Quand Jésus se fait le prochain des hommes de son temps : quelle source d’inspiration pour nous aujourd’hui ?
Par Jacques MUSSET
Intervention prononcée le 29 novembre 2014, lors de l’Assemblée générale de la Fédération des réseaux du Parvis.
On ne s’étonnera pas que, par rapport au thème général de l’AG : « Qui est mon prochain dans une société multiculturelle ? », je choisisse comme sujet de mon intervention : « Quand Jésus se fait le prochain des hommes de son temps : quelle source d’inspiration pour nous aujourd’hui ? ». En effet, comme disciples de Jésus qui prétendons vivre de l’esprit qui l’a animé, comment éviterions-nous de regarder d’un peu près comment lui-même s’est fait le prochain des personnes qu’il a croisées sur son chemin et au nom de quoi. D’emblée je pose ainsi la question en référence à la parabole dite du bon samaritain : à l’interrogation générale d’un scribe, « qui est mon prochain ? », Jésus lui renvoie une question plus impliquante « Comment te faire le prochain de ceux qui sont sur ton chemin et qui ont besoin de toi ? » Ce fut la préoccupation majeure de Jésus. Le cœur même de son engagement au nom de son Dieu. Je l’évoquerai dans la première et
la seconde partie de mon propos.
Mais par ailleurs comme nous vivons dans un tout autre contexte que Jésus, aussi bien politique, social que culturel et religieux, nous devons nous demander en quoi Jésus demeure source d’inspiration pour nous chrétiens du 21ème siècle, autrement dit quelle sont les limites et la valeur de son témoignage. Ce sera la troisième partie de mon intervention.
I- L’univers palestinien de Jésus
Avant de voir Jésus se faire le prochain de ses contemporains, il convient d’abord de se rappeler quels étaient les gens de l’univers politique, social, culturel, religieux, au milieu desquels il a vécu et qu’il a fréquentés durant les trente trois années de sa vie et notamment pendant les quelques mois ou au plus les deux années de sa vie publique ?
Les populations
1– Une population mélangée
Lieu de passage entre l’Egypte et la Syrie, la Palestine du temps de Jésus a une population mélangée. Si à Jérusalem, la majorité des habitants est juive, il n’en est pas de même dans les autres villes et surtout le long des voies de communication (le littoral méditerranéen et la Galilée). La Galilée est un vrai carrefour de races, notamment grecques.
Les grecs se sont implantés dans les siècles précédents lors de l’administration de la Palestine par les successeurs d’Alexandre le Grand mort en 323 avant notre ère et notamment sous la domination d’Antiochus IV, roi de Syrie qui a voulu au second siècle avant notre ère helléniser culturellement et religieusement la Palestine avant d’être chassé par les troupes de Judas Maccabées et ses frères (les juifs connaîtront alors un siècle d’indépendance). Au temps de Jésus on évalue à 1/3 la population non juive de la Galilée. Tibériade le long du lac a été construite par Hérode Antipas contemporain de Jésus (21 avant JC -39 après JC) en l’honneur de l’empereur romain Tibère. La ville de Sepphoris, à quelques kilomètres de la bourgade de Nazareth, est une grande cité helléniste.
Les samaritains (TOB Mt 10, 5) sont issus d’un mélange de populations juives demeurées au pays lors d’une déportation de juifs au 8ème s. av. notre ère et d’étrangers implantés à la place des déportés. Il en résulte un mélange religieux. Bien qu’ayant pour base les 5 premiers livres de la Bible, il sont exclus de la population juive, considérés comme des gens impurs. Cette pluralité de races et de cultures engendre diverses tensions. Pour le judaïsme orthodoxe, tout non juif est impur.
Les romains. Au temps de Jésus, ils sont des occupants. la Palestine est soumise politiquement à Rome depuis 63 avant notre ère et est sous l’administration directe d’un procurateur romain, Ponce Pilate (de 26 à 36), qui dispose de troupes pour le maintien de l’ordre. Ce dernier, un homme autoritaire et brutal, est honni des juifs car il a dérobé le trésor du Temple pour construire un aqueduc et fait matraquer la foule qui manifestait. On trouve des troupes d’occupation en Galilée à Capharnaüm et sur la côte nord méditerranéenne et lors des grandes fêtes en Judée et à Jérusalem.
Selon leur habitude, les autorités romaines laissent une relative autonomie, quoique très surveillée, aux autorités locales. La Galilée est soumise au tétrarque juif Hérode Antipas, fils d’Hérode le Grand. En Judée-Samarie administrées directement par Rome, et même en Galilée, une partie du pouvoir revient au Grand-Prêtre et au conseil du Sanhédrin, formé de riches notables juifs. Ceux-ci administrent la vie quotidienne et religieuse et rendent la justice selon la loi juive qui est reconnue par l’occupant (sauf en ce qui concerne le droit de condamner à mort). Ces autorités juives acceptent sans le contester le pouvoir romain, ce qui n’est pas le cas de l’ensemble de la population. Les autorités romaines et juives lèvent l’impôt par l’intermédiaire de percepteurs (dont les publicains) plus ou moins honnêtes avec les imposables.
Tout romain ou collaborateur des romains est considéré par les juifs pieux comme un ennemi. Durant l’enfance de Jésus, un soulèvement a eu lieu en Galilée à l’instigation de Judas de Gamala (Cf. Jésus de Nazareth. P.M. Beaude, p.77) et fut sévèrement réprimé comme les précédents et comme le seront les suivants.
2– La population juive sur le plan social
Socialement, la population palestinienne peut se diviser schématiquement en deux classes : des très riches et très pauvres. Voir Pergola.
Un petit groupe de privilégiés détient la puissance économique ; elle est constituée :
- par l’aristocratie hérodienne (descendants de Hérode le Grand mort et – 4 avant notre ère). Hérode Antipas qui règne sur la Galilée vit avec sa cour dans le luxe au milieu de populations pauvres et exploitées,
- par les grandes familles sacerdotales qui vivent grassement du temple (avec notamment le commerce de bêtes),
- par les gros négociants en blé, vin, huile, bois qui ont à Jérusalem d’importants entrepôts,
- par les gros propriétaires fonciers qui possèdent de grands latinfundia..
Le peuple :
Les commerçants et artisans jouissent d’une prospérité relative et voient surgir de leur sein des scribes, mais la plupart des autres sont des pauvres, méprisés par les élites religieuses. On les nomme « le peuple de la terre », terme injurieux à l’époque. Nombreux sont ceux qui assurent leur vie par un travail incertain et pénible : ce sont des journaliers embauchés dans les grandes propriétés qui reçoivent un denier et la nourriture et connaissent souvent le chômage. Le peuple supporte mal les impôts des administrations romaine et juive (par ex. la dîme pour le temple et pour l’assistance des pauvres). Du fait de mauvaises récolte ou de récession économique, il connaît souvent des conditions misérables (famine, chômage). Il n’est pas étonnant que des révoltes aient ponctué cette période. D’autres parmi les pauvres sont esclaves juifs réduits en servitude (au maximum 6 ans) par suite de vol ou d’endettement. On trouve de plus des marginaux : mendiants notamment à Jérusalem, des malades laissés près du Temple, ou parcourant la campagne à distance des bourgs.
La religion juive au temps de Jésus
Pour comprendre l’organisation de la religion juive au temps de Jésus et l’ambiance singulière qui y régnait, il faut se rappeler trois choses : a) la religion juive est fondée sur deux piliers fondamentaux ; le Temple et la Loi écrite et orale. b) Il existe différents groupes religieux structurés c) on attend dans la fièvre la venue du règne de Dieu et de son royaume.
1- Les deux piliers fondamentaux de la foi juive : le Temple et la Loi
Le Temple est considéré comme le lieu de la présence de Dieu au milieu du peuple et du monde. Lieu le plus sacré du judaïsme. Chaque jour on offre des sacrifices publics et privés. Il y a grande affluence au moment des fêtes. Le plan du temple manifeste des inégalités entre les gens. Le Temple est une grosse affaire économique aux mains des grands-prêtres et des prêtres en responsabilité, qui s’accommodent fort bien du pouvoir romain.
La loi écrite (La Thora) est l’autre pilier de la religion juive. Elle est sacrée, lue et méditée dans les synagogues. Il existe aussi la loi orale qui l’explicite et est codifiée en 613 commandements qui enserre toutes les dimensions de la vie. L’observance de la Loi est le premier devoir du juif pieux. Les enseignants et interprètes de la Loi sont les scribes, des savants patentés.
Les 613 préceptes sont très contraignants : ils définissent ce qui est pur et impur aux yeux de Dieu. Par exemple est impur ce qui touche au sang, lieu de la vie ( d’où des métiers qui rendent impurs : bouchers, tanneurs, bergers), ce qui touche à la mort, ce qui diminue l’énergie vitale (tout écoulement sexuel ), ce qui touche à la maladie surtout la lèpre, mais aussi les autres maladies considérés comme conséquence du péché ou de possession diabolique. Est également impur ce qui ressort de comportements réputés malhonnêtes (collecteurs d’impôts), ce qui contrevient aux règles de pureté par ex. le fait de ne pas se laver les mains avant et surtout après, ce qui contrevient aux règles de respect du jour du sabbat, ce qui met en contact avec les samaritains hérétiques et les païens, ce qui contrevient aux règles de moralité (prostitution, homosexualité, infidélité conjugale), ce qui contrevient aux règles de naissance légitime (par exemple sont impurs ceux qui sont nés d’union illégitime, de père inconnu…) ; sont également impurs ceux qui ne connaissent ni n’observent la loi, le petit peuple. La loi écrite définit aussi les relations conjugales et familiales : la femme n’est pas l’égale de l’homme, elle doit obéir à son mari, elle peut être répudiée par son mari pour n’importe quel motif mais l’inverse n’est pas possible. L’enfant de moins de 12 ans ne compte pas.
2- Les groupes religieux au temps de Jésus
Les Sadducéens sont un groupe formé par la caste sacerdotale et les grandes familles de notables. Ils professent une religion conservatrice. Ils ne reconnaissent que la Thora. N’admettent pas les croyances récentes : foi en la résurrection, existence des anges, attente prochaine du règne de Dieu. C’est un groupe opportuniste et collaborateur avec l’occupant.
Les Pharisiens sont un groupe important, dont l’objectif est de pratiquer et de faire pratiquer strictement la loi écrite et orale. Beaucoup de scribes (enseignants et interprètes de la Loi) sont pharisiens.
Les Esséniens en rajoutent sur l’observance de la loi. Les plus connus vivent en communauté monastique à Qumran près de la mer morte. Ils se préservent de toute impureté en pratiquant des bains rituels et en s’abstenant de tout contact avec qui et ce qui est impur.
Les Zélotes sont des juifs très religieux mais qui veulent résister aux romains par des coups de mains et des attentats. On les appelle aussi les sicaires (du nom du poignard qu’ils portent à la ceinture).
Les Baptistes prônent l’observance de la Loi par la conversion du cœur.
3– La grande affaire du temps : L’attente enfiévrée du Règne de Dieu
Pour apprécier le comportement « révolutionnaire » de Jésus dans sa relation à autrui, il faut dire aussi quelques mots sur ce qui occupait au premier plan la mentalité des contemporains de Jésus et de Jésus lui-même, à savoir l’attente enfiévrée du règne de Dieu. C’est dans ce contexte que se manifeste l’engagement de Jésus. En quoi consiste cette attente, quelles sont ses raisons et quelles sont les diverses positions des groupes religieux ?
C’est en réalité une vieille idée récurrente qui court à travers toute l’histoire biblique, surtout dans les temps de crises. Au temps de Jésus, elle resurgit avec intensité. Elle est commune à tous les juifs sauf aux gens du Temple et aux Sadducéens. En effet, dans le contexte de l’occupation romaine insupportable, des injustices que subissent les pauvres, de l’inobservance de la loi par un certain nombre de juifs, les juifs pieux attendent dans un avenir proche quasi imminent une grande révolution conduite par Dieu par l’entremise de son messie. L’avènement du règne de Dieu verra le triomphe de ceux qui respectent la loi et la déroute de ceux qui la bafouent. Ainsi apparaîtra un royaume de croyants fidèles. Ce sera la fin du vieux monde corrompu et l’avènement d’un monde nouveau, annoncé par les prophètes.
Les différents groupes religieux ont tous leur idée pour hâter la venue de ce règne :
Pour les pharisiens et les scribes, c’est l’observance scrupuleuse de la loi écrite et orale qui va déclencher la fin du vieux monde et l’avènement du monde nouveau. Seuls seront sauvés ceux qui observent la lettre de la Loi (et les fameux 618 commandements qui régissent avec précision les actes de la vie quotidienne).
Pour les esséniens, plus radicaux encore que les précédents, obsédés par le souci de la pureté rituelle et d’éviter les occasions d’impureté légale, Dieu choisira son messie (son lieutenant en quelque sorte) dans leur communauté et sans doute en la personne de leur responsable.
Pour les Zélotes, il ne suffit pas d’observer la Loi, il faut ouvrir à Dieu le chemin de la libération en faisant le coup de main contre l’ennemi dans des embuscades, des guet-apens, des assassinats.
Pour les baptistes, dont Jean est un illustre représentant, c’est la conversion du cœur qui donne accès au monde nouveau. Il n’y a guère que l’aristocratie sacerdotale et sociale juive qui, à cause de ses intérêts économiques et d’une entente cordiale avec les occupants, n’attendent rien d’un bouleversement divin qui mettrait en péril leurs privilèges.
II- Quand Jésus se fait le prochain de ses contemporains en paroles et en actes
1- La position de Jésus face au règne de Dieu qui vient d’une manière imminente.
De cette position découle sa façon de se faire le prochain des personnes rencontrées.
Dans l’atmosphère enfiévrée de son temps, Jésus annonce lui aussi, en paroles et en actes, la venue du Règne de Dieu et du Royaume qui en résulte mais prend à contre-pied les positions ambiantes. En voici pour lui quelques caractéristiques :
Ce royaume n’est pas à mériter ni à conquérir. Il advient comme un don gratuit et donc est offert à tous ; seule importe la disponibilité intérieure du cœur pour en devenir membre.
Ce royaume n’est pas un royaume matériel mais une manière d’être qui se répercute dans toutes les dimensions de la personne. « Le Royaume est au-dedans de vous », proclame Jésus. La formule est plus forte que « au milieu de vous ». Elle induit une présence intérieure, au plus intime, source de transformation, de croissance spirituelle, d’approfondissement, de don à autrui.
Ce Royaume n’est pas seulement pour demain, il est déjà là aujourd’hui et tous, absolument tous sans distinction sont conviés. Les barrières de pureté et d’impureté sont pulvérisées. S’il y a pureté ou impureté, selon Jésus, ce n’est pas en fonction de l’observation des rites religieux ou de l’appartenance à tel ou tel métier, c’est au niveau du cœur et des dispositions intimes.
Dans ce royaume, la loi est-elle dépassée ? Non, mais la loi est faite pour l’homme et non le contraire. Ce qui prime, c’est la justice, l’attention à autrui et notamment à ceux qui souffrent.
Dans ce royaume, le Temple est-il devenu caduc ? C’est une institution bien relative, répond Jésus. S’il le fréquente, il affirme que les vrais adorateurs de Dieu adorent en esprit et vérité et il va jusqu’à affirmer que le grandiose monument de pierre n’est pas éternel.
Pour promouvoir ce royaume, la violence et les armes guerrières sont-elles périmées ? Oui, car dans le monde nouveau les conflits ne se règlent pas par la violence mais par la parole et le débat ; la résistance légitime utilise les moyens de la non-violence active (pour employer une expression moderne) qui n’a rien d’une démission.
Où Jésus puise-t-il ces convictions qui font que pour lui la cause de Dieu est l’humanisation de l’homme dans toutes dimensions de son être ? C’est que loin du légalisme et du ritualisme qui corrompent sa religion, il se ressource au cœur de sa foi juive, celle qu’ont rappelée au long des siècles les prophètes et qu’on peut résumer ainsi : on ne peut honorer Dieu si l’on bafoue son frère, autrement dit : le seul critère du véritable culte rendu à Dieu, c’est de vivre une relation juste avec son prochain.
2- Quand Jésus se fait concrètement, en paroles et en actes, le prochain de ses contemporains
Ayant la conviction que le royaume, le monde nouveau, est déjà là, Jésus s’en fait le témoin. Puisque ce royaume est offert à tous sans préalable et sans distinction, il se fait proche de tous les hommes et toutes les femmes qu’il rencontre et notamment de ceux qui sont marginalisés, méprisés et ignorés pour quelque raison que ce soit.
1. Sa manière :
1.1 Il manifeste par des actes une attention particulière à tous les gens oubliés, rejetés, pour leur redonner dignité et confiance en eux-mêmes. Il se rend présent aux malades, quelque soit leur maladie ; Il fréquente les hommes et les femmes réputés impurs au regard de la Loi en raison de leur conduite ou de leur métier, il les côtoie et mange avec eux au risque de devenir lui-même impur, il leur ouvre un avenir alors qu’ils se croient irrémédiablement condamnés ; il se rend disponible aussi à ceux qui sont en recherche du sens de leur vie. Il accueille les enfants et les femmes qui comptent pour rien ou si peu de chose ; il défend les femmes contre les droits abusifs que se sont arrogés les hommes pour divorcer unilatéralement et arbitrairement. Il accueille des étrangers dans l’épreuve (un centurion romain, des non-juifs).
1.2 Il prend parti en paroles et en actes contre les discriminations et les injustices fondées sur le légalisme et le ritualisme : « Le sabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat » ; il opère des guérisons le jour du sabbat pour montrer que l’attention au besoin de l’homme prime sur le respect des règles légales ; il enfreint aussi le sabbat en laissant ses disciples froisser des épis pour se nourrir des grains… il bouscule les vendeurs dans le Temple devenu une affaire commerciale.
1.3 Il condamne les perversions que sont le légalisme, le ritualisme, l’injustice, la religion de façade, l’hypocrisie, l’addiction aux richesses, aux honneurs, l’oppression de son semblable : « Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche de l’homme qui rend l’homme impur, mais ce qui sort de sa bouche et provient du cœur » ; « Ce peuple m’honore des lèvres mais son cœur est loin de moi » ; Toutefois, il ne condamne pas les personnes qui peuvent toujours changer et se convertir : Il va même jusqu’au pardon des ennemis.
1.4 Il fait indéfiniment appel aux consciences, y compris à celles de ses adversaires : il invite sans cesse chacun à faire des choix qui l’humanisent dans le respect des autres. Avec ses paraboles, il interpelle qui veut bien écouter leur message. Il tente de faire réfléchir ses adversaires par de nombreuses discussions, par exemple dans l’épisode de la femme adultère, il interroge radicalement les dénonciateurs de la femme partisans de sa lapidation : « Que celui d’entre vous qui n’a pas péché lui jette la première pierre ». Il dénonce le culte de l’argent et des richesses qui asservit celui qui le pratique. Tous ses enseignements visent à aider chacun à faire la vérité sur lui-même et à agir en conséquence (Mt 5-7).
Par ses manières de réagir, Jésus n’est pas un « révolutionnaire » à la manière des zélotes qui vise à bouleverser les structures politiques et religieuses injustes ; son souci est de dénoncer en paroles et en actes ce qui doit l’être, de défendre les personnes injustement traitées, de rappeler que tout engagement doit provenir d’un cœur droit et que tout changement de structures est insuffisant s’il n’est pas animé de l’intérieure par des motivations de justice.
2- Sa motivation
Jésus se réclame du Dieu des prophètes pour qui le vrai culte à Dieu doit s ‘accompagner d’une relation juste et authentique avec les autres, sinon ce culte est une hypocrisie. Les prophètes sont même allés plus loin, le vrai culte rendu à Dieu est la relation vraie avec les autres fondée sur la justice. Jésus s’inscrit dans cette tradition qu’il porte à un accomplissement inconnu jusque là ; il manifeste clairement en paroles et en actes que la passion de son Dieu est que l’homme vive en toutes les dimensions de son humanité
3- Quelques exemples
Sur cette toile de fond rapidement brossée, évoquant la conduite de Jésus se faisant le prochain des gens rencontrés, arrêtons-nous sur quelques épisodes significatifs où Jésus s’investit non seulement en paroles mais aussi en actes. Chez Jésus il y a constamment un souci de cohérence entre parole et actes. C’est ce qui donne du crédit à son témoignage. Ainsi révèle-t-il le visage de son Dieu.
3.1 Une controverse à propos d’un de ses miracles, entre lui et ses détracteurs, ici les pharisiens : Mt 12, 22-28. Il est historique que Jésus a opéré des guérisons (en quoi ont-elles consisté, c’est une autre chose), ce qui ne veut pas dire que tous les récits évangéliques de guérisons aient un fondement historique. Dans le cas présent, les exégètes pensent qu’il y en a un. Lire le passage.
La guérison qu’opère Jésus est celle d’un homme aveugle et muet à qui il rend la vue et la parole. Son état était en ce temps là attribué à l’action des démons et donc victime d’une possession. présenté comme une possession des démons. La guérison opérée par Jésus est donc un exorcisme qui chasse les démons et c’est pour lui la manifestation que Dieu est à l’oeuvre. Jésus est violemment contesté par ses opposants pharisiens. Leur raisonnement est le suivant : un homme qui viole la loi, disent-il, ne peut faire des exorcismes au nom de Dieu, c’est un suppôt de Béelzéboul, le chef des démons 12,24. Jésus leur démontre finement et avec humour le contraire et les met devant leur contradiction, 12,25-28 Lire la citation ce qui revient à dire : Si les perturbations de la santé psychique et physique du malade sont attribuées aux démons, alors la libération de ce malade qui retrouve son autonomie ne peut venir que de Dieu, qui (dans la grande tradition biblique) est un Dieu sauveur. En se faisant le prochain des malades et en les guérissant, y compris en violant la lettre de la loi ( guérir le jour du sabbat), Jésus témoigne en actes d’un Dieu dont la passion est que les hommes soient libérés de tout ce qui les empêche de vivre humainement psychologiquement, physiquement, socialement, spirituellement.
3.2 A propos des fréquentations de Jésus, ici au cours d’un repas : Mt 9,9-13 Jésus affectionne frayer avec ceux qui au regard de la loi sont marginalisés et infréquentables, car impurs. Partager un repas, rompre le même pain et boire à la même coupe, c’est, en milieu juif, vivre une communion profonde. Les pharisiens, gardiens sourcilleux de la loi écrite et orale, s’en offusquent et crient au scandale : « Comment lui qui se dit de Dieu peut-il se souiller avec des gens impurs ? » : Jésus leur répond « Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin du médecin mais les malades. Allez donc apprendre ce que signifie : C’est la miséricorde que je veux, non le sacrifice ». Cette dernière phrase est une citation du prophète Osée 8ème s. avant Jésus. Cette parole rappelle à son peuple qu’aux yeux de Dieu les rites ne sont rien si l’on méprise et exploite son prochain. Pour lui, son Dieu non seulement n’exclut ni ne rejette personne, quels qu’aient été son passé, ses fautes, ses erreurs, mais Il est un Dieu qui a foi en l’homme.
3.3 L’épisode de la cananéenne. On pourrait lire cet épisode comme un élargissement de la conscience de Jésus vis à vis de la conscience de sa mission. En effet, réticent d’abord vis à vis de la demande de la femme non juive voire même humiliant à son égard, « Je ne peux rien pour toi l’étrangère car je ne suis pas envoyé à d’autres personnes que mes compatriotes d’Israël », Jésus, devant l’obstination teintée d’humour de la femme, craque, et, de son refus hautain au point de départ, il se laisse gagner par des sentiments d’admiration et d’émerveillement pour l’étrangère et sa foi. Ce jour-là Jésus n’a-t-il pas eu la révélation intime qu’il se devait aussi d’être le prochain de l’étranger vivant au-delà de ses frontières habituelles, autant que ses compatriotes juifs ?
3.4 L’enseignement sur le pardon aux apôtres Mt 18, 21-35 . Ce passage est dans le chapitre 18 de Mt consacré à la vie communautaire. Bien entendu, la rédaction reflète les difficultés concrètes que rencontrait la communauté de Matthieu et notamment la manière de faire face aux injustices des uns par rapport aux autres. Mais l’invitation au pardon est un héritage de Jésus. Dans son groupe, comme partout où se côtoient des humains, on s’écharpait, on rivalisait, on s’offensait. A plusieurs reprises, Jésus invite ceux qui le suivent et d’abord ses apôtres à ne pas rendre le mal pour le mal, ce qui ne ferait que développer la spirale de violence ; il va même plus loin en conviant à pardonner à celui dont on subit un préjudice, c’est à dire à ne pas enfermer l’autre dans le mal qu’il a fait, à ne pas le juger définitivement comme incapable de s’amender et de changer d’attitude. Ce qui ne signifie pas subir passivement, refuser de défendre ses droits légitimes, capituler. Jésus donne l’exemple. Face à ses détracteurs, qui ne manquent pas une occasion de l’attaquer et de lui tendre des pièges, de le calomnier et de le déconsidérer, il résiste vigoureusement, astucieusement et non sans humour.
D’où tire-t-il cette conviction que la résistance non-violente et le pardon sont chemin de vie, alors que dans sa tradition spirituelle on n’est pas encore allé jusque là ? « Œil pour œil, dent pour dent », c’est la loi en vigueur. A dommage subi, même dommage infligé, pas plus mais pas moins. Jésus innove. Son expérience du conflit lui a montré l’impasse mortelle de la vengeance qui fait inévitablement proliférer le mal. Par intuition, il comprend que son Dieu ne peut être un Dieu vengeur et justicier qui récompense les bons et punit les méchants mais un Dieu de miséricorde qui ne condamne pas mais espère indéfiniment l’homme. Mt 5, 38-42
4- Conséquence : un conflit en trois directions (on oublie souvent les 2 premières) :
4.1 avec sa famille qui le prend pour un fou Mc 3, 20-21. Sa famille, ce sont ceux qui font la volonté de Dieu… Dur dur pour les siens !
4.2 avec ses disciples : il les remet en cause dans leurs prétentions à revendiquer les premières places et le monopole d’être les vrais disciples, il les reprend vertement dans leur désir de se venger contre ceux qui n’ont pas accueilli leur parole, il les conteste dans leur rejet des enfants quantité négligeable, il dégonfle leurs rêves d’un royaume temporel, il s’oppose à eux quand il veulent l’empêcher de courir des risques…
4.3 avec ceux qui oppriment ses contemporains : les tenants de la loi qui l’ont transformée en légalisme, les tenants du temple qui en ont fait une entreprise de ritualisme et d’enrichissement financier, les riches qui exploitent le peuple et lui imposent un sort misérable.
Nous savons le prix que Jésus a payé pour annoncer pareillement la venue du règne de Dieu. Un prix très fort, celui de sa vie. Suspecté, calomnié par ses adversaires et notamment les gens du Temple, en butte à mille tracas, il a fini par être arrêté, torturé et assassiné comme blasphémateur de Dieu. Mais les apôtres et disciples proclameront quelque temps plus tard que c’est lui le véritable témoin de Dieu.
III- Pour nous aujourd’hui qui nous disons disciples de Jésus, comment nous laisser inspirer par lui pour nous faire à sa manière le prochain de nos contemporains ? Quelles sont les limites et la valeur de son témoignage ?
Les limites de son témoignage : ce qui est périmé
1- D’une part, notre temps n’est plus celui de Jésus ni politiquement, ni socialement, ni culturellement, ni religieusement.
Il est même tout à fait différent et nous le vivons à une dimension mondiale, ce qui n’était pas le cas il y a vingt siècles. Qui sont pour nous aujourd’hui les pauvres, les estropiés, les marginalisés, les rejetés, les oubliés ?
Par ailleurs le règne de Dieu que Jésus annonçait (le grand jour, l’avènement du royaume de Dieu !) n’est pas arrivé comme il le pressentait. Il en attendait la réalisation totale d’une manière imminente. La réalité a été autre. Au cours des dizaines d’années qui ont suivi la mort de Jésus, on a continué à attendre. En vain. Le monde nouveau est déjà là mais que très partiellement et nous le vivons depuis 19 siècles dans une durée dont on ne voit pas ce que pourrait être sa fin..
Jésus vivait dans une situation d’urgence face à une réalité imminente qui révélerait le fond des cœurs : pour lui, les choix n’attendaient pas, il fallait trancher dans le vif, il n’y avait pas de demi mesure, sinon il serait trop tard pour être au rendez-vous de cette réalité décisive. Cela explique sans doute que Jésus mène tambour battant son activité de témoin du règne de Dieu déjà là et qui ne saurait tarder à se manifester totalement.
Nous sommes dans une autre situation : le monde nouveau, nous en avons vu la couleur en Jésus mais il n’y a pas eu de révolution totale du monde et des humains. Cette couleur du monde nouveau, nous avons à nous efforcer, au long des mois et des années, dans la patience et la persévérance, les avancées et les reculs, les réussites et les échecs, de l’incarner dans l’épaisseur de nos vies ambigües et de nos sociétés où règnent la violence en tous domaines, les injustices, les mensonges, les rêves insensés, le chacun pour soi. C’est exigeant, c’est décapant, mais il ne peut en être autrement. Le bon grain et l’ivraie poussent ensemble irrémédiablement.
A nous de découvrir dans ce monde imparfait comment nous faire le prochain d’autrui, spécialement des personnes et des groupes oubliés, marginalisés, rejetés, opprimés, victimes d’injustices, ce qui suppose non seulement ouverture du cœur mais lucidité, ouverture, analyse.
2- D’autre part Jésus était un homme singulier qui en son temps a fait des choix singuliers et qui avait ses propres limites.
Sa manière concrète de se faire le prochain de ses contemporains a été unique. Elle a dépendu des circonstances particulières dans lesquelles il s’est trouvé et de ce qui au moment l’animait intérieurement. Vouloir copier et imiter Jésus tel quel serait une infidélité majeure. Chacun est un mystère qui n’est pas reproductible. S’inspirer de la façon de vivre de quelqu’un est tout autre chose que de vouloir l’imiter, entreprise tout à fait vaine et même malsaine.
Jésus a été un homme singulier et non l’Homme avec un grand H. Il n’a pas vécu toutes les expériences humaines et spirituelles ; il s’est efforcé seulement mais à quel degré de qualité d’humanité de conduire la sienne propre avec une droiture et une authenticité peu communes. C’est pour cette raison qu’il est pour nous comme pour tant d’autres avant nous référence essentielle.
Chacune et chacun de nous avons notre tempérament, notre histoire, nos propres limites. A nous de trouver notre façon singulière et originale de nous faire le prochain d’autrui. Ce qui n’est pas évident et suppose inventivité, courage, persévérance, ressourcement. Il n’y a pas de modèle tout fait, pas de consignes données d’avance. On entendait autrefois et on entend encore des gens qui se posent la question : qu’est-ce que Jésus ferait à ma place, à notre place ? Ce questionnement n’a pas de sens. Car Lui a fait sa part il y a vingt siècles.
A nous de faire la nôtre aujourd’hui.
3- Enfin les représentations de Jésus concernant le monde, l’homme et Dieu étaient celles d’un juif de son temps et ne sont plus les nôtres.
Pour mémoire, rappelons-nous quelques-unes de ses conceptions sur le monde, l’homme et Dieu. Pour lui, Dieu est le tout autre qui est aux cieux Mt 12, 50. C’est Lui qui a créé le monde et le couple Mc 10,1-12, Lui qui gouverne le monde avec sollicitude, car il est bon comme un Père Mt 7, 25ss – Mt 5,45 ; Lui qui a donné la Loi à son peuple Mt19, 18-19, – Mc 7,8 ; Lui également, qui a parlé par les prophètes Mc 7, 6 ; Par la Loi et les prophètes, Dieu exprime sa volonté, qui est le chemin de la vraie vie. Jésus croit aussi en Satan et dans les démons, adversaires de Dieu qui s’emparent des hommes, il les chasse par la puissance de Dieu Mt 12, 26.28. Jésus croit que Dieu ressuscitera les morts au dernier jour Mc 12, 23…
Pour Jésus, comme pour son peuple, Dieu est la clé de voûte de tout, bien qu’il ait affiné, élargi, approfondi l’héritage reçu. Par ailleurs, il vit dans une étonnante intimité de Celui qu’il appelle Abba, papa, au nom et au bénéfice duquel il prend position avec une liberté étonnante.
Aujourd’hui dans notre monde marqué par la modernité, du moins notre monde occidental, la plupart des gens ne se pensent plus et ne pensent plus le monde et Dieu comme au temps de Jésus. Comment donc dire Dieu aujourd’hui, pour signifier qu’il est la source qui nous inspire de nous faire le prochain d’autrui ? Il y a là tout un travail d’échanges et de réflexion à conduire.
La valeur toujours actuelle de son témoignage : 4 remarques
1- C’est au niveau de l’esprit qui animait Jésus que nous avons à nous approprier son témoignage.
J’entends le mot « esprit » au sens de la motivation et de l’attitude qui ont orienté et déterminé son existence. Regarder Jésus vivre en son temps nous permet de déceler ce qui l’habitait intérieurement, ce qui le motivait à risquer sa vie pour témoigner du Dieu dont il se réclamait. Etre fidèle à sa démarche c’est donc avant tout nous efforcer de vivre du mouvement intérieur qui était le sien et comme lui de l’incarner mais à notre façon et dans une pratique (paroles et actes). Cet esprit qui l’animait, nous l’avons vu, c’est l’accueil, la défense et la promotion des personnes, spécialement les marginalisées, les exploitées, les méprisées, les disqualifiées, les oubliées, les rejetées pour toutes sortes de raisons ; c’est aussi la dénonciation des structures et des représentations qui oppriment. A nous d’incarner ces valeurs aujourd’hui même si ces valeurs ne sont pas spécifiquement chrétiennes.
2- L’esprit qui animait Jésus vis à vis de son prochain, il le référait à Dieu, la Source des exigences intimes qui émanait de ses profondeurs.
Il s’exprimait à travers des représentations de Dieu qui étaient celles de la foi juive de son temps. Pour nous, il importe de ne pas confondre les représentations qu’il avait de son Dieu avec le mouvement de sa foi en son Dieu, fait de confiance, de disponibilité, de fidélité. C’est un exercice essentiel, capital. Notre fidélité créatrice ne se joue pas au niveau des représentations qu’il avait de son Dieu et donc de son langage, relatifs à son contexte culturel et religieux, mais elle se joue dans la ligne du mouvement personnel de sa foi en son Dieu. D’où l’importance capitale de faire la différence entre les deux, ce qui nous autorisera nous-mêmes, dans le contexte culturel où nous vivons, à avoir nos propres représentations de Dieu et de ce fait nos propres langages. Le Dieu de Jésus nous appelant à nous faire les prochains de nos contemporains, comment le nommer aujourd’hui ?
3- L’esprit qui animait Jésus se traduisait par sa manière de s’engager résolument à ses risques et périls à travers paroles et actions :
Il a fait preuve de constance jusqu’au bout, en dépit des oppositions et incompréhensions, il ne s’est jamais dérobé aux appels qui le sollicitaient, il n’a pas craint le qu’en dira-t-on, les critiques, les calomnies ; il a veillé à la cohérence entre son dire et son vivre, entre son enseignement et son style de vie, mais il s’est toujours refusé à haïr, à prendre une revanche, à écraser ses adversaires.
A nous de traduire cet esprit dans nos façons concrètes de nous engager et dans nos mentalités.
4- Enfin l’esprit qui animait Jésus au service de son prochain émanait d’une droiture de cœur et d’intentions authentiques, non contaminées par la recherche du pouvoir et de l’avoir, par l’hypocrisie et de la duplicité, par les partis pris injustifiés, par les fausses évidences du temps.
A nous de nous inspirer de cet esprit d’authenticité et d’être vigilant sur ce qui nous anime réellement en nous faisant le prochain d’autrui.
Conclusion
Quelques remarques finales pour que notre référence à Jésus ne soit pas une simple répétition mais une recréation.
1- Pour nous faire le prochain de nos contemporains aujourd’hui à la manière de Jésus, nous n’avons jamais fini de regarder vivre Jésus et de méditer son expérience unique. Si ce n’est pas suffisant, c’est indispensable pour qui prétend être son disciple. Cela implique deux conséquences indissociables l’une de l’autre : d’une part, travailler sérieusement sur les textes évangéliques pour faire émerger la figure historique de Jésus de Nazareth dans toute son ampleur (sinon on risque d’en rester à des idées toutes faites) et d’autre part, méditer à longueur de vie, seul et en communauté, son témoignage afin de s’imprégner de son esprit. Ces deux chantiers ne sont jamais terminés parce que, notre propre existence étant en perpétuelle évolution, nous avons sans cesse à revenir à la source qui est Jésus pour mieux le percevoir et même le découvrir sous un jour nouveau.
2- Le témoignage de Jésus nous appelle à ne pas nous payer de mots : nous faire le prochain de nos contemporains, proches de nous ou plus éloignés, se traduit par des actes, accomplis individuellement et /ou collectivement. Chacun s’y engage à sa manière, selon son charisme et ses possibilités (nous ne sommes pas tout puissants et nous ne pouvons pas être partout). En cela, il est important de cultiver la cohérence entre notre attention concrète vis à vis de notre prochain le plus proche et nos engagements vis à vis des autres plus lointains.
3- Si notre fidélité au témoignage de Jésus doit se traduire dans les faits, les manières de lui donner corps sont infinies. Ainsi pouvons-nous mesurer sa fécondité à travers les siècles, aujourd’hui comme hier, en nous, près de nous et loin de nous. D’où l’importance d’être aujourd’hui créatif et attentif aux témoignages si divers à travers notre vaste monde et de nous en émerveiller.
4- Tout langage sur le Dieu de Jésus, source de notre engagement au service de notre prochain, ne peut être que le témoignage d’une expérience personnelle et communautaire de libération. Un langage sur Dieu déconnecté d’une expérience est vide. La fidélité n’est pas répétition mais recréation. A nouvelle époque, nouvelle exigence de dire « Dieu » dans la culture du temps. Ne craignons pas de nous y risquer. C’est notre responsabilité.
5- Vivre dans l’esprit de Jésus au service de son prochain n’est pas le monopole des chrétiens. Sans référence à Dieu, des gens nombreux à travers le monde vivent des valeurs qui étaient celles de Jésus. Ces valeurs sont d’ailleurs universelles et font partie de l’essence de l’homme dont le souci est d’inventer sa vie dans la vérité, l’authenticité, l’attention aux autres, notamment à ceux qui sont les plus oubliés. L’important n’est pas ce qui est étiqueté chrétien, mais ce qui consonne avec la pratique de Jésus de Nazareth.
6- L’existence de Jésus vécue au service effectif de son prochain au nom de son Dieu ne peut pas ne pas interroger les Eglises. Si le Dieu invisible ne se laisse pressentir que dans l’engagement des vies animées par l’esprit de Jésus, la mission prioritaire des Eglises n’est- elle pas d’appeler ceux qui se disent disciples de Jésus à cet engagement en même temps qu’à des temps de ressourcement personnel et communautaire ? Par ailleurs au niveau de son propre fonctionnement, l’Eglise n’a-t-elle pas besoin de demander si les relations entres ses membres sont bien inspirés par l’esprit de Jésus et, si ce n’est pas, le cas ce qu’il faut changer pour plus d’égalité, de fraternité, de justice ? Ce chantier ne peut être esquivé. Il en va de la cohérence entre le témoignage proclamé à tous vents et la manière d’en vivre effectivement à l’intérieur de l’Eglise.
7- Je finis avec l’évocation de trois passages des évangiles : Le premier est une exigence ; les deux autres sont un encouragement.
1er texte : une exigence. En Matthieu 25, 14-30, la parabole des talents. Un homme, à son départ (on ne sait s’il reviendra), confie ses biens à ses serviteurs : un ou plusieurs talents. Aucune consigne, rien de sa part. Les deux premiers serviteurs entreprenants prennent le risque de faire valoir les talents reçus et ça réussit. Le troisième, par crainte de tout perdre, fait la politique de l’autruche, il enfouit en terre le talent reçu. Les deux premiers sont félicités et gratifiés. Le troisième est condamné.
J’actualise : Depuis Jésus, c’est à ses disciples de jouer, de prendre le risque de faire fructifier sa parole et sa pratique. Sommes-nous dans la posture du risque à courir en se faisant le prochain de qui nous entoure ou bien sommes-nous dans la posture de la peur, soucieuse avant tout de ne pas nous compromettre ? Dans le premier cas, courir le risque est la condition de la fécondité ; dans le second, le repliement sur soi est indicateur de stérilité.
2ème et 3ème textes : un encouragement. En St Jean, deux paroles sont mises sur les lèvres de Jésus qui traduisent la méditation de la communauté où est né l’évangile.
16, 7« Il est bon que je m’en aille, car si je ne pars pas, le Souffle ne viendra pas à vous »
14,12 « En vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera lui aussi les oeuvres que je fais ; il en fera même de plus grandes… »
J’actualise ainsi : pourquoi aurions-nous peur puisque nous sommes assurés d’avoir en permanence le Souffle suffisant pour vivre de l’esprit de Jésus et témoigner de son Dieu ! Comment ne pas nous sentir encouragés à être créatifs pour faire advenir sans cesse de nouvelles figures d’évangile ?
Un dernier mot pour nous rassurer et nous stimuler s’il en était besoin dans la mise en oeuvre effective et exigeante de l’appel de Jésus à nous montrer le prochain de ceux qui sont sur notre route. Cela peut nous effrayer tant nous connaissons nos limites et l’ampleur de la tâche.
Ces deux paroles peuvent être un viatique. La première est de Sulivan à qui une lectrice demanda un jour s’il vivait bien tout ce qu’il écrivait : Il répondit : « Détrompez-vous Madame, je vis toujours en deçà de ce que j’écris mais je jette les mots devant moi pour qu’ils me tirent en avant »….
La seconde du poète René Char : « L’impossible, nous ne t’atteignons pas, mais il nous sert de lanterne. »…
Que le témoignage de Jésus nous tire sans cesse en avant et qu’il demeure par tous les temps une lanterne qui éclaire notre chemin.
Jacques Musset
EN SAVOIR PLUS sur l’Assemblée générale tenue à Rezé (près de Nantes) :
► Visitez le site de la Fédération des Réseaux du Parvis : http://www.reseaux-parvis.fr/chretiens-en-liberte/
► DIAPORAMA (démarrage après 30 s de publicité). Photos : Claude Naud, Lucette Bottinelli.