ÉCOUTE, ISRAËL
Par José Arregi
Elle ne suffit pas, la trêve… Le sang innocent des enfants, des femmes, des civils dans la bande de Gaza, et même le sang désespéré de ses miliciens, crie contre toi, du fond des ruines, du fond du drame. Toi, l’Abel, de tant de crimes au long de l’histoire, tu es devenu le Caïn de tes frères palestiniens. Les rôles sont changés. En eux le sang d’Abel crie contre toi. Et ce cri ne cessera tant que tu ne ressens sa douleur, ne respectes sa dignité, ne reconnais ses droits et répares ses ruines.
C’est d’eux, comme de toi, que le Feu Incessant a parlé, disant à Moïse depuis le buisson en flammes : «J’ai vu leur douleur, j’ai entendu leurs cris, je sais leur souffrance. Je descendrai les libérer. Va les libérer ».
Tu n’auras pas de paix tant que tu ne feras justice. Tu ne seras pas libre tant que tu ne libéreras pas tes frères palestiniens, asservis et massacrés par toi, bombardés par terre, mer et air après les avoir verrouillés dans ce misérable tronçon de 40 km de long et 7 de large où vivent entassées près de deux millions de personnes dans ce reste dévasté de ce qui depuis des millénaires était leur terre, maintenant une prison ou un tombeau.
Ecoute, de nouveau, tes anciens prophètes, phares et veilleurs dans l’histoire du monde. Ecoute au moins la loi du talion : «Œil pour œil, dent pour dent », Loi humanitaire quand tes ancêtres l’ont formulée, car elle mettait un frein à la vengeance excessive : « A qui t’arrache un œil, n’arrache pas les deux » . Et toi par contre, pour un de tes soldats morts, tu as tué 30 palestiniens, enfants, femmes et civils, en majorité, et tu trouves encore insuffisante cette proportion.
Jésus de Nazareth, l’un des tiens, prophète rebelle et plein de compassion, est allé beaucoup plus loin : « Ne réponds pas au mal par le mal ». Plus encore : « Aime ton ennemi. Et à qui te frappe sur une joue, tends-lui l’autre ». Jésus était-il fou ? Peut-on appliquer ce principe en politique ? Peut-être pas. Mais à quoi sert une politique qui n’est pas inspirée par la compassion ? Regarde où conduit la vengeance. Regarde où nous allons, où tu vas.
Tu dis : « Nous avons le droit d’exister comme peuple, d’avoir une terre et de vivre en sécurité sur elle ». Tu as raison. Tout à fait raison. Tu as assez souffert pendant des milliers d’années. Tu as été déporté, exilé, persécuté. Tu as été exterminé. Ta conscience de peuple et l’histoire des horreurs endurées sont ton argument, et il est incontestable.
Eh bien, aujourd’hui, c’est dans ta main, plus qu’en toute autre, qu’est la réalisation de ton droit à vivre en paix sur ta terre. Mais écoute, Israël : Tu ne l’auras jamais tant que ta politique et celle de tes alliés nient le même droit à ton peuple frère. La terre que l’ONU t’a accordée exclusivement en 1948 était une terre habitée par d’autres, voilà où s’origine cette tragique confrontation de droits, que la guerre inégale et sans fin entre la violence arrogante de ton Etat vainqueur et la violence désespérée des vaincus, invincibles car désespérés, rend à chaque fois plus tragique et insoluble. Mais après 66 années, il est aussi clair que l’eau de l’Hermon que ni la violence de ton Etat, ni la violence du Hamas ne sont la solution. Chacune a besoin de l’autre pour légitimer leur objectif commun : l’élimination de l’ennemi. Vous avancez vers l’enfer par le même chemin.
N’y aurait-il d’autre horizon que l’enfer à partager ? Cela dépend plus de toi, Israël, que des Palestiniens. Satisfais la résolution 242 de l’ONU, encore et encore renouvelée et toujours violée par toi, soutenu par des amis puissants. Reviens aux frontières de 1948, abandonne les territoires occupés dans la guerre de 1967, démantèle les colonies, accepte de partager Jérusalem comme capitale, recherche la solution la plus juste et raisonnable possible pour les 5 millions de réfugiés palestiniens. Si tu veux, tu peux.
Regarde les enfants de Gaza, orphelins de tout, qui cependant jouent sur les plages ou dans les ruines de leurs maisons. Eux ne peuvent ni même ne savent, mais leurs yeux te révèlent la seule solution équitable. Et écoute tes meilleurs citoyens qui manifestent dans tes rues contre la politique criminelle et insensée de ton Gouvernement. Eux non plus ne peuvent, mais ils connaissent le seul chemin. Eux et les enfants de Gaza t’enseignent comment tu pourras vivre en paix sur ta terre.
Jose Arregi
Traduction française de René Sournac
Source : texte original du 12.08.2014( en espagnol) à : http://blogs.periodistadigital.com/jose-arregi.php
Illustration : http://iglesiadescalza.blogspot.co.uk/2014/08/hear-israel.html