Fraude fiscale : et si une simple lettre suffisait ?
Par Thibault Gajdos
Le ministre des finances, Michel Sapin, a annoncé, mardi 2 décembre, avec enthousiasme, que les contrôles fiscaux apporteraient 900 millions d’euros supplémentaires au budget de l’Etat en 2015. La somme est bienvenue au regard des difficultés budgétaires ; elle est ridicule comparée à l’ampleur des sommes qui échappent à l’impôt. Elle vient cruellement souligner l’importance, budgétaire et morale, de la lutte contre la fraude fiscale. On estime en effet à environ 50 milliards d’euros le montant annuel de la fraude aux prélèvements obligatoires. Les nouvelles recettes attendues par Michel Sapin, qui sont liées à la régularisation volontaire de contribuables détenant des comptes à l’étranger, moyennant un aménagement des pénalités, ne sont donc qu’une goutte d’eau dans les abysses de la fraude et de l’évasion fiscales.
Cette situation s’explique en partie par la faiblesse des moyens dont dispose l’administration fiscale. Comme le note la Cour des comptes dans son rapport annuel de 2012, la probabilité qu’un détenteur de l’une des 500 plus grandes fortunes françaises fasse l’objet d’un examen fiscal approfondi est de 2,3 % par an, ce qui correspond à un contrôle tous les quarante ans ! Les contrôles des détenteurs de hauts revenus ou de patrimoines élevés sont par ailleurs peu efficaces, l’administration étant assez démunie face à des dossiers complexes, où la frontière entre la fraude et l’optimisation fiscale peut être incertaine.
La lutte contre la fraude fiscale pourrait être améliorée si l’on renforçait les moyens dont disposent les organismes de contrôle. Malheureusement, la disette budgétaire interdit toute augmentation significative des ressources des services fiscaux. Il serait certes possible d’améliorer, à moindre coût, la capacité de contrôle de l’administration fiscale, en lui permettant d’accéder à plus d’informations. Des députés socialistes et écologistes ont fait plusieurs propositions en ce sens, visant notamment à imposer une plus grande transparence de l’organisation financière internationale des grandes entreprises et de l’activité des cabinets spécialisés dans le conseil fiscal. Les pudeurs de jeune fille avec lesquelles le gouvernement les a rejetés ne laissent guère espérer de grand progrès dans cette direction.
Effet spectaculaire
Comment un gouvernement affaibli et sans moyens budgétaires peut-il lutter contre la fraude fiscale ? Une étude parue en juillet de Kristina Bott et de ses collaborateurs de la Norwegian School of Economics suggère une piste intéressante (« You’ve got mail : A randomised field experiment on tax evasion » – « Vous avez reçu un courrier : une expérience de terrain sur l’évasion fiscale », Discussion Paper 26/2014).
Avec l’aide de l’administration fiscale, ces chercheurs ont repéré 18 000 contribuables norvégiens susceptibles de détenir des avoirs à l’étranger. Ils ont fait parvenir à 16 000 d’entre eux, peu de temps avant la date habituelle pour remplir sa déclaration d’impôt, des lettres émanant de l’administration fiscale. Certaines rappelaient les règles de déclaration des avoirs détenus à l’étranger ; résultat constaté a posteriori : les destinataires ont déclaré en moyenne 40 % de plus d’avoirs à l’étranger que ceux qui n’avaient pas reçu ce courrier.
D’autres lettres contenaient un paragraphe additionnel qui, pour les uns, indiquait que le risque de détection d’une fraude était élevé (en précisant que l’administration fiscale possédait des informations sur les avoirs détenus à l’étranger les années précédentes), pour les autres, soulignait l’aspect immoral de la fraude fiscale. L’effet a été spectaculaire : les destinataires de ces deux types de courriers ont déclaré au moins deux fois plus d’avoirs à l’étranger que ceux qui ne l’avaient pas reçu.
Une telle intervention n’est guère coûteuse, et pourrait aisément être adoptée en France. Evidemment, l’efficacité des contrôles fiscaux étant ce qu’elle est, cela suppose que les contribuables français aient une certaine foi dans les vertus de l’impôt. Il n’est pas sûr que la récente décision du gouvernement d’exonérer de tout impôt les organisateurs des compétitions sportives internationales sur le sol français y contribue.
Thibault Gajdos
Thibault Gajdos est chercheur au Centre national de la recherche scientifique
Source : publié dans le Cahier du « Monde » n° 21736 Eco&entreprise daté vendredi 5 décembre 2014.
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