Loi renseignement : on a vérifié le « vrai/faux » du gouvernement
Par Les Décodeurs et Martin Untersinger, journalistes au Monde
L’examen du projet de loi sur le renseignement a débuté lundi 13 avril à l’Assemblée. Rarement un texte n’aura été l’objet d’autant de critiques de la part de la société civile. A la tribune du Palais-Bourbon, le premier ministre, Manuel Valls, a eu l’air agacé par la récurrence de certaines critiques, « dont certaines confinent à la caricature », selon ses dires.
Prenant exemple sur les pratiques de vérification factuelle qui prennent de l’ampleur dans les médias, le service de communication du gouvernement a publié sur son site (http://www.gouvernement.fr/le-vraifaux-du-gouvernement-sur-le-pjlrenseignement une liste d’arguments vrais et faux pour tenter de distinguer « l’info de l’intox ». Problème : il se prend parfois les pieds dans le tapis. Vérification de la vérification.
1. « Le projet de loi offre des moyens supplémentaires aux services de renseignement »
Le gouvernement dit « VRAI »
Nous disons PLUTÔT VRAI
C’est un argument martelé par le gouvernement : ce texte permet d’adapter les techniques et le cadre légal au XXIe siècle. La dernière grande loi sur le renseignement datait de 1991, une époque où le Web, les téléphones portables et les réseaux sociaux n’existaient pas.
Ce que le gouvernement omet de dire (même s’il le reconnaît dans le point n°10), c’est que de l’aveu même de ses partisans, cette loi ne fait que légaliser des pratiques existantes à propos desquelles la loi était muette et qui étaient, pour une grande partie, illégales.
2. « Le gouvernement met en place une surveillance massive des données sur Internet »
Le gouvernement dit « FAUX »
Nous disons VRAI
Le gouvernement n’a de cesse de le répéter : l’article du projet de loi qui prévoit la mise en place, sur les réseaux des fournisseurs d’accès à Internet, d’algorithmes destinés à analyser le trafic Internet des Français pour détecter des comportements terroristes, ne constitue pas de surveillance de masse.
Cinq arguments sont avancés :
1/ Le gouvernement explique que lorsque l’algorithme détectera un terroriste en puissance, les services seront avertis et toute surveillance plus poussée sera individualisée et soumise à autorisation.
C’est vrai, mais c’est oublier un peu vite que pour réaliser cela, toutes les données qui transitent par la boîte noire vont être analysées par un algorithme secret. L’argument selon lequel « la surveillance n’intervient pas tant qu’elle n’est effectuée que par des machines » rappelle la défense de la NSA américaine, dont la plupart des programmes de surveillance de masse fonctionnent ainsi.
2/ Le gouvernement insiste sur le fait que le contenu de la discussion ne pourra pas être intercepté – ce qui est rigoureusement exact, l’algorithme n’analysera que ce que l’on appelle les métadonnées (durée de la communication, lieu, interlocuteurs, etc.) – et semble penser que cela rend la surveillance moins intrusive. C’est faux : les chercheurs martèlent depuis des années que ces métadonnées permettent de dépeindre avec bien plus d’exactitude la vie d’un individu que de simples écoutes téléphoniques.
Les chercheurs ne sont pas les seuls à être conscients de la valeur des métadonnées. Le coordonnateur du renseignement, Alain Zabulon, expliquait lors d’une récente audition à l’Assemblée que « dans le monde d’aujourd’hui, il est aussi important de savoir qui parle avec qui, que ce qui s’est dit ».
3/ Même si le périmètre exact de ces « boîtes noires » est flou, difficile de ne pas qualifier de « massif » un dispositif analysant l’intégralité des données transitant sur les réseaux des fournisseurs d’accès à Internet en France.
4/ Le gouvernement assure dans son « Vrai/Faux » que l’anonymat des utilisateurs sera préservé. La CNIL a déjà eu l’occasion de noter le paradoxe de données anonymes permettant de découvrir l’identité d’une personne lorsqu’un risque de terrorisme est détecté.
5/ Enfin, le gouvernement explique que l’algorithme sera contrôlé par la CNCTR, la commission de contrôle créée par la loi. C’est aussi exact, mais à ce stade de l’examen de la loi, il n’est pas certain qu’elle dispose des moyens financiers et surtout techniques pour mener diligemment l’examen d’un algorithme informatique, par nature extrêmement technique.
3. « Le gouvernement met en place un dispositif massif d’interception des conversations privées »
Le gouvernement dit « FAUX »
Nous disons PLUTÔT FAUX
Le gouvernement explique qu’aucun programme d’écoutes massives des conversations n’est prévu par la loi. C’est exact. Il fait référence à l’IMSI-catcher, cet engin permettant de localiser des téléphones et, le cas échéant, d’écouter leurs conversations.
L’utilisation par les services de cet appareil (et de tout autre permettant de faire peu ou prou la même chose) est prévue par la loi renseignement. En l’état actuel du texte, l’écoute des conversations ne pourra se faire qu’à des fins de prévention du terrorisme et sera individuellement autorisée par le premier ministre. Rien de massif donc.
En revanche tous les passants innocents dont le téléphone se situera à proximité de cette fausse antenne-relais verront automatiquement certaines de leurs données (numéro de téléphone, détail des appels) aspirées par l’IMSI-catcher. Les services auront l’obligation de détruire ces données inutiles à l’enquête.
4. « La commission de contrôle sera indépendante et disposera des moyens suffisants pour assurer sa mission »
Le gouvernement dit « VRAI »
Nous disons TROP TÔT POUR L’AFFIRMER
Le gouvernement se félicite de la composition, des moyens et du fonctionnement de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), qui contrôlera les demandes de surveillance des services et que crée le projet de loi.
Le gouvernement oublie quelques éléments : s’il se félicite de la composition de la CNCTR (qui comportera magistrats, députés et un expert), il oublie que cette composition a de grandes chances d’être modifiée par les députés. Et pour le moment, se féliciter des moyens alloués à la CNCTR, qui lui seront alloués par une future loi de finance et au sujet desquels la loi sur le renseignement est muette, relève de l’incantation. Enfin, le gouvernement ne dit pas que le premier ministre, clé de voûte du dispositif, pourra passer outre les avis de cette commission dont les avis demeurent consultatifs.
5. « Le juge sera absent de la procédure de contrôle »
Le gouvernement dit « FAUX »
Nous disons PLUTÔT FAUX
Dans son « Vrai/Faux », le gouvernement explique que le juge a été introduit par le projet de loi. C’est exact : pour la première fois, tout citoyen pourra saisir le Conseil d’Etat, via la CNCTR, s’il estime faire l’objet d’une surveillance illégale.
Un droit de recours qui semble plutôt théorique à ce jour, puisque la surveillance est par nature secrète et que ni la commission ni le Conseil d’Etat ne pourront informer le citoyen s’il a fait ou non l’objet de surveillance.
6. Le champ des finalités justifiant le recours aux techniques de renseignement est trop large
Le gouvernement dit « FAUX »
Nous disons PLUTÔT VRAI
Le gouvernement fait ici référence aux sept finalités, énumérées dans le premier article de la loi, qui limitent les raisons pour lesquelles les services de renseignement pourront réclamer une surveillance.
Certaines pourraient permettre de ratisser large comme « les intérêts majeurs de la politique étrangère », « les intérêts économiques industriels et scientifiques majeurs de la France » ou « la prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions ». En séance, de nombreux députés ont essayé de restreindre ces finalités, craignant qu’elles ne permettent la surveillance de journalistes ou de manifestants.
7. « Les procédures d’urgence sont indispensables »
Le gouvernement dit « VRAI »
Nous disons VRAI
Le gouvernement justifie dans son « Vrai/Faux » l’existence de procédure d’urgence, par exemple lors d’une menace imminente. Le texte de loi prévoit actuellement une seule forme d’urgence, mais le gouvernement estime qu’il est nécessaire d’en introduire deux, notamment lorsque la CNCTR ne peut pas être réunie à temps.
8. Les services de renseignement pourront agir sans autorisation
Le gouvernement dit « FAUX »
Nous disons PLUTÔT VRAI
Le gouvernement explique dans son « Vrai/Faux » que toute action des agents de renseignement sera soumise à la validation du pouvoir politique accompagnée d’un avis de la commission. C’est vrai, mais il oublie un point du projet de loi, les « mesures de surveillance internationale ». Ces dernières prévoient que la commission n’intervienne plus lorsqu’un des deux maillons d’une communication se situe à l’étranger.
Conçue sur mesure pour la DGSE, le service de renseignement extérieur français, afin qu’elle puisse mener une surveillance informatique depuis le sol français, cette mesure est censée cesser lorsque des Français sur le territoire national sont l’objet d’une surveillance. Problème : selon l’ARCEP, le gendarme des télécoms, il est très compliqué de savoir avec certitude si une connexion est « française » ou non. Par ailleurs comme le rappelle le site NextInpact, le gouvernement souligne lui-même que les agents pourront se défaire de l’autorisation en cas d’urgence.
9. « Certaines professions bénéficieront d’un statut protecteur »
Le gouvernement dit « VRAI »
Nous disons PLUTÔT VRAI
Les journalistes, les avocats et les parlementaires devraient être protégés par le projet de loi. Pour le moment, les modalités de cette protection ne sont pas complètement définies.
En commission des lois, les députés ont interdit au service d’utiliser les procédures d’urgence pour surveiller ces professions. Le gouvernement a introduit un amendement en séance public pour que la surveillance de telles professions ne puisse intervenir que sur une décision motivée du premier ministre – alors que les surveillances « classiques » peuvent se passer de motivation.
10. « La loi actuelle protège mieux les libertés individuelles »
Le gouvernement dit « FAUX »
Nous disons CE N’EST PAS LA QUESTION
Le gouvernement rappelle que les activités des services de renseignement sont principalement régulés par deux lois : celle de 1991 sur les écoutes et celle de 2013 sur les interceptions de métadonnées, sur Internet notamment. Toutes les mesures intrusives menées par les espions français et que légalise la loi sont aujourd’hui… interdites par loi.
La loi permettra effectivement de mettre un peu d’ordre dans ces mesures illégales devenues légales. Mais le gouvernement ne dit mot, ici, des dispositifs de surveillance massive des métadonnées ou sur les finalités élargies introduites par ce nouveau texte. En clair, dire « nous légalisons des pratiques illégales » ne fait pas « mieux » progresser les libertés.
11. La procédure accélérée nuit à la transparence de l’examen du projet de loi
Le gouvernement dit « FAUX »
Nous disons CE N’EST PAS LA QUESTION
Le gouvernement assure que la procédure accélérée ne nuit pas à la transparence du débat, ce qui est tout à fait exact : certaines auditions en commission étaient ouvertes au public, la loi fait l’objet d’un débat public, d’une étude d’impact…
Ce n’est de toute façon pas ce que reprochent les opposants, notamment les députés. Ces derniers déplorent le calendrier (le texte a été déposé en pleine campagne électorale pour les départementales) et le temps de débat réduit, conséquence logique de la procédure accélérée qui limite la navette parlementaire.
De nombreux opposants ont également remarqué le paradoxe d’un texte que le gouvernement présente à la fois comme étant le fruit d’un travail de longue haleine et comme un texte urgent répondant à de nouvelles menaces récentes.