Bruxelles pourrait enterrer son projet de réforme bancaire
Par Cécile Ducourtieux
Jonathan Hill , le commissaire aux services financiers, évoque le retrait de la directive destinée à mieux encadrer les activités spéculatives.
Séparer au sein des banques européennes les activités à risque pour éviter de nouvelles crises : la proposition a été portée, depuis près d’un an, par Michel Barnier, quand il était commissaire au marché intérieur et aux services. Ambitieux, ce projet de directive a suscité de vives controverses. Et alors qu’une nouvelle Commission est en place depuis début novembre, le projet législatif de réforme bancaire pourrait être abandonné.
Le nouveau commissaire aux services financiers, le Britannique Jonathan Hill, a fait parvenir, le 18 novembre, à Frans Timmermans, numéro deux de la nouvelle Commission européenne, une lettre dans laquelle il évoque le retrait de la proposition de son prédécesseur comme une option à envisager en 2015. « Dans le cas où les Etats membres de l’Union européenne continueraient à ne pas soutenir – l’initiative –», dit-il.
C’est Philippe Lamberts, un des leaders des Verts au Parlement européen, très au fait du sujet de la régulation bancaire, qui, jeudi 4 décembre, a alerté les médias à propos de cette lettre de M. Hill. ” Le signal qu’il envoie aux Etats membres est clair : « Continuez à privilégier une stratégie de pourrissement de ce dossier, et nous nous chargerons de tuer dans l’œuf la réforme bancaire », accuse M. Lamberts.
La proposition de M. Barnier ciblait les trente plus gros établissements de l’UE, dont la faillite déstabiliserait l’économie. Il visait à interdire aux banques, dès 2017, de spéculer pour leur compte propre sur des produits financiers s’échangeant sur les marchés (actions, obligations, etc.) et sur les matières premières. Il proposait que les autorité bancaires nationales, au-dessus d’un certain volume réalisé, obligent les banques à filialiser leurs activités à risque.
Levée de boucliers
Les propositions de M. Barnier étaient inspirées de la réforme américaine, dite « Volcker » , du nom de l’ancien président de la Réserve fédérale américaine (Fed, banque centrale). Elles ont suscité une levée de boucliers immédiate et vigoureuse. Notamment en France. Au sein des banques. Mais pas seulement. Les banquiers français ont reçu l’appui des pouvoirs publics. Ces derniers ont fait savoir à Bruxelles que le projet était « irresponsable » pour reprendre le terme, plutôt fort dans la bouche d’un banquier central, de Christian Noyer, le gouverneur de la Banque de France.
L’argument avancé ? Le projet fragiliserait les banques et serait plus contraignant que les réglementations, assez « light », que la France a adoptées après la crise. Ces dernières consistent surtout en un renforcement des organes de contrôle nationaux. Le Royaume-Uni, qui a aussi adopté ses propres règles (dites « loi Vickers ») et l’Allemagne militaient aussi contre ce texte.
« M. Hill ne dit pas du tout dans son courrier qu’il faut se débarrasser de la proposition Barnier. Il se livre juste à l’exercice, imposé par la nouvelle Commission, d’évaluation des chantiers en cours dans notre institution », argumente une source bruxelloise.
Tamisage législatif
De fait, la Commission Juncker veut se concentrer sur quelques sujets (le numérique, l’énergie, la relance de l’économie). Elle a décidé de faire le tri entre tous les projets de textes législatifs portés par ses services et de ne retenir que ceux qu’elle juge prioritaires. Ou ayant une chance d’aboutir. C’est-à-dire d’obtenir un accord au Conseil, la réunion des Vingt-Huit, et/ou au Parlement européen. M. Timmermans est responsable de ce tamisage législatif.
Or, le projet Barnier coche une de ces cases : du point de vue de M. Hill, le texte qui divise pourrait ne pas passer la barre du Conseil, en raison de l’opposition forte des trois plus grandes économies de l’Union européenne, la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne.
« Aucune décision n’a été prise, en tout cas pour l’instant », prévient une source européenne. « En l’état, le texte dont on parle a peu de chances de passer. A moins qu’il soit réécrit sous une forme allégée, avec une séparation des activités risquées qui ne serait plus obligatoire, mais seulement optionnelle, par exemple », relève une autre source bien renseignée.
Cécile Ducourtieux
Source : publié dans le Cahier du « Monde » Eco&entreprise daté du 7-8 décembre 2014.
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