L’inflation des CDD, une « victoire » de la simplification
Par Philippe Eskenazy
Une fois la loi Macron votée, le débat sur le fonctionnement du marché du travail, face à la progression continue du chômage, va reprendre. Un premier plan, modeste, a été présenté la semaine dernière par François Rebsamen, le ministre du travail, pour s’attaquer au chômage de longue durée. Prochaine étape, les records d’embauches en contrat à durée déterminée (CDD). On entendra alors qu’il faut « simplifier » le droit du travail et la vie des entreprises. Celles-ci, en effet, embaucheraient massivement en CDD parce qu’elles ont trop peur de recourir au trop rigide contrat à durée indéterminée (CDI).
Mais ce raisonnement ne résiste pas à l’épreuve des chiffres. Non pas que le CDI serait particulièrement flexible ; mais le recours aux contrats courts est d’abord déterminé par les stratégies de ressources humaines des entreprises et par les conditions propres aux CDD.
Regardons dans le détail la dynamique des recrutements. Dans les secteurs où une formation au poste de travail ou une adaptation au chantier est nécessaire ou utile, la structure des embauches – la part respective des CDD et des CDI – est globalement restée inchangée depuis deux décennies. C’est le cas de l’industrie manufacturière, où les CDI demeurent le mode dominant de recrutement. L’explosion des CDD se cantonne essentiellement aux services.
En une douzaine d’années, quatre fois plus de CDD y ont été signés. Comme le stock de salariés en CDD n’y a que peu progressé, c’est donc la longueur des CDD qui s’est effondrée. La moitié des contrats dure moins de dix jours ! La « rigidité » du CDI n’implique donc pas de plus en plus de CDD, puisque ce sont en réalité des CDD de plus en plus courts qui remplacent des CDD « longs ».
Cette débauche de CDD vient – essentiellement du fait… qu’on a simplifié la vie des entreprises ! Il y eut tout d’abord la création de la déclaration unique d’embauche dans les années 1990, puis la digitalisation de cette déclaration. On est passé d’une douzaine de formulaires administratifs papiers à un seul, puis, bien -souvent, à plus de formulaire papier du tout.
En quelques minutes, une entreprise peut désormais déclarer une embauche sur Internet. On espérait ainsi favoriser la création d’emplois. C’est un succès. Mais il n’avait pas été prévu d’enclencher une mécanique infernale de créations/destructions infinies (« CDI ») d’emploi, avec le renouvellement à haute fréquence des mêmes postes au sein des mêmes entreprises.
Certaine protection
La simplification est venue amplifier une seconde transformation, spécifique à certains secteurs. En 2003, la chambre sociale de la Cour de cassation a voulu « simplifier la vie » des entreprises de l’hôtellerie-restauration, du spectacle ou encore de sondage. Le CDD y a été reconnu comme le contrat de travail d’usage constant, se substituant ainsi au CDI. Mieux encore, le délai de carence entre deux CDD était supprimé : l’entreprise pouvait ainsi enchaîner les contrats avec la même personne.
La Cour est cependant revenue en 2008 sur ce dernier point, remettant en place une certaine protection des salariés travaillant pour le même employeur. Mais rien n’empêche des restaurants d’une même chaîne, ou d’une franchise, indépendants du point de vue légal, de piocher à tour de rôle dans un même « pool » d’extras. Entre simplifications administrative et juridique, il y a désormais quatre fois plus de contrats signés chaque année dans l’hôtellerie-restauration qu’il n’y a d’emplois dans ce secteur.
Faut-il alors bannir la simplification ? Elle est bien souvent inévitable, car elle est souvent une conséquence de la numérisation de l’administration. Toutefois, l’expérience des CDD doit inciter à ne pas se contenter de simplifier, mais d’anticiper ses effets potentiellement délétères et ainsi construire dès à présent des garde-fous.
Philippe Askenazy
Philippe Eskenazy est chercheur au CNRS et à l’Ecole d’économie de Paris. Il a été président de la section économie et gestion du CNRS.
Source : publié dans le Cahier du « Monde » (Eco&Entreprise) daté du 18 février 2015.
Dessin Slovar : http://slovar.blogspot.fr/2012/05/les-bonnes-idees-de-leurope-pour.html
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