Par Jean-Baptiste Jacquin
La transhumance fiscale des grands groupes internationaux n’est pas un phénomène nouveau. Mais il prend une ampleur inédite.
Le groupe américain de semences et d’agrochimie Monsanto a récemment envisagé de racheter le suisse Syngenta (pesticides, engrais, etc.) pour plus de 40 milliards de dollars (30 milliards d’euros), a révélé lundi 23 juin l’agence Bloomberg. Sur la foi de sources « proches du dossier », comme l’on dit, l’agence affirme que l’une des motivations de ce projet était de permettre à Monsanto de déménager son siège fiscal en Suisse.
Ces négociations, non officiellement confirmées, qui auraient échoué en mai sur des aspects stratégiques et d’antitrust, sont susceptibles de reprendre à tout moment.
C’est que la pression des actionnaires monte sur le sujet fiscal. Il y a dix ou quinze ans, cette pression portait sur la réduction des coûts. Les entreprises ont alors déplacé leurs centres de production dans des pays plus ou moins lointains.
Nouvelle martingale
Cela a donné lieu à un mouvement sans précédent de délocalisations industrielles. Tous les pays riches ont été touchés ainsi que pratiquement tous les secteurs industriels et même, plus récemment, des services.
Aujourd’hui, la recherche perpétuelle de gains supplémentaires a trouvé sa nouvelle martingale : la délocalisation de la base fiscale. Les patrons de groupes cotés en Bourse risquent de se voir reprocher de ne pas avoir étudié la question.
Par le truchement des cabinets d’avocats, déménager un siège social est un jeu d’enfant. Pas besoin de construire un bel immeuble pour accueillir tout l’état-major. Seule l’adresse postale (et fiscale) change.
Dans feu leur projet de mariage, le français Publicis et l’américain Omnicom avaient prévu de localiser le nouveau géant de la publicité aux Pays-Bas. Cela n’aurait été qu’une boîte aux lettres, les équipes des deux groupes restant à Paris et New York.
Imposition nulle
Déplacer une boîte aux lettres peut rapporter davantage que délocaliser une usine. Et cela peut se répéter autant de fois que la concurrence fiscale entre Etats va faire baisser le taux d’imposition. L’américain Medtronic (matériel médical) va ainsi élire domicile fiscal en Irlande, où l’impôt sur les bénéfices est de 12,5 %, contre 35 % aux Etats-Unis, à l’occasion du rachat de son concurrent Covidien.
Le danger (ou la chance, c’est selon…) de cette optimisation fiscale est qu’elle n’a pas de limite. Ou, plus exactement, que la limite tend vers l’imposition nulle.
Cette base fiscale risque de s’évaporer, comme celle des cadres dirigeants qui se mettent à déménager pour des raisons fiscales.
Payer un impôt sera-t-il illégitime un jour ? Pour l’heure, en payer plus que son voisin est devenu insupportable pour beaucoup. Mais accepter, voire légitimer, cette fuite fiscale est une démission collective.
Jean-Baptiste Jacquin, Journaliste au Monde
Source : chronique Pertes & Profits publiée le 24 juin 2014 dans le Cahier du « Monde » n° 21596 Eco&Entreprise daté mercredi 25 juin 2014 et sur le blog à :
Photo : http://ecobusiness.blog.lemonde.fr/files/2014/06/Boîtes-aux-lettres-Pixabay-CC-BY-2.0.jpg
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