L’agriculture paysanne au coeur de la transition énergétique
Alors que se discute en ce moment la Loi de transition énergétique à l’Assemblée nationale avec des enjeux forts sur l’agriculture, notamment sur la méthanisation, Philippe Le Bras, paysan dans le Finistère, dévoile dans un article paru dans Campagnes solidaires comment l’agriculture paysanne est une voie de résilience face à l’aggravation du changement climatique. Il le démontre d’ailleurs au regard de sa propre exploitation, complètement autonome d’un point de vue énergétique !
La transition énergétique en agriculture, c’est l’autonomie énergétique des fermes
Par Philippe Le Bras
L’autonomie énergétique des fermes est une nécessité écologique, mais aussi une assurance pour leur avenir. C’est produire au moins autant d’énergie sur la ferme que la ferme en consomme, besoin humains compris, sans compromettre la production alimentaire.
Questionnaire :
- Le réchauffement climatique est-il une réalité ? Oui / Non
- L’augmentation de la température de 4 °C serait-elle une catastrophe ? Oui / Non
- Les consommations d’énergies fossiles sont-elles la principale cause du réchauffement climatique ? Oui / Non
- Les énergies non renouvelables seront-elles de plus en plus rares ? Oui / Non
- Les énergies non renouvelables seront-elles de plus en plus chères ? Oui / Non
- Faudra-t-il être sur sa ferme de plus en plus autonome en énergie ? Oui / Non
Réponses :
- Vous avez un maximum de « Non » : cet article n’est pas pour vous.
- Vous avez un maximum de « Oui » : vous vous préoccupez de votre avenir et de celui des générations futures, cet article est pour vous.
Pour se lancer dans la transition énergétique, commençons par accepter les quatre points suivants :
- Il ne faut pas attendre une nouvelle énergie, pas chère, abondante et non polluante. Les lois physiques de la conservation énergétique en démontre l’impossibilité.
- Il faut se lancer dans sa transition énergétique sans attendre un signal de départ, même si on est seul, même si cela paraît dérisoire.
- Il faut raisonner globalement la transition énergétique sur sa ferme en tenant compte de ses atouts, de ses contraintes, et sans compromettre la production alimentaire.
- Il faut accepter qu’il s’agit d’un investissement supplémentaire pour du long terme, pour rester un paysan libre, mais pas forcement pour gagner plus.
Pour réaliser cette transition, il faudra compter sur les matières premières de l’agriculture paysanne, que sont la terre, le soleil et la pluie… Avec elles, il faudra continuer à produire autant de nourritures, mais aussi en plus la quantité d’énergie nécessaire pour les produire.
Pour commencer : consommer le moins d’énergie possible. Donc, favoriser les cultures pérennes, comme les prairies. Acheter le moins possible d’intrants en utilisant fumiers et lisiers. Limiter les traitements en favorisant les rotations culturales. Isoler les bâtiments. Récupérer la chaleur du lait pour préchauffer l’eau de lavage. Utiliser des chèvres pour entretenir les talus…
A chaque fois que l’on utilise de l’énergie, il faut trouver une solution pour ne plus en consommer ou en consommer moins. Il ne faut pas avoir peur de remettre en cause son système si cela permet des économies d’énergie importantes. Ni renoncer à faire des économies d’énergie qui peuvent paraître dérisoires si par ailleurs elles sont facilement réalisables.
Mais faire des économies ne suffit pas. Il faut donc aussi produire de l’énergie sur sa ferme. On peut le faire avec un chauffe-eau solaire pour le lavage des machines à traire, avoir des panneaux photovoltaïques, utiliser de l’huile de colza pour son tracteur, du bois de chauffage pour chauffer l’eau, du petit éolien…
L’autonomie énergétique ne veut pas dire qu’il faut produire tous les types d’énergie utilisées sur sa ferme. Il ne faut pas confondre autonomie et autarcie. Dans le cas de l’autonomie, on peut aussi avoir recours aux échanges ou à une production collective de l’énergie. C’est même nécessaire si on n’est pas en mesure de pouvoir produire un type d’énergie soi-même de façon efficace. La logique de l’autonomie, c’est de produire globalement au moins autant d’énergie renouvelable que l’on consomme d’énergie, même s’il ne s’agit pas toujours du même type d’énergie.
Il y a aussi la consommation indirecte de l’énergie, avec le recours à une entreprise de travaux agricoles (ETA) pour les gros travaux, ou les matériaux de construction des bâtiments, ou les intrants, ou l’achat d’aliments ou de compléments alimentaires, etc. Cette consommation indirecte, si elle est importante, peut masquer une dépendance forte à l’énergie. Il faut donc la prendre en compte de manière spécifique. Soit on apporte la solution de l’économie d’énergie, comme moins de labour, soit on compense cette consommation indirecte par une production énergétique équivalente sur sa ferme.
Dans la logique de l’agriculture paysanne, si la ferme est autonome en énergie, la maison et la famille doivent l’être aussi. Les économies d’énergie, l’isolation de la maison avec des matériaux écologiques (paille, chanvre, ouate de cellulose…) sont les préalables. Pour la production d’énergie, il suffit de se greffer sur celle de la ferme avec la même logique d’autonomie et non d’autarcie.
En matière de transport, qui peut représenter la moitié des besoins énergétiques d’une famille, les solutions seront plus collectives qu’individuelles. Pour les transports de courtes distances, fréquents et aléatoires, il faudra des véhicules légers avec des moteurs électriques. Pour des transports sur de plus longues distances et plus prévisibles, il faudra développer les transports collectifs à la demande. Pour des transports réguliers, les transports en commun peuvent y répondre… Il faudra dans tous les cas que la ferme produise l’équivalent en énergie, dans la logique d’autonomie énergétique.
Philippe Le Bras,
paysan dans le Finistère
Produire du bœuf qu’avec de l’énergie solaire, c’est possible !
Sur la ferme de Kernevez dans le Finistère, on produit 0,9 UGB/ha (1) avec un minimum de fuel (2) !
C’est possible car, les prairies sont permanentes, il n’y a aucun intrant et aucun traitement, les animaux pâturent toute l’année, il n’y a aucun stock alimentaire, ni à faire, ni à distribuer (il y a seulement un stock de foin de sécurité, surtout utilisé en cas de neige). Les talus sont entretenus principalement par des chèvres des fossés. Tous les déplacements se font à pied.
Le système de production de la ferme c’est construit sur ses contraintes, car les terres sont en pente, froides, les sols sont très acides et peu profonds. La seule culture adaptée est la prairie naturelle.
Les atouts de la ferme sont un parcellaire groupé, une très grande portance des sols, de l’eau accessible par gravité dans toutes les parcelles. Ces atouts permettent un pâturage toute l’année. La production de bœufs – qui supporte très bien des variations d’apport alimentaire, notamment avec la croissance compensatrice -, est idéale, d’autant que les veaux mâles trouvent de moins en moins de débouchés en veau de boucherie.
Avec ce système de production, le tracteur ne tourne qu’une dizaine de fois par an pour les bœufs. Le coût de production de viande bovine est bas et totalement indépendant du prix de l’énergie.
Pour l’avenir, l’objectif de la ferme est de développer la production de bois de chauffage pour la vente (la maison est déjà chauffée au bois). Le doublage du linéaire de talus (déjà important) par l’implantation de nouvelles haies est en cours. La production de bois énergie par les talus et haies vient en synergie avec la production bovine et renforce l’autonomie énergétique de la ferme tout en augmentant le chiffre d’affaire.
Le produit du bois énergie sera réinvesti pour la maison en chauffe-eau solaire, petit éolien et photovoltaïque. Ces systèmes de production d’énergie renforceront l’autonomie énergétique, sans concurrence avec les autres productions.
Pour la ferme de Kernevez, la production énergétique doit permettre d’être autonome en énergie sur la ferme et pour la famille. Mais la production d’énergie peut aussi devenir une production à part entière si cette production est un complément et non un concurrent de la production alimentaire de la ferme. Ce qui est tout à fait possible.
Ph. LB
(1) UGB : unité-gros-bétail. Unité employée pour pouvoir comparer ou agréger des effectifs animaux d’espèces ou de catégories différentes. Grosso-modo, une vache laitière correspond à 1 UGB.
(2) Jusqu’à seulement trois litres de fioul par ha !
Source : article publié dans le n° 298-septembre 2014 du mensuel Campagnes solidaires (p. 18-19) de la Confédération paysanne et mis en ligne le 1er octobre 2014 sur son site à : http://enviedepaysans.fr/blog/2014/10/lagriculture-paysanne-au-coeur-de-la-transition-energetique/
• Découvrir le numéro du mois de Campagnes solidaires à :
http://www.confederationpaysanne.fr/campagnes_solidaires.php?dernier=1
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Sur le même sujet :
• « Quelle agriculture pour demain ? »
http://nsae.fr/2014/04/18/quelle-agriculture-pour-demain/
• « Concentration foncière en Europe : vers une agriculture sans paysans ? » à :
http://nsae.fr/2014/05/08/concentration-fonciere-en-europe-vers-une-agriculture-sans-paysans/