Transition énergétique : « On va enfin agir sur la consommation »
Bruno Rebelle, qui a copiloté le débat national sur la transition énergétique, estime que la loi, malgré ses faiblesses, valide d’importantes propositions.
Après dix jours de débats, l’Assemblée nationale doit adopter le 14 octobre le projet de loi sur la transition énergétique. Au début de la semaine, le « transitiomètre » établi par un large front associatif [1] lui attribuait 30 % de capacité à répondre aux objectifs climatiques et énergétiques, contre 20% avant le passage en commission parlementaire. Cette petite bonification sera-t-elle préservée par les députés ? L’analyse de Bruno Rebelle, ex-cadre de Greenpeace, consultant sur les questions énergétiques.
Entretien
Propos recueillis par Patrick Piro
Quelles satisfactions tirez-vous de cette loi ?
Bruno Rebelle : Principalement l’affichage d’objectifs forts, en particulier la division par deux de la consommation d’énergie du pays à l’horizon 2050. Sur ce point, le Medef, alléguant une menace de mort pour l’économie, avait claqué la porte du débat national sur la transition énergétique. Cette diminution est aujourd’hui gravée dans le marbre législatif, et sans subir d’amendement. Il s’agit d’un vrai changement de paradigme : on va agir sur la consommation, pour la réduire, au lieu d’ajuster sempiternellement l’offre d’énergie à la demande croissante. Certes, on aura le temps d’oublier l’engagement d’ici à 2050, relèvent les pessimistes. Cependant, cette décroissance de la consommation sera orchestrée par une feuille de route : la programmation pluriannuelle de l’énergie. Elle signe le retour du politique dans le secteur des investissements, jusque-là en partie aux mains d’EDF. Les grands opérateurs de l’énergie devront négocier avec l’État. Cela n’empêche pas d’être vigilant : un tel dispositif est fragile quand ces industriels ont des entrées dans les ministères concernés…
Faut-il s’inquiéter de l’autonomie du commissaire du gouvernement, qui aura droit de veto sur les investissements d’EDF ?
Je ne crois pas que cette fonction soit un gadget : ce commissaire sera sous la loupe des associations, qui ne manqueront pas de critiquer tout écart suspect. Autre point novateur : la loi reconnaît le rôle des territoires dans la transition énergétique, même si les dispositifs leur permettant d’exercer de nouvelles prérogatives ne sont pas encore tous en place, renvoyés pour certains à la loi de décentralisation. Ainsi, les régions pourront se fonder en « autorités organisatrices de l’énergie ». Les élus, sur le terrain, se montrent très sensibles au montant de nos importations d’énergies fossiles : 70 milliards d’euros par an, dont une part provient de leurs territoires. Autant de centaines de millions d’euros qui n’auront pas été investis dans l’économie locale. Citons aussi la création du « tiers payeur », un mécanisme de prêts à bas coûts qui permettra aux particuliers de financer des opérations d’amélioration de la performance énergétique de leur logement, en particulier par l’isolation. Les banques bloquaient, elles ont dû céder.
Cette loi montre aussi d’importantes faiblesses…
Le nouveau cadre de soutien aux énergies renouvelables s’appuie en effet beaucoup plus sur les règles de marché, comme demandé par Bruxelles, et il est insuffisamment balisé. Qui fixera, contrôlera et distribuera le reliquat de prime d’État qui subsiste ? Rien n’empêche les textes d’application de favoriser les grands opérateurs. EDF pourrait en rester le seul gestionnaire : catastrophique ! Ensuite, le texte ne s’attaque pas à la réduction de la précarité énergétique. La dimension sociale de la transition avait pourtant occupé une part importante de nos débats. Par ailleurs, l’antinucléaire que je suis ne se satisfait pas de l’absence d’article fixant une limite à la durée de fonctionnement des centrales. Tout juste a-t-il été pris en compte un amendement indiquant qu’au-delà de 35 ans d’âge il faudra soumettre les réacteurs à une visite de sûreté approfondie, ainsi qu’à une enquête publique, pour décider de les prolonger. Mais cette percée résistera-t-elle au débat parlementaire ? Enfin, il faut souligner la faiblesse du chapitre mobilité. Certes, la loi enregistre quelques avancées pour les plans régionaux de déplacement, qui seront simplifiés. Mais elle reste obnubilée par la voiture électrique, laquelle apparaît comme la panacée. Le texte a peu travaillé sur les modalités d’usage – comment favoriser l’auto-partage, la création de flottes d’entreprise, etc. Le véhicule individuel est encore et toujours mis en avant. De plus, les problèmes spécifiques au monde rural sont escamotés : comment multiplier les bornes de recharge dans des zones peu peuplées, où la puissance du réseau de distribution est limitée ?
Propos recueillis par Patrick Piro
[1] www.transitionenergetique.orgSource : entretien publié dans l’hebdomadaire Politis n° 1322 du 9 oct. 2014 ; en kiosque (3,30 €) et en ligne à : http://www.politis.fr/1322