poubelles de l’histoire toutes les autres initiatives de paix. Pour être sûres du résultat, les autorités israéliennes annonçaient en outre la construction de plusieurs centaines de nouveaux immeubles dans les colonies de Cisjordanie et de Jérusalem. Mission accomplie ! Le droit international n’a décidément aucun impact sur les dirigeants israéliens, les résolutions de l’ONU pas davantage. Les conseils des plus proches amis de l’État hébreu se heurtent à une fin de non-recevoir et leurs intérêts stratégiques sont ignorés par Nétanyahou et ses ministres. Quant aux accords signés par les gouvernements précédents, ils sont foulés aux pieds. Que reste-t-il alors pour faire lâcher prise à l’État voyou israélien et imposer les droits du peuple palestinien ? La réponse à cette question se décline en trois lettres : BDS. Lancée par la société civile palestinienne il y aura bientôt dix ans, la campagne internationale « Boycott-Désinvestissement-Sanctions » est venue pallier l’absence de volonté de la communauté internationale de prendre les mesures nécessaires pour imposer à Israël le respect du droit international dans ses relations avec le peuple palestinien. Inspirée par l’exemple sud-africain, cette initiative a pour objectif d’imposer des sanctions internationales, politiques, économiques et culturelles à Israël, tant que ce dernier refusera de se soumettre aux règles du droit international qui prévalent. Et cela en exerçant des pressions sur les décisionnaires politiques et en menant des actions de boycott citoyen. Au cours de l’année passée, la campagne BDS a fait un bond qualitatif. Les actions militantes et citoyennes ont été relayées par d’importantes sociétés ou institutions (la plus grande banque danoise, le second fonds de pension néerlandais, la compagnie des eaux néerlandaise, etc.) et des organisations de masse, comme l’American Studies Association.
Selon des sources proches de la Maison Blanche, face à la politique systématique de refus israélienne, Barack Obama aurait décidé de se désengager du processus de paix au Proche-Orient et de concentrer l’essentiel de sa politique étrangère en Extrême-Orient. Les illusions partagées par certains dirigeants palestiniens sur d’éventuelles pressions américaines vont donc devoir faire place a une nouvelle réflexion stratégique de leur part. Mais il y a urgence. D’où l’importance d’une forte pression citoyenne. Laquelle doit avoir pour objectif de faire bouger les instances internationales et de les pousser à user des sanctions que leur autorise le droit international pour que – enfin – justice soit faite au peuple palestinien.
Michel Warschawski – 24 avril 2014
Michel Warschawski est militant anticolonialiste israélien, cofondateur et président du Centre d’informations alternatives de Jérusalem.
[1] Benyamin Nétanyahou est Premier ministre, Moshe Yaalon est ministre de la Défense, et Naftali Bennett, chef de file des colons, est ministre de l’Industrie, du Commerce, de l’Emploi…et des Affaires religieuses.
Source : tribune publiée dans l’hebdomadaire Politis n° 1300 du 24 avril 2014, en kiosques (3,30 €). En ligne (Abonnement, commandes, anciens numéros etc.) à : http://boutique.politis.fr/public/
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