Quelle loi pour la fin de vie ?
Fin de vie : « une éthique de responsabilité qui assume la réalité au cœur du monde »
Par Stéphane Lavignotte
Nous, Mouvement du christianisme social, protestons contre la signature par François Clavairoly d’un appel commun à plusieurs responsables religeux dans Le Monde du 9 mars [1] contre la loi Clayes-Léonetti. Il déclare le lendemain sur internet qu’il soutient la loi. Puis le surlendemain une présentation du texte dans laquelle il dit à la fois que « la proposition de loi sur la fin de vie est examinée ce jour à l’Assemblée nationale, (…) représente un risque » mais « qu’il ne critique en rien la qualité et de l’équilibre de la loi Léonetti en faveur de laquelle (il) s’était exprimé. » Face à cette cacophonie qui perdure nous demandons un communiqué clair.
Nous nous étonnons d’une prise de position qui est contraire aux prises de position des Eglises unies d’Alsace-Lorraine et de « France de l’intérieur » (l’Epudf et l’Epual), de la la FPF en janvier 2014, des travaux et réflexions de « grands laïcs » comme Didier Sicard et Pierre Encrevé. Pour la signature de ce texte, ni le Conseil de la Fédération, ni la Commission éthique et société n’ont été consultés. Quelle est donc cette façon bien solitaire d’exercer la parole collective ?
Pourquoi signer un texte à ce point éloigné de toutes ces réflexions riches et complexes qui nous rappellent qu’une parole qui fait le pari de l’intelligence démocratique doit assumer les nuances de gris plutôt que de tenter d’exister dans le débat public par du noir ou blanc contre-productif ?
Comme cela s’est passé sur le mariage pour tous, non seulement ce « front uni » des religions donne une image caricaturale du débat éthique et théologique dans la société civile chrétienne qui est bien plus divers mais il aligne l’éthique protestante sur l’approche la plus réductrice de l’éthique catholique.
Sur le fond, nous ne comprenons pas cette attaque contre une loi d’une incroyable prudence, n’allant sans doute pas assez loin par exemple sur la directive anticipée, ni la mise en place d’instance plus collective dans les prises de décision. Si nous nous plaçons sur le terrain de la réalité vécue par les personnes le problème n’est pas – comme souvent – d’être pour ou contre (en l’occurrence l’euthanasie) mais comment mettre des cadres pour protéger les plus faibles, c’est-à-dire actuellement les milliers de vies abrégées de manière sauvage en France, souvent en ne prenant en compte ni l’avis des familles ni celle des personnes concernées… D’ailleurs, nous nous étonnons qu’à aucun moment le texte des « responsables » religieux ne mentionne le désir ou la volonté du patient.
Par ailleurs, dans cette prise de position, la sédation profonde et continue est présentée comme un abus d’utilisation de la sédation qui viserait à donner la mort. Or, il n’en est rien. La sédation peut abréger la vie, mais la morphine (largement utilisée en soins palliatifs et ailleurs) aussi. Ce sont des effets « secondaires » des produits utilisés. La sédation profonde et continue est distincte de la « sédation » terminale ou létale, ou de la « sédation » progressive jusqu’à atteindre la mort.
Notre éthique protestante n’est ni de faire descendre de l’Olympe des principes divins sur le pauvre monde pécheur, ni d’asséner une lecture littéraliste du commandement de ne pas tuer qui fait violence au texte biblique mais une éthique de responsabilité qui assume la réalité au cœur du monde car nous croyons en un Dieu incarné et un Dieu vivant, jusqu’à la mort (et la résurrection).
Nous avons autre chose à dire qu’ « Amen » ou « vade retro » aux évolutions du monde : être imaginatifs pour minimiser les risques et maximiser les potentialités positives, être des levains créateurs dans la dialectique du monde pour préparer les chemins du Royaume… Y a de quoi faire.
Coordination du Mouvement du christianisme social,
11/03/2015
[1] L’appel « L’interdit de tuer doit être préservé » a été publié dans Le Monde daté du 10 mars 2015. http://www.lemonde.fr. Téléchargeable également en cliquant ci-après :
AppelIntereligieuxFindevie-Monde10.03.15
Source : publié le 15 mars 2015 à :
Lire également :
► « Vivant jusqu’à la mort » (Eléments de réflexion de la Fédération protestante de France sur la fin de vie – 16 janvier 2014) à : http://www.protestants.org/index.php?id=33562
► « Fin de vie : les quatre points qui font débats » à :
► « Enfin le patient sera au cœur des décisions » à :