Contre une Europe libérale – Pour une Europe sociale
Par Equipe de Chrétiens en Classe Ouvrière (ECCO Caen)
Même si l’Europe actuelle ne correspond pas à l’attente des peuples qui ont pu s’exprimer (referendum de mai 2005 sur la constitution européenne), il est impensable d’envisager de se replier dans nos frontières. Dans quelques semaines nous allons voter pour élire des députés au Parlement européen pour 5 ans. C’est le résultat des élections européennes qui déterminera les choix des chefs d’Etat et de gouvernement pour proposer au parlement européen un candidat à la présidence de la commission européenne. Le candidat devra ensuite être approuvé par le Parlement européen à la majorité des membres qui le composent (soit 376 députés sur 751). En conséquence plus le taux de participation sera important, plus le rôle du Parlement sera important dans la politique européenne, en particulier, pour définir les directives.
Rappelons quelles sont ces institutions, définies par des traités :
• Le Conseil Européen, constitué de tous les chefs d’états et de gouvernement
• La Commission Européenne dont les membres sont proposés par les gouvernements et approuvés par le Parlement. Elle est à la source des lois et en contrôle le respect par les Etats.
• Autres importantes commissions, au pouvoir indépendant des Etats : la Banque Centrale Européenne (BCE), la Cour de Justice de l’Union Européenne…
• Le Conseil de l’Union Européenne, constitué des ministres compétents des différents Etats, amende et vote les lois européennes.
• Le Parlement Européen amende et vote les lois européennes, sauf dans les domaines où le conseil décide à l’unanimité.
A ces institutions s’est ajoutée la Troïka constituée de représentants de la Commission Européenne, de la Banque centrale européenne (BCE) et du Fonds monétaire international (le FMI).
La politique de l’Union Européenne est décidée par des institutions qui n’ont pas de fonctionnement démocratique, sauf le Parlement avec un pouvoir bien trop limité. Elle régit tous les aspects de la vie des citoyens européens, c’est dire son importance ! Le « lobbying » des entreprises multinationales auprès de la Commission européenne est souvent déterminant pour orienter les décisions à leur avantage ! Le 12 mars 2014, par exemple, il a été décidé que les activités d’exploration et d’extraction des hydrocarbures de schiste seront exemptées d’études d’impact environnemental sous la pression du lobby pétrolier, avec les conséquences que l’on peut imaginer !
Ce que beaucoup d’européens critiquent, ce n’est pas le projet d’une union européenne, mais son orientation libérale qui fait oublier les principes généreux de ses promoteurs ! Alors que les politiques devraient favoriser l’harmonie entre les membres de l’Europe, elle les met au contraire en concurrence.
La politique actuelle est guidée par la rigueur budgétaire et par la mise en place d’un libéralisme outrancier, en appliquant à la lettre le principe de la « concurrence libre et non faussée » contenu dans le traité de Lisbonne. En conséquence, à terme l’objectif est la disparition des services publics. La classe ouvrière européenne (salariés, précaires, chômeurs) subit des plans d’austérité. Ceux qui sont mis en place par la troïka en Grèce, puis en Espagne et au Portugal, sont sévères et injustes. Les États membres sont engagés dans une course vers le moins disant social. Les effets de ce dumping se manifestent de plusieurs façons : le déplacement des usines vers les pays aux salaires nettement moins élevés ou présentant une fiscalité avantageuse, les détachements de main d’œuvre de ces pays vers la France en particulier. Dans chacun des états, la crise crée une opportunité pour renforcer une politique régressive des droits sociaux et exacerbe ce dumping, soutenu par le lobbying des entreprises. Les conséquences en sont un chômage très important dans de nombreux États et un niveau de vie qui diminue dangereusement pour beaucoup. En Europe, la pauvreté augmente. Et ceci est d’autant plus grave qu’aucun des problèmes fondamentaux sous-jacents à la crise de l’Euro n’a été résolu : les crises des banques, de la dette souveraine et de la compétitivité. Les causes de cette situation sont multiples, mais ce qui domine, c’est le manque de volonté pour trouver, ensemble, des solutions pour l’Europe. Chaque Etat voit d’abord ses propres intérêts : la solidarité entre les États membres baisse dangereusement ! Cette politique provoque les salariés à s’opposer entre eux quand l’entreprise où ils travaillent les licencient pour embaucher des salariés d’un pays européen plus pauvre avec des salaires, des conditions de travail et des lois du travail bien inférieures !
C’est dans cet horizon d’austérité que les mouvements anti-européens d’extrême-droite s’engouffrent pour distiller leurs idées racistes et xénophobes. C’est ce que fait le Front National chez nous. C’est un danger mortel pour la démocratie.
Notre choix de vote est important pour imposer des harmonisations qui empêchent les concurrences sociale, fiscale, salariale actuelles.
En ce moment aussi se négocie dans le plus grand secret un accord de libre échange transatlantique UE-Etats-Unis qui donnerait la prédominance du pouvoir aux multinationales sur les Etats. Il ne doit pas voir le jour.
La lutte contre les paradis fiscaux, l’aide aux pays membres pour réaliser la transition énergétique qui devient indispensable et qui est le grand chantier actuel, l’ouverture et la coopération avec les pays de la méditerranée, etc. devraient devenir les objectifs de l’Union.
Concernant la politique migratoire, l’UE ayant une frontière commune, nous estimons que les dépenses relatives à l’accueil et l’intégration des migrants et des demandeurs d’asile devraient être réparties proportionnellement entre les États membres. Le respect des droits de l’homme exige un traitement humain des migrants à leur arrivée. Quant aux ROMS, citoyens européens, ils doivent avoir les mêmes droits que tous les autres quels que soient les Etats où ils sont.
Par manque d’information, nous avons beaucoup de difficultés à comprendre ce qui se passe dans les différents États et les prises de positions de leurs gouvernements au Conseil Européen. A cela s’ajoute le fait que les députés au Parlement Européen ne font que peu de compte-rendus de mandat. Les élus et les médias en sont responsables. Ce sont des conditions qui atténuent le sentiment d’être européen. Et cela influe sur la motivation pour participer au vote. La construction de l’Europe doit redevenir notre affaire ! Nous ne pouvons pas tolérer que dans l’UE, l’un des continents les plus riches au monde, l’inquiétude pour vivre ou survivre soit le lot de tant de gens. Pour nous, le message évangélique s’adresse à tous. Il est un appel pressant pour remettre debout les femmes et les hommes de tous âges qui sont victimes de décisions prises au niveau des institutions européennes.
Pour ces élections, notre choix sera de repousser les listes d’extrême-droite et toutes celles qui acceptent une Europe libérale ; il ira vers celles qui s’engagent pour une société nettement plus juste et une solidarité efficace aussi bien entre les citoyens européens qu’entre les Etats.
Caen, le 12 mai 2014
Equipe de Chrétiens en Classe Ouvrière (ECCO Caen) [membre de la fédération des Réseaux du Parvis)] : Bernadette Biniakounou, Michel Carabeux, Marie Thérèse Colin, Colette Fourdeux, Michel Gigand, Michel Leconte, Michel Lefort, Pierre Leduc, Jean Marie Peynard, José Reis, Claude Simon. Contact : Jean Marie Peynard
Bonjour à tous,
Cette prise de position d’ECCO sur les élections européennes est assez représentative, je suppose, de ce que pense beaucoup de militants de gauche : envoyons une majorité Front de Gauche et gauche radicale au Parlement Européen et nous avons une chance de réorienter la “construction européenne” dans un sens progressiste. Je rebondis sur cette thématique d’actualité pour exprimer un point de vue divergent sur le sens même de ce qu’il est convenu d’appeler la “construction européenne”.
En effet, pour moi, la notion même de Parlement Européen est problématique : elle ne correspond pas à l’espace démocratique “naturel” des peuples en Europe : la Nation. Il n’y pas, pour des raisons historiques et sociologiques profondes, de “peuple européen” : un allemand n’est pas un français qui parle allemand…La souveraineté d’un peuple s’exprime par le sentiment d’avoir une communauté de destin, un “vivre-ensemble” qui s’incarne dans un cadre national, espace dans lequel le peuple se donne des “règles de vie” (la loi, une Constitution) et les institutions adéquates pour réaliser ce “vivre-ensemble. Tout cela s’incarnera de façon évidemment différente dans chaque pays.
La mise en place de la CEE puis de l’UE (Union Européenne) est une construction technocratique qui a été voulue et décidée par des politiques proches des milieux d’affaires, du grand patronat et des États-Unis (Monnet, Schumann etc….). Le fondement de l’UE est l’économie de marché dans sa version la plus libérale : la “concurrence libre et non faussée”, et ceci dès l’origine. Les peuples n’ont pas été consultés sur ce processus politique avant 1992 (traité de Maastricht). En 2005, malgré le rejet du Traité Constitutionnel Européen par la France et les Pays-Bas, celui-ci nous a quand même été imposé sous la forme du Traité de Lisbonne.
Le Parlement Européen ne correspond donc pas à une réalité politique concrète qui serait l’émanation d’une volonté commune des peuples européens, sa légitimité démocratique peut être sérieusement remise en cause.
Mais, à défaut de représenter réellement la volonté populaire, le Parlement Européen pourrait-il être le vecteur de politiques progressistes en Europe si une majorité de “vraie gauche” s’y dessinait lors des futures élections ? La réponse est malheureusement négative :
– le Parlement n’a pas l’initiative des lois, des directives, il coélabore celles-ci avec la Commission et le Conseil, les règles de fonctionnement sont un peu complexe, mais en gros, ces lois s’élaborent au consensus, et au mieux, la majorité au Parlement peut bloquer des directives. Elle ne peut, par contre, absolument pas impulser des politiques de gauche dans l’UE, car cela contreviendrait au principe de la “concurrence libre et non faussée”et les lois seraient retoqués par la Cour de Justice Européenne, gardienne de l’orthodoxie néolibérale.
– Le Parlement n’a pas non plus le pouvoir de changer les traités européens donc l’orientation néolibérale fondamentale de l’UE
Changer l’UE de l’intérieur est donc une tâche très difficile, pour ne pas dire quasiment impossible dans un laps de temps raisonnable pour les aspirations légitimes de nos concitoyens à la justice sociale immédiate.
Alors que faire ? Deux stratégies sont possibles :
– rester dans l’UE et pratiquer la “désobéissance européenne”, le refus de transposition des directives européennes en droit national, ce qui suppose une modification de notre Constitution qui affirme la primauté du droit européen sur le droit national; et la “bagarre” politique dans le cadre de l’UE (particulièrement avec l’Allemagne) pour la faire évoluer dans le bon sens
-sortir de l’euro et de l’UE pour mener immédiatement une politique de gauche dans le pays qui le déciderait et provoquer ainsi une crise politique décisive que redessinerait à terme les contours d’une union de pays souverains collaborant “à la carte” sur des projets sur lesquels ils auraient de réelles bases communes.
Amitiés
BREYSACHER Christophe