Sur le pape Paul VI et la béatification du 19 octobre
Le pape Paul VI, à la tête de l’Église catholique de 1963 à 1978 et qui l’a gouvernée dans la période difficile de l’après-Concile Vatican II, sera béatifié le 19 octobre 2014 ; cette date correspond à la clôture de la première phase du Synode sur la famille (5-19 octobre). A cette occasion nos amis de Noi siamo Chiesa (Nous sommes Eglise, Italie) expriment leur position critique sur la « sanctification » de la papauté et reviennent sur le parcours ecclésial historique de Paul VI. Vous trouverez ci-après la traduction de leur communiqué de presse.
Communiqué de presse – 16 octobre 2014
Est-il vraiment nécessaire de sanctifier un autre pape ?
Doutes et perplexité, tout en reconnaissant la grande personnalité ecclésiale de Paul VI
Un autre pape saint est-il vraiment nécessaire ? La question est légitime et se pose spontanément à ceux qui vivent de l’intérieur les vicissitudes de l’Eglise et constatent la continuité rapide avec laquelle on procède dans cette voie, après que le pape Roncalli et le pape Wojtyla aient été déclarés saints il y a seulement six mois. Mais la sainteté est-elle un corollaire du rôle, ou peut-être que seuls des saints peuvent être élus pape ? Ne sommes-nous pas peut-être en train d’assister à une sorte de sanctification de la papauté ? En canonisant presque tous les papes du dernier siècle et demi, en maintenant l’équilibre entre des personnalités et des orientations pastorales différentes et même opposées entre elles, ne favorise-t-on pas une véritable papolâtrie au sens propre ? Tout cela nous semble contraire à l’esprit du Concile Vatican II et au type d’Eglise qu’il a préfiguré. Pourquoi ne pas laisser aussi bien le pontificat de Paul VI à la réflexion, le moment venu, des historiens de l’Église ? Telles sont les questions qui surgissent parmi beaucoup de ceux qui suivent participativement la nouvelle orientation du pape François. Nous devons être francs : il nous semble que le pape n’est pas cohérent avec l’inspiration fondamentale de son pontificat quand il n’arrête pas ces célébrations mises en chantier depuis un certain temps.
Cela dit en préliminaire, incités par la grande attention qu’il y a ces jours-ci dans le peuple chrétien, après un long silence, sur les confrontations concernant la figure du Pape Montini nous nous permettons quelques simples réflexions. Pendant de longues années Montini a représenté dans la curie romaine le courant hostile au fascisme, ouvert à la culture catholique-démocrate d’origine française (Maritain, Mounier) et donc différent de l’orthodoxie pacellienne. A cause de l’hostilité qu’il avait suscitée, il a été transféré à Milan où, comme archevêque, il a fait une expérience directe de l’activité pastorale d’une métropole, et a joué un rôle important dans l’attention au mouvement ouvrier. Sa grande personnalité de pontife doit être replacée dans le contexte historique où il s’est trouvé pour diriger l’Eglise. C’était l’époque de la guerre froide et les catholiques faisaient partie du monde occidental, le Vatican était italien et eurocentré. Le pouvoir ecclésiastique central était, en général, assez hostile à Montini, parce qu’il était considéré comme trop peu clérical. Il a été élu pape par ceux qui voulaient continuer le Concile contre ceux qui voulaient le clore. Il a été fidèle à son mandat et il faut lui attribuer l’incontestable et grand mérite d’avoir réussi à le mener à bien en collaborant, avec une certaine prudence, vers ce tournant fondamental dans l’histoire de l’Eglise. La première partie de son pontificat a été celle où il fut le plus présent sur la scène internationale, avec le pèlerinage en Palestine (janvier 1964), son discours à l’ONU sur la paix et le désarmement (octobre 1965), avec la désapprobation voilée de la guerre du Vietnam, de même avec l’Ostpolitik qui allait à contre courant des confrontations des fureurs idéologiques et politiques de l’affrontement Est-Ouest. Mais surtout avec Populorum progressio de 1967 il assimila les analyses et propositions du point de vue du Tiers-monde. Dans le même temps il a commencé à voyager inaugurant une phase nouvelle dans le rôle du pontife romain dans le monde, il a tenté d’internationaliser la Curie et mis en place les Conseils pontificaux pour le dialogue Interreligieux et pour l’unité des chrétiens. À cet égard, il a été le protagoniste d’une discontinuité positive, ouvrant de nouvelles voies.
En ce qui concerne la gestion interne de l’Eglise, Paul VI a réalisé la grande réforme de la liturgie qui avait été demandée par le Concile et a ouvert une nouvelle phase dans les relations œcuméniques, à partir de sa rencontre avec le Patriarche œcuménique Athénagoras à Jérusalem, et la levée réciproque des excommunications de 1054. Ces choix, cohérents avec le message conciliaire, furent entrelacés avec des décisions contradictoires ou très discutables. Nous nous référons d’une part à l’institution du Synode des Évêques avec uniquement un pouvoir consultatif, n’appliquant pas ainsi la vraie collégialité qui avait été préconisée par le Concile, d’autre part à l’encyclique Humanae Vitae (1968). Cette intervention unilatérale du Pape Paul VI, contre l’avis de la grande majorité des personnes qui furent consultées sur le sujet, était aussi une conséquence des limites qu’il avait posées lui-même à la compétence du Concile en s’arrogeant toute décision concernant le célibat des prêtres et la morale sexuelle. Cela a été une erreur, indubitablement imputable à lui seul, qui a eu de lourdes conséquences dans la vie de l’Eglise. En fait, Humanae Vitae, aussitôt contestée et non mise en application par la majorité des chrétiens, a miné dans les décennie la crédibilité du magistère pontifical, également parce que ses successeurs, avec un zèle digne d’une cause meilleure, feront de la fidélité à l’enseignement de cette encyclique la preuve de toute vraie orthodoxie théologique et pastorale, et par conséquent, la condition pour être admis aux fonctions magistériales dans les séminaires, les diocèses et les ordres religieux. Cependant, la position critique a toujours été présente dans l’Eglise à tous les niveaux, jusqu’à trouver son expression dans les paroles de Cardinal Martini selon qui, sur cette question, « beaucoup de personnes se sont éloignées de l’Église et l’Église des personnes », alors que maintenant est nécessaire « une nouvelle culture de la tendresse et une approche de la sexualité plus dégagée des préjugés. »
Dans la dernière phase, celle du déclin de son pontificat, affronté aux mouvements de 1968 et des années suivantes, aux transformations de la culture et des mœurs, Paul VI s’est efforcé de freiner l’actualisation du Concile, préoccupé par le « maintien » de l’Eglise, avalisant même dans notre pays la campagne contre la loi sur le divorce et continuant à soutenir l’unité politique des catholiques. Dans les dernières semaines de sa vie il a courageusement souffert de la tragédie d’Aldo Moro. En ce qui concerne le thème du dialogue dans l’Eglise, il l’a ensuite dévalué dans la gestion concrète du système ecclésiastique en le soumettant à une interprétation stricte en termes d’obéissance à l’autorité. Dans ce contexte, la distance a toujours été maintenue dans les confrontations avec les ferments qui traversaient la base de l’Eglise dans la vaste galaxie que l’on appelait habituellement «le catholicisme de dissidence» ou avec ceux qui, quand même, sous diverses formes et moyens, ont exprimé un malaise devant la lenteur ou l’arrêt des réformes préconisées par le Concile. Cette ligne, trop prudente et identitaire, a provoqué des marginalisations et des éloignements de l’Église et posé les premiers jalons de la régression qui, depuis les années quatre-vingt et suivantes, a influencé fortement la pleine « relance » du message évangélique rendu plus crédible dans l’esprit du Concile. En réaction à cet échec naîtra également dans les années quatre vingt dix le mouvement « Noi Siamo Chiesa ».
Noi Siamo Chiesa – Rome 16 Octobre 2014
Traduction française de Lucette Bottinelli
Source : communiqué de presse (en italien) de « Noi Siamo Chiesa » publié le 16 octobre 2014 à :
http://www.noisiamochiesa.org/?p=3585
Portrait de Paul VI : http://commons.wikimedia.org/wiki/File%3APaul_VI_-_Official_portrait.jpg
Sur le même sujet :
« Sur la double canonisation du dimanche 27 avril 2014 » à :
http://nsae.fr/2014/04/25/sur-la-double-canonisation-du-dimanche-27-avril-2014/