Pour remettre l’histoire à l’endroit
« Le Monde diplomatique » publie un Hors-Série, manuel critique qui s’attaque aux idées reçues sur le passé (1830-2010).
Par Benoît Bréville
Des torrents d’encre gonflent un fleuve d’ignorance : il y aura bientôt plus de publications consacrées à l’histoire qu’à l’automobile. Au seul mois de juin 2014, trois nouveaux magazines sont apparus dans les kiosques. Les Clés de l’histoire, dernier-né de Sophia Publications, qui édite également les mensuels L’Histoire et Historia, se veut un « produit populaire, joyeux et facile d’accès », un « magazine sympa et intergénérationnel » destiné à « donner du bonheur à tous les lecteurs ». Le bimestriel Tout sur l’histoire (Fleurus Presse) se positionne pour sa part « sur le créneau de l’histoire à grand spectacle » et «regarde vers les 18-25 ans, quand le reste du secteur se tourne vers les plus de 55 ans ». Quant au troisième, Secrets d’histoire (Uni-éditions), il décline sur papier le concept de l’émission de Stéphane Bern sur France 2. S’y ajoutent Guerres & Histoire, Ça m’intéresse Histoire, Le Figaro Histoire et les multiples hors-séries qui peuplent les kiosques.
La chose fut comprise avant même Hérodote : l’histoire est une arme au tranchant effilé ; qui la forge l’a pour soi, et malheur aux vaincus. Son récit habite les peuples, appelle la légende. Il divise ou rassemble. Se raconte et se transmet. Se déforme et se révise. Il passionne. Et les marchands en ont fait un marché. Un produit haut en couleur, mais sans relief ni profondeur. Un produit sans problème – mais pas sans profit.
Sur les ondes aussi, on raconte beaucoup d’histoires. La discipline a droit à des émissions sur Europe 1, France Inter, France Culture et, à la télévision, sur France 2 et sur la chaîne Histoire (propriété à 100 % de Bouygues et longtemps dirigée par M. Patrick Buisson, ancien directeur du journal d’extrême droite Minute). Quant aux rayons des librairies, ils s’encombrent chaque année de dizaines de nouveaux ouvrages. Car tout personnage public peut désormais s’affirmer apprenti historien. Tandis que les dirigeants politiques affectionnent les biographies, de préférence d’un personnage illustre dont ils peuvent prétendre s’inspirer – Georges Mandel pour M. Nicolas Sarkozy, Napoléon Ier pour M. Lionel Jospin, Henri IV pour M. François Bayrou, etc. -, les journalistes affichent un plus grand éclectisme. En à peine quinze ans, parallèlement à ses fonctions de directeur du Nouvel Observateur, puis de Libération, puis du Nouvel Observateur, puis de Libération, etc., Laurent Joffrin a trouvé le temps d’écrire sur Mai 68, sur la Résistance, sur Les Grandes Batailles navales, de Salamine à Midway (Seuil) et sur les guerres napoléoniennes, sans oublier La Grande Histoire des codes secrets (Seuil).
On l’aura compris : les porte-voix de l’histoire « popularisée » ou « vulgarisée » sont rarement des spécialistes. Sur les cinquante meilleures ventes de l’année 2012 en France, seuls treize livres ont été écrits par des historiens de profession – dont sept par Max Gallo, qui a quitté le monde universitaire depuis plusieurs décennies. Les autres sont journalistes (Patrice Duhamel, Franck Ferrand, Bernard Benyamin), animateurs de télévision (Pierre Bellemarre, Bern), écrivains (Katherine Pancol, Amin Maalouf), chroniqueurs princiers (Gonzague Saint Bris) ou simples témoins (un prisonnier cambodgien, un résistant, une déportée). Dans bien des cas, le nom de l’auteur fonctionne comme un logo : s’il devenait invisible, le livre se vendrait beaucoup moins bien. Les maisons d’édition jouent d’ailleurs sur l’effet « vu à la télé » en ornant parfois la couverture de leurs ouvrages d’une photographie de l’auteur.
La recette pour rencontrer les faveurs du grand public est simple : « Il faut attirer avec des méthodes de divertissement » (Bern, quatre ouvrages au Top 50 de Livres Hebdo), en choisissant « les épisodes les plus spectaculaires, les plus truculents » (Lorànt Deutsch, deux millions de livres vendus), en privilégiant ce qui est « atroce », « poignant » ou « inattendu » (Ferrand, six cent mille auditeurs quotidiens sur Europe 1). Bref, l’histoire séduit au-delà du cercle des initiés si elle parvient à éveiller des émotions, des sentiments, des impressions (…)
Lire l’intégralité de ce texte de Benoît Bréville en ligne : Pour remettre l’histoire à l’endroit
Source : publié dans Le Monde diplomatique de septembre 2014, pages 4-5 ;
http://www.monde-diplomatique.fr/2014/09/BREVILLE/50783
A découvrir :
« Manuel d’histoire critique. De la révolution industrielle à nos jours », Hors-Série du Monde diplomatique, 180 pages, Sept. 2014. En kiosques (11,95 €) et en ligne à :
http://boutique.monde-diplomatique.fr/boutique/hors-series/manuel-d-histoire-critique.html
Le Manuel d’histoire critique est découpé en dix chapitres couvrant la période comprise entre 1830 et… le monde qui vient. Chaque partie est introduite par l’énoncé — et la réfutation — d’une idée reçue : « Les soldats de 1914-1918 étaient tous unis dans les tranchées », « La crise de 1929 a porté Adolf Hitler au pouvoir », etc. En soixante-quinze textes et cent quatre-vingts pages, l’ouvrage traite l’intégralité du programme d’histoire des premières et des terminales.
L’ensemble s’accompagne de nombreuses cartes, mais aussi d’une iconographie en rupture avec les stéréotypes. Et d’un bêtisier constitué à partir de manuels d’histoire publiés sur les cinq continents.
Benoît Bréville