Nucléaire : rallonger ou pas ?
Par Antoine de Ravignan
Prolonger la durée de vie des centrales nucléaires risque de coûter très cher. Sauf à rogner sur la sécurité.
Le projet de loi sur la transition énergétique, présenté le 18 juin 2014, a confirmé l’objectif de ramener la part du nucléaire dans la production électrique française de 75 % aujourd’hui à 50 % en 2025. Ce pourcentage laisse cependant beaucoup de questions irrésolues. Tout d’abord, la baisse de la part du nucléaire dans le mix électrique de 75 % à 50 % au cours des dix prochaines années ne signifie pas que la production électronucléaire (425 TWh en 2012) – donc la taille du parc nucléaire et le volume de déchets qu’il produit – reculera dans les mêmes proportions. Ce repli pourrait au final s’avérer modéré si, dans le même temps, la consommation d’électricité augmentait fortement.
Par ailleurs la loi sur la transition énergétique ne règle pas l’autre sujet crucial : par quel type de centrale sera assurée demain la production électronucléaire ? Les 58 réacteurs actuellement en service en France ont été conçus pour une durée de fonctionnement de quarante ans et en mars 2017, Fessenheim 1 sera le premier réacteur à souffler sa 40e bougie. Mais rien n’est encore tranché pour la suite : faut-il prolonger jusqu’à cinquante, voire soixante ans, la durée de vie des vieux réacteurs avant de les remplacer par des EPR, une nouvelle génération dont la sécurité a été considérablement améliorée ? Ou bien faut-il renouveler les anciennes centrales par des EPR dès les quarante ans de service atteints ? Quels sont les coûts associés à chacune de ces options ?
Tout dépend des hypothèses
Un article publié [1] dans le dernier numéro de la revue de Global Chance éclaire la question. Le choix défendu par EDF est celui d’un prolongement de la durée de vie des centrales, moyennant un « grand carénage » visant à rénover le parc, mais aussi à améliorer les conditions de sécurité, suite à l’accident de Fukushima. Selon les calculs de Global Chance, le coût de production d’une centrale ainsi rénovée serait de 64 euros par mégawattheure (pour une prolongation de vingt ans) et de 81 euros/MWh en cas (plus vraisemblable) de prolongation pour dix ans. A priori, une telle option serait plus intéressante que l’EPR, dont le coût du MWh se situerait entre 77 et 93 euros (et plutôt dans le haut de la fourchette).
Le problème est que le « grand carénage » envisagé par EDF pourrait s’avérer trop limité. Une expertise réalisée à la demande de Greenpeace [2] estime que pour obtenir des conditions de sécurité comparables à celles qu’offre un EPR, il faudrait investir 3 900 euros par mégawatt de puissance installée, deux fois ce qu’EDF prévoit. Ce qui, calcule encore Global Chance, se traduirait par un coût du MWh nettement moins intéressant : 97 euros pour un prolongement de vingt ans et… 131 euros pour dix ans.
Dans ces conditions, à quoi bon dépenser beaucoup d’argent pour rafistoler des vieilles centrales (sans certitude du résultat), quand on pourrait avoir du neuf pour moins cher ? Mais surtout, le surcoût annoncé d’un nucléaire amélioré rend les renouvelables – dont les prix tendent à chuter – plus attractifs encore [3]. Pourquoi alors ne pas investir dans l’efficacité énergétique et l’électricité verte, en fermant les centrales au fur et à mesure qu’elles atteindront leurs quarante ans ?
Antoine de Ravignan
Notes
[1] « Prolonger la vie du parc actuel : à quels coûts ? », par Benjamin Dessus, Cahiers de Global Chance n° 35 ;http://www.global-chance.org/Autour-de-la-transition-energetique-questions-et-debats-d-actualite
Document (9 pages) téléchargeable (pdf) en cliquant ci-après : GlobalChange35-p54-62
[ 2] Rapport : « L’échéance à 40 ans pour le parc nucléaire français », Wise-Paris, février 2014 ;téléchargeable à :
http://www.greenpeace.org/france/PageFiles/266521/greenpeace-rapport-echeance-40-ans.pdf
[3] Etude « Le coût de production futur du nucléaire exploité au-delà de 40 ans », Greenpeace, juin 2014 ; document (20 pages) téléchargeable en cliquant ci-après :EtudeGreenpeace_cout_production_nucleaire_062014
Source : publié dans le mensuel Alternatives Economiques n° 337 – juillet – Août 2014, en kiosque (4,90 €) et en ligne à : http://www.alternatives-economiques.fr/boutique
Photo : Centrale nucléaire de Fessenheim (http://fr.wikipedia.org/wiki/Centrale_nucléaire_de_Fessenheim)
A lire également :
• « En Alsace, la CGT Equipement demande la fermeture de la centrale de Fessenheim » publié le 29 juillet 2014 par Reporterre à : http://www.reporterre.net/spip.php?article6205
• « Out of Age », document (en français) de Greenpeace (visite guidée et agir) à : « http://out-of-age.eu/?lang=fr