« Engrenage : les jeunes face à l’islam radical ». Ados sous emprise
Comment de jeunes Français tombent-ils entre les mains des islamistes radicaux ? La documentariste Clarisse Féletin a rencontré plusieurs d’entre eux. Elle analyse les étapes de leur embrigadement, entre séduction et manipulation.
Agés de 15 à 17 ans, Nora, Rachel, Kathie, Samy et Lorie ont été endoctrinés par des fondamentalistes musulmans. La réalisatrice Clarisse Féletin a rencontré ces jeunes et décrypté le processus d’emprise mentale orchestré, via Internet, par des recruteurs.
Entretien
Propos recueillis par Emmanuelle Skyvington
Après avoir enquêté sur le harcèlement sexuel ou encore le Qatar, comment avez-vous été amenée à filmer ces mineurs manipulés par des terroristes islamistes ?
Il y a un an, j’ai rencontré un gendarme dont la fille avait été endoctrinée. Autrefois épanouie, elle s’était repliée sur elle-même, s’était mariée et avait stoppé ses études. Le désespoir du père n’était entendu ni de la police ni des services sociaux. En gros, on lui répondait : « Votre fille a le droit de choisir sa religion. » Lui savait que l’islam, religion de paix, n’amène pas à se couper de sa famille, de l’école et de la société. Au contraire. Son témoignage a été le point de départ de mon enquête sur ces jeunes qui, en deux mois, décident de partir dans un pays en guerre comme la Syrie.
J’ai rencontré des parents orphelins de leurs enfants et l’anthropologue Dounia Bouzar, qui, à l’époque, n’avait pas encore médiatisé le combat de son association [1]. Enfin, j’ai appris dans la presse qu’un collectif d’une trentaine d’associations venait de se créer à Strasbourg avec un mot d’ordre fort : « Ne touchez pas à nos jeunes ! », pour réagir au départ de cinq amis d’enfance. Après leur avoir longuement parlé et présenté mon travail, ils ont accepté que je les filme.
Le 8 février 2014, à Strasbourg, des habitants protestent contre l’endoctrinement des jeunes appelés à partir faire le djihad en Syrie.
Quels sont les profils de ces adolescents partis « faire de l’humanitaire » ou combattre en Syrie ?
Tous ces jeunes ont envie d’être utiles à la société, et reconnus. Ce sont des ados hypersensibles, en quête de spiritualité et de repères, qui se tournent vers Internet pour trouver des réponses. Ils viennent de tous les milieux socioprofessionnels et de familles musulmanes, chrétiennes, juives ou athées.
Avec son équipe, Dounia Bouzar suit de nombreuses jeunes filles, dont beaucoup des classes moyenne et supérieure, bien insérées. A l’inverse, dans le quartier de la Meinau, à Strasbourg, les jeunes garçons et filles qui participent aux débats organisés par « Ne touchez pas à nos jeunes ! » sont issus de milieux populaires, marqués par le chômage et l’exclusion sociale.
Quelles sont les techniques utilisées par les recruteurs pour asseoir leur emprise mentale ?
Quand on décortique le processus d’endoctrinement mis au point par les terroristes, on constate qu’il y a une série d’étapes, dont Internet est le vecteur essentiel. Grâce à des vidéos, ils persuadent le jeune qu’il vit dans un monde où on lui ment sur tout : les vaccins, la nourriture et bien sûr l’information sur la Syrie. Ils tiennent un discours apocalyptique sur la fin du monde.
Lorsqu’il s’agit d’enrôler des jeunes filles, les recruteurs ont recours à la séduction amoureuse, leur garantissant qu’elles sont « élues » par Allah pour aller se battre et mourir en martyres. Des attentions, des flatteries qui précèdent un état de soumission, puis d’isolement et de haine de sa vie passée. Entre les mains de manipulateurs qui leur proposent un prêt-à-penser sur le bien et le mal, ces jeunes se coupent de tout, changent de prénom et renient famille, souvenirs et histoire personnelle.
Comment peut-on lutter contre ce phénomène ?
Le travail de reconstruction est très long. Pour ces jeunes, intégrer qu’ils ont été manipulés et échapper à un discours radical est difficile. Mis à part quelques associations et l’équipe de Dounia Bouzar, qui ont un vrai savoir-faire, on manque en France de structures permettant d’accompagner leur déradicalisation. La solution du tout-répressif et de la prison est contre-productive : ces filles et garçons devraient au contraire témoigner devant les autres jeunes, leur dire combien ils regrettent d’être partis. C’est ce que Fouad, le frère de Nora, a fait en racontant l’histoire de sa sœur séquestrée à Alep. La portée et l’écho du témoignage sont énormes.
Propos recueillis par Emmanuelle Skyvington
[1] CPDSI : Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam. Dounia Bouzar a publié Ils cherchent le paradis, ils ont trouvé l’enfer (éd. de l’Atelier).Source : entretien publié dans l’hebdomadaire Télérama n° 3394 du 28/01/2015.
A VOIR : « Engrenages : les jeunes face à l’islam radical » documentaire de Clarisse Féletin (France, 2015) 55 min. Diffusé sur France 5 le mardi 3 février 2015 à 20h35. Accessible sur le web jusqu’au mardi 10/02/2015 à :
http://pluzz.francetv.fr/videos/engrenage_les_jeunes_face_a_l_islam_radical.html
A LIRE :
► « Ils cherchent le paradis, ils ont trouvé l’enfer », Dounia Bouzar, Ed. de l’Atelier, 176 pages,16 €, Octobre 2014.
► « Désamorcer l’islam radical : ces dérives sectaires qui défigurent l’islam », Dounia Bouzar, Ed. de l’Atelier, 224 pages, 20 €, Janvier 2014.