Des obstacles parsèment le chemin du synode sur la famille
Note de la rédaction de National Catholic Reporter (NCR) : L’Instrumentum laboris, ou document de travail, de 50 pages, qui a été publié le 26 juin et guidera la discussion en octobre lors du Synode des évêques sur la famille, était sec et impersonnel, pratiquement sans vie, et à NCR il nous a consternés.
D’expérience personnelle et à l’écoute de nos collègues, lecteurs et amis, nous avons expérimenté le mariage et la vie de famille comme source de vie et de joie. Mariage et vie de famille ne sont pas sans défis ni luttes; ils offrent de nombreuses leçons d’humilité et de pardon, mais aussi, dans le meilleur des cas, peuvent être enrichissants. Nous nous sommes demandés quelles différences aurait présenté l’Instrumentum laboris, qui est maintenant censé être étudié dans les diocèses à travers le monde, si ses auteurs étaient partis de l’expérience fondamentale de personnes qui ont vécu dans le mariage et ont élevé des enfants.
Nous avons donc demandé à deux contributeurs de NCR de répondre à la question suivante : Si le Synode des Évêques m’avait questionné à propos du mariage, que dirais-je? Lundi, nous avons eu la réponse de Mike Leach [1]. Mardi, celle Melissa Musick Nussbaum ([2]. Aujourd’hui, nous publions l’éditorial ci-après.
Editorial
Les dirigeants de l’Église, en regardant le paysage contemporain, ont conclu que le mariage est soumis à un assaut d’une manière sans précédent, et ils sont maintenant déterminés à remettre les choses d’aplomb.
Ce constat et cette intention sont visibles tout au long des 50 pages de l’Instrumentum laboris, ou document de travail, pour le Synode des évêques sur « Les défis pastoraux de la famille dans le contexte de l’évangélisation », prévu pour cet octobre au Vatican. L’impulsion peut être compréhensible, même louable, mais le chemin pour sa réalisation, est criblé d’obstacles complexes. Les évêques, malheureusement, ne semblent pas conscients des obstacles les plus menaçants, beaucoup d’entre eux inhérents à la culture même sur laquelle ils travaillent.
Depuis que le pape Paul VI a créé la structure en 1965, le Synode des évêques s’est réuni 13 fois en session ordinaire, deux fois en session extraordinaire, et a également tenu 10 réunions « spéciales » centrées sur des questions relevant de domaines spécifiques dans le monde. Très peu d’inattendu est sorti de ces rassemblements. Ils ont été au mieux bénins et au pire régressifs. La majeure partie d’entre eux a eu lieu pendant le règne du pape Jean-Paul II, qui semble avoir eu peu d’intérêt pour que les documents finaux résumant le contenu des réunions aient la moindre ressemblance avec ce qui avait effectivement été dit. Ils étaient, en fin de compte, ses synodes, et ils devaient conclure ce qu’il voulait qu’ils concluent et ignorer les questions qu’il voulait que l’Eglise ignore.
Nous sommes amenés à attendre plus d’authenticité d’un synode inspiré par le pape François à tout le moins pour la raison qu’il semble beaucoup plus ouvert aux questions et à un véritable dialogue que son prédécesseur.
En conséquence, l’Instrumentum laboris pour la prochaine session extraordinaire (une deuxième session, ordinaire, portant sur le même sujet aura lieu en octobre 2015) comporte quelques observations et questions remarquables sur des sujets tels que le droit naturel et les divorcés – remariés catholiques.
Il est toutefois impératif de comprendre d’abord la culture dans laquelle la mentalité du synode est enracinée. Malgré la diversité des questions et des personnalités impliquées dans les réunions d’évêques du monde entier, un dénominateur commun lie tous ces rassemblements. Ils ont été, sans exception, organisés par, vécus et interprétés pour le monde par une minuscule représentation de l’humanité, célibataire et exclusivement masculine, dont la carrière a été en grande partie consacrée au maintien du statu quo dans une fraternité très exclusive.
La disparité entre ceux qui seront en train de converser et de décider et ceux dont ils vont parler – l’Instrumentum concerne principalement les hommes et les femmes mariées, aussi bien que les personnes homosexuelles – est, dans ce cas, particulièrement frappante.
Sans mettre trop de projecteurs sur la question, imaginez un synode sur l’état clérical où les hommes ordonnés seraient seulement consultés marginalement, et dans lequel toute participation directe à l’élaboration des débats ou aux débats eux-mêmes leur serait essentiellement interdite.
Le problème est tout à fait évident sur la première page de l’introduction de l’Instrumentum, qui explique que pendant la première phase en 2014, « les Pères synodaux examineront soigneusement et analyseront les informations, les témoignages et les recommandations reçues des Eglises locales afin de répondre aux nouveaux défis de la famille.» Dans la deuxième phase en 2015, les travaux se poursuivront par une représentation d’«une grande partie de l’épiscopat.»
Tous ces hommes examineront les réponses à un questionnaire soumis par « les synodes des Eglises orientales catholiques … les Conférences épiscopales, les dicastères de la Curie romaine et l’Union des Supérieurs Généraux. »
Les familles réelles sont finalement mentionnées parmi ceux – diocèses, paroisses, mouvements, groupes et associations ecclésiales – à qui il est permis de présenter des réponses dans la catégorie « observations ». A noter que le mot est mis en italique dans le texte.
Le bilan est facile à faire. L’exercice pourrait avoir un peu plus de crédibilité si les familles réelles – épouses, maris, mères, pères, personnes ayant élevé des enfants, leurs propres enfants biologiques, ainsi que des enfants adoptés – avaient un apport direct. Ce projet a besoin de l’expérience d’autres que les personnes ayant prononcés des vœux et les hommes et les femmes célibataires qui ont opté pour un mode de vie très différent de celui de la plupart des familles dans le monde moderne.
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Le deuxième obstacle majeur est le point de vue fondamental du synode que le mariage, contrairement, par exemple, à l’état clérical, est en difficulté particulière et a besoin d’une attention spéciale de la part de l’Eglise afin de comprendre comment lutter contre tous les «-ismes» qui l’agressent. Une vérité importante réside dans la critique de ceux qui voient le mariage et la famille puissamment contestés par les mœurs contemporaines de consumérisme, la cupidité, l’individualisme, la laïcité, l’hédonisme et le relativisme.
Il est juste de se demander, cependant, combien plus de familles sont en difficulté aujourd’hui qu’elles ne l’étaient, par exemple, au cours du siècle dernier, lorsque le monde a été par deux fois en feu et a été le théâtre de manifestations inimaginables de haine, de carnages et de mépris des autres êtres humains, et que, pendant des décennies le monde a vacillé au bord de l’anéantissement nucléaire.
Enfin, de quelle efficacité pourrait être un Synode dans son examen du mariage et de la famille quand, de nouveau, les hommes célibataires de l’Institution insistent sur des règles concernant la contraception que la plupart de la communauté a constamment rejetées depuis plus de 50 ans ?
Une section du document abonde dans l’envolée rhétorique de l’Eglise sur le mariage, en faisant l’analogie avec l’amour trinitaire de Dieu et la relation du Christ avec son Église. Le mariage est appelé « le grand mystère » et une « communauté d’amour » fondamentale.
Mais quand il s’agit de sexe, l’expression humaine la plus profonde de l’amour durable entre deux personnes, les êtres humains sont réduits au niveau des babouins, leur seul but légitime de s’engager dans le sexe est la production de plus de petits humains. L’amour et la procréation sont réduits à la nécessité biologique. Et si ce n’est pas le but premier de tout acte sexuel, le mariage est fondamentalement vicié dans les yeux de l’Eglise.
Le document de travail pour le Synode affirme que si l’enseignement est rejeté c’est à cause d’une catéchèse déplorable. Beaucoup de gens mariés diraient au synode que c’est à cause d’une théologie et d’une anthropologie bien pires. Les hommes qui édictent les règles ne comprennent vraiment pas la joie profonde et les implications infinies de l’amour conjugal dans une relation engagée durable. Ils ne comprennent pas, par l’expérience concrète, cette fondamentale « communauté d’amour ». Il s’agit de bien plus que produire une descendance. La paternité responsable implique beaucoup plus que d’être certain que chaque circonstance de l’expression sexuelle puisse engendrer un autre enfant.
Le texte ne traite pas du tout non plus de ce que peut signifier le mariage pour ceux qui sont incapables de concevoir, ou ceux qui se marient au-delà de leurs années de procréation. Et oserions-nous mentionner la réalité qui fait pression sur nous avec une logique qui semble être acceptée de plus en plus par des segments de la communauté – celle des homosexuels dans une relation amoureuse engagée ?
Peut-être la dynamique des conséquences imprévues qui ont accompagné les réunions du Concile Vatican II il y a 50 ans sera-t-elle à l’œuvre dans ces réunions, et aurons-nous à faire état d’une discussion de ces questions plus profonde et créative que ce qui semble possible au départ.
Comme nous y avons fait allusion ci-dessus, certains signes encourageants émergent à travers le long Instrumentum, et deux sont particulièrement pertinents ici. Le premier est constitué par les plus de deux pages et demi consacrées au terme de « loi naturelle » et le fait que le concept « s’avère être, dans des contextes culturels différents, très problématique, sinon complètement incompréhensible. »
On pourrait ajouter qu’il est incompréhensible non seulement en raison de divers contextes culturels, mais aussi parce que, sur un plan plus fondamental, c’est une façon archaïque d’aborder nombre de ces questions.
Le document préparatoire promet également une discussion solide et qui tarde à être réalisée sur les personnes dont les «mariages sont canoniquement irréguliers » et sur la façon de les aborder en mettant davantage l’accent sur « la miséricorde, la clémence et l’indulgence pour de nouvelles unions. »
Enfin, on peut espérer que les rassemblements s’élargissent à ce que le document mentionne peu : la nécessité pour l’Eglise de s’examiner, spécialement sur les scandales et les clercs qui vivent somptueusement. La discussion sera utile si elle conduit, comme il se devrait, à un examen plus approfondi de cette culture. En fait, on pourrait dire que cette discussion et cet examen ont une nécessité beaucoup plus urgente que la production d’un autre ensemble de documents permettant d’obtenir que les catholiques mariés en suivent toutes les règles.
La rédaction de New Catholic Reporter – 30 juillet 2014
Traduction : Lucette Bottinelli
Notes :
[1] 28 juillet 2014 : http://ncronline.org/news/spirituality/marriage-two-people-thing-together [2] 29 juillet 2014 : http://ncronline.org/news/spirituality/marriage-listening-ear-heartSource : publié le 30 juillet 2014 dans National Catholic Reporter (NCR) à :
http://ncronline.org/news/vatican/editorial-obstacles-riddle-synod-familys-path
Photo : référence [1] : Wilber and Esther Gomez, paroissiens de la Cathédrale St Mary à Grand Island, Neb., en 2011, lors de la messe d’anniversaire de leur mariage (CNS/West Nebraska Register/Mary Parlin)
Sur le même sujet :
– « Document de travail du Synode des évêques sur la famille » à :
http://nsae.fr/2014/06/27/document-de-travail-du-synode-des-eveques-sur-la-famille/
– « Instrumentum Laboris : la réaction de Noi Siamo Chiesa » à :
http://nsae.fr/2014/07/02/instrumentum-laboris-la-reaction-de-noi-siamo-chiesa/