Que font les plus grandes banques françaises dans les paradis fiscaux ?
C’est le titre de l’étude publiée par la plateforme « Paradis Fiscaux et judiciaires » qui réunit plusieurs associations de lutte contre l’évasion fiscale, cette enquête révèle notamment qu’un tiers des filiales à l’étranger des cinq plus grands établissements français sont installées dans les paradis fiscaux.
Premiers pas vers la transparence et premiers enseignements
Par la Plateforme Paradis Fiscaux et Judicaires*
Combien les cinq plus grandes banques françaises font-elles de chiffre d’affaires dans chaque pays où elles sont implantées, y compris dans les paradis fiscaux et judiciaires (PFJ) ? Combien y ont-elles de salariés et de filiales et quelle est la nature de leurs activités ?
En 2014, pour la première fois, les banques françaises ont rendu ces informations publiques, conformément aux nouvelles obligations introduites par la loi bancaire de juillet 2013 [1].
Il s’agit du premier exemple de reporting pays par pays tel que le demande la société civile et notamment la Plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires depuis plus de 10 ans [2], même s’il est encore incomplet. Les banques françaises ont pour le moment publié des informations sur leurs filiales, leur chiffre d’affaires et leur nombre d’employés : ce n’est qu’en 2015, quand les données sur les impôts qu’elles payent, les subventions qu’elles reçoivent et les bénéfices qu’elles réalisent seront disponibles, qu’il sera réellement possible d’avoir une compréhension globale de la répartition géographique de leurs activités et de la façon dont elles ont recours aux paradis fiscaux.
Le principe même de cette nouvelle obligation de transparence est en effet de pouvoir savoir si les banques ont des activités réelles dans les paradis fiscaux ou si elles les utilisent pour délocaliser artificiellement des bénéfices, échapper à l’impôt ou pour y créer des véhicules de gestion de certains actifs risqués et contourner leurs obligations réglementaires.
Les enseignements de cette première année de publication :
La transparence, c’est possible
Tout d’abord, le simple fait que les banques aient été obligées de se plier à cet exercice de transparence constitue une véritable avancée. Pendant des années, cette proposition de « reporting pays par pays » de la société civile a été écartée au motif des coûts exorbitants et des contraintes qu’elle ferait peser sur le secteur privé. Aujourd’hui, la France a apporté la preuve qu’il était possible d’exiger de telles informations de la part des banques et l’année prochaine, conformément à la directive CRDV IV [3] adoptée en 2013, les banques européennes seront soumises aux mêmes obligations.
Au niveau européen, un doute a longtemps subsisté concernant la disponibilité de ces informations : la Commission européenne hésitait en effet à les rendre publiques et s’est offert en 2014 les services du cabinet PricewaterhouseCoopers pour mener une étude d’impact à ce sujet. Or, même ce cabinet de conseil, qui s’était positionné par le passé contre cette proposition, s’est récemment rangé du côté de la transparence. Il a en effet reconnu qu’un reporting public permettrait non seulement de lutter contre l’évasion fiscale, mais pourrait aussi avoir des effets positifs sur la compétitivité des entreprises et sur l’investissement [4]. Ce constat a été suivi par la Commission qui a rendu son avis le 2 octobre 2014 [5] : à compter de 2016 toutes les banques européennes devront rendre publiques ces informations concernant la richesse qu’elles créent et les impôts qu’elles payent dans tous les pays où elles ont des activités.
Les paradis fiscaux sont au cœur de l’activité internationale des banques françaises
Dans son rapport publié en juin 2012 [6], le CCFD-Terre Solidaire avait déjà montré qu’en dépit des annonces officielles sur la fin des paradis fiscaux et le retrait des banques de ces territoires opaques, le nombre de filiales des banques françaises (seule donnée alors disponible) situé dans ces territoires n’avait pas reculé entre 2010 et 2012, et avait même augmenté pour certaines.
Deux ans plus tard, forte de données plus exhaustives, la Plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires fait le même constat : la présence des banques françaises dans les paradis fiscaux reste tout sauf anecdotique ou marginale, que l’on utilise la liste du Tax Justice Network, que nous privilégions, ou celle de la Cour des Comptes américaine (voir Annexe 2 de l’étude).
Sommaire du rapport :
- La preuve en 7 points clés
1 – Plus d’un tiers des filiales étrangères des banques françaises sont situées dans des territoires opaques
2 – 26 % de l’activité internationale des banques est générée depuis des pays « paradisiaques » soit un montant total de 13.7 milliards d’euros
3 – Dans les paradis fiscaux, une spécialisation en solutions de placement, financement structuré ou gestion d’actifs
4 – Des salariés offshore en moyenne 2 fois plus productifs que les autres
5 – Le Grand-Duché est le paradis fiscal préféré des banques françaises
6 – L’aveu de l’offshore dans les Iles Caïmans
7 – L’attrait des paradis fiscaux supérieur à celui des économies émergentes
- Le reporting pays par pays, 10 ans de mobilisation
- Les limites de l’exercice d’analyse de ces premiers éléments
- Conclusion
- Recommandations
- Annexe 1 – Eléments méthodologiques
- Annexe 2 – Synthèse des résultats de l’étude
- Annexe 3 – Les listes de paradis fiscaux utilisées dans cette étude
Notes :
[1] Article 7 de la loi bancaire n° 2013-672 du 26 juillet 2013
[2] La même obligation a été introduite au niveau européen dans la directive CRD IV adoptée en 2013. Mais la directive n’a pas encore été transposée en droit national dans de nombreux pays. Certaines banques, notamment néerlandaises et belges, ont commencé à publier des données, mais celles-ci se sont révélées relativement incomplètes, notamment concernant la liste d’activités de leurs filiales
[3] Directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement.
[4] « Publishing banks’ taxes and turnover will help the economy, says PwC », Euractiv , le 02 octobre 2014
[5] Rapport de la Commission européenne, 30 octobre 2014
[6] « Banques et Paradis fiscaux, quand les régions françaises font mieux que le G20 pour imposer la transparence », CCFD-Terre Solidaire, juin 2012
* Membres de la Plateforme Paradis fiscaux et judiciaires :
Les Amis de la Terre – Anticor – Attac France – CADTM France – CCFD-Terre Solidaire – CFDT – CGT – CRID – Droit pour la justice –Observatoire citoyen pour la transparence Financière Internationale – Oxfam France – Justice et Paix – Réseau Foi et Justice Afrique Europe – Secours catholique Caritas France – Sherpa – Survie – Syndicat de la magistrature – Solidaires Finances Publiques – Transparency International France (www.stopparadisfiscaux.fr)
Source : Etude publiée le 13 nov. 2014 à :
Pour aller plus loin :
- Consulter le rapport complet (18 pages) téléchargeable en cliquant ci-après : etude-banques-PPFJ-13-11-2014
- Agir: en choisissant une banque n’ayant pas de filiales dans les paradis fiscaux et judiciaires.
Sur le même sujet :
- «Pour lutter efficacement contre l’optimisation fiscale, il faut penser européen » à :
- « Le G20 doit réécrire les règles fiscales » à :
http://nsae.fr/2013/09/05/le-g20-doit-reecrire-les-regles-fiscales-internationales/