Des citoyens protègent la qualité de l’eau potable grâce à l’agriculture bio
Soutenir une agriculture respectueuse de l’environnement et protéger l’eau. A Agy, dans le Calvados, la fondation Terre de liens, aidée par l’Agence de l’Eau Seine-Normandie, a acquis 4,4 hectares. Ces terres seront louées à un éleveur bio, qui n’utilise ni pesticides ni engrais chimiques, ce qui protègera des pollutions les réserves d’eau potable. Une action parmi d’autres de l’association Terre de Liens qui propose aux citoyens de défendre la terre comme un bien commun. Et de favoriser aussi une autre agriculture, génératrice d’emplois, d’autonomie alimentaire et de liens sociaux. Terre de Liens explique ici son initiative.
A Agy, près de Bayeux, dans le Calvados, un agriculteur bio apprend la vente de 4,4 hectares. Des terres situées à proximité d’un captage d’eau potable d’une réserve qui alimente quotidiennement un peu plus de 1000 habitants. Sur ces terres, les pratiques agricoles sont regardées de près : gourmande en fertilisants chimiques et autres produits phytosanitaires, l’agriculture conventionnelle est la première responsable des pollutions diffuses de notre eau. 54 milliards d’euros sont ainsi dépensés chaque année en France pour assurer la dépollution des produits phytosanitaires utilisés par les agriculteurs [1]. Soit l’équivalent du budget de la Politique Agricole Commune de l’Union Européenne pour soutenir la productivité de son agriculture ! Pourtant, l’agriculture pourrait être à la base d’un tout autre développement local soutenable, générateur d’emplois, de liens sociaux locaux… et protecteur des ressources en eau.
François Divay, l’éleveur laitier bio d’Agy, est intéressé pour cultiver ces parcelles. Il pourrait y produire du foin de qualité et ainsi assurer l’alimentation de son troupeau de vaches laitières : des animaux nourris avec une herbe produite quasi-exclusivement sur sa ferme. Cela lui éviterait d’avoir à importer des fourrages et compléments alimentaires dont les agriculteurs conventionnels sont coutumiers. Autre motivation : il deviendrait acteur direct de la protection des ressources en eau de son territoire.
Mais ce terrain a un coût, que François ne peut assumer seul. Il souhaite aussi garantir la protection de ces terres sur le long terme, bien après son départ en retraite. « Je ne suis pas sur une ferme pour moi tout seul », explique-t-il. Il y a eu du monde avant, il y en aura après : je veux m’assurer que celui d’après fera au moins aussi bien que celui d’avant ! »
La terre agricole de plus en plus menacée
Sur sa route, François Divay croise l’association Terre de Liens. Créée en 2003 autour de la question du foncier agricole, Terre de Liens propose aux citoyens de s’impliquer dans la préservation des terres agricoles, dans l’installation d’agriculteurs en bio, le développement d’une économie alimentaire en filière courte – et maintenant, la protection durable de nos ressources en eau. L’objectif ? Faire de la terre agricole un bien commun [2]. Pour Terre de Liens, la terre est une ressource fragile et limitée. Renouvelable sur un temps long incompatible avec des pratiques de culture dictées par la rentabilité de la terre à court terme, la terre agricole doit maintenant être protégée par chaque citoyen. « 50 ans de politiques publiques agricoles européenne et nationale nous ont menés dans l’impasse environnementale, sociale et économique dans laquelle notre agriculture se trouve aujourd’hui », estime Gaël Louesdon, le coordinateur de Terre de Liens Normandie.
« La terre agricole est de plus en plus menacée par l’avancée des villes (artificialisation pour la construction de logements, ou de zones économiques et commerciales), poursuit-il. Certains capitaux y voient un placement sûr et rentable. La terre agricole est enfin menacée par la course aux hectares entre les agriculteurs eux-mêmes afin d’accroître toujours plus leurs droits à subventions, leur production. » Face à ces menaces, l’association propose aux citoyens d’agir concrètement pour favoriser l’accès des agriculteurs bio à cette terre agricole très convoitée, et ainsi soutenir un autre développement agricole et alimentaire localement.
Quand les citoyens bousculent la gouvernance foncière
Deux moyens sont mis à disposition du citoyen par Terre de Liens : la Foncière et la Fondation. La Foncière offre la possibilité d’effectuer un investissement solidaire dans l’économie agricole de proximité. Reconnue d’utilité publique, la Fondation recueille les dons. Grâce à l’engagement des citoyens, les deux structures visent un même objectif : acquérir des terres agricoles afin de faciliter l’installation d’agriculteurs biologiques. Sans l’aide de Terre de Liens, ces agriculteurs auraient eu bien plus de difficultés à s’installer. D’autres n’y seraient pas parvenus.. Concrètement, Terre de Liens devient propriétaire de terres qu’elle loue ensuite aux agriculteurs. La Fondation a interdiction de revendre ces terres agricoles et les fermes qu’elles a acquises.
A Agy, l’action de Terre de Liens est donc déterminante pour permettre à François Divay d’acquérir de nouvelles terres. Dans un premier temps, l’association pousse les collectivités et les institutions locales à prendre leurs responsabilités : acheter et mettre à bail les terres situées sur le point de captage d’eau du secteur, avec la condition que soit développée sur ces terres une agriculture biologique. Mais, faute de garanties suffisamment claires, Terre de Liens répond à l’appel à candidature lancé pour l’acquisition des 4,4 hectares, par la Safer (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural). Ses chances sont a priori minimes face à un autre candidat, placé en pôle position par la Safer pour acquérir les terres visées. Mais Terre de Liens est finalement la seule à remplir les exigences de protection de l’eau imposée par la Safer et l’Agence de l’eau. Elle remporte donc l’appel à candidature et devient attributaire des terres pour le compte de François Divay.
Dans cette opération, la Fondation Terre de Liens est soutenue par l’Agence de l’Eau Seine-Normandie (AESN), acteur privé sous délégation de service public, chargé de la protection globale de l’eau. L’AESN a pour mission de financer les actions de protection des ressources en eau et de lutte contre les pollutions. D’un côté, elle subventionne la Fondation (comme elle le ferait pour un acteur public) à hauteur de 60% du coût global d’acquisition et de préservation des terres, soit 24 000 €. Les 40% restants, soit 16 000€, sont pré-financés par un prêt à taux zéro de l’Agence.
C’est pour rembourser cette somme à l’AESN que la Fondation Terre de Liens appelle au don des citoyens. Ces derniers sont invités à agir aussi sous cette forme pour le devenir de « leurs » terres agricoles : un don pour une protection définitive de la terre agricole. Car, « promouvoir un autre développement local, consiste aussi à participer d’une autre économie, d’une autre finance », explique Terre de Liens dans sa littérature militante.
Deux visions opposées de l’avenir
Aujourd’hui, les investisseurs conventionnels (à but lucratif) ne prêtent qu’à des sociétés où le gain financier de court terme et sécurisé constitue leur principale motivation. L’action proposée par Terre de Liens consiste a contrario à inventer une nouvelle sorte d’investisseurs et de donateurs : des habitants soucieux de participer à l’aménagement de leur territoire de vie en créant les conditions d’un autre approvisionnement alimentaire.
Comment quitter les fers et menottes du vulgaire “consommateur” que nous passent quotidiennement le marketing des industrielles de l’agro-alimentaire pour tenter de nous gaver toujours un peu plus de leurs produits alimentaires issus d’une agriculture non soutenable ? En s’alliant les uns aux autres, et en devenant des « citoyens aménageurs de leurs territoires » par le biais de leurs achats alimentaires. Manger devient un acte d’investissement dans le mieux-être individuel, collectif et environnemental. En échange ? Pas d’intérêt financier mais des paysans nombreux, en tous lieux, une nourriture saine, fraiche et de proximité, et une eau assainie et protégée par une autre économie alimentaire et agricole. Bref, de l’investissement dans l’économie réelle, avec une forte utilité sociale, environnementale et économique. Et des liens entre acteurs locaux, pour des satisfaction individuelles et collectives en chaîne…
Terre de Liens appelle donc à démultiplier, densifier et diversifier ce nouveau mouvement social porteur de cette « citoyenneté économique », en combinant :
- des habitants des territoires refusant de se croire obligés de cautionner les impasses promues par la publicité et la vulgate économique conventionnelle – une autre économie alimentaire et agricole est possible, et est déjà en marche ;
- des communes et collectivités locales appelées à élaborer et soutenir les projets alimentaires locaux, pourvoyeurs d’emplois nombreux (directs et indirects : une autre production et une autre consommation nécessitent une autre transformation, une autre distribution…) – d’autres logiques d’aménagement du territoire sont possibles et déjà testées un peu partout en France (et ailleurs…) ;
- des entreprises, notamment agricoles et alimentaires, appelées, comme tout acteur économique, à soutenir ce développement alimentaire local.« Il ne tient qu’à nous de tisser rapidement ces liens économiques et politiques éminemment stratégiques, pour que les entreprises, elles-aussi, se fassent investisseurs citoyens dans la double protection de la terre et de l’eau », indiquent les membres de Terre de Liens Normandie.
Alors, à vous de jouer ! Pour participer à cette nouvelle aventure et aider plus particulièrement le projet d’acquisition des terres d’Agy et la protection de cette zone de captage d’eau, rendez-vous sur cette page. Suivez également la page Facebook de l’opération.
L’équipe de Terre de liens Normandie (texte et photo)
source : http://www.bastamag.net/Un-mouvement-de-citoyens-pour-proteger-l-eau-par-l-agriculture-bio