Méditerranée : les naufrages meurtriers de migrants ne sont pas une fatalité
L’alarmante hausse des morts en mer coïncide avec à la disparition du dispositif Mare Nostrum, en octobre. Mis en place par la marine italienne suite à l’émotion suscitée par le naufrage près de Lampedusa en 2013, il a permis le sauvetage de 150 000 personnes en un an, mais au prix de 9 millions d’euros par mois : une facture jugée trop lourde pour Rome, guère aidée par ses partenaires européens. Mare Nostrum a donc cédé la place à Triton, un dispositif plus léger encadré par Frontex, l’agence européenne de surveillance des frontières, et auquel participent dix pays (dont la France). Il en coûte 2,9 millions mensuels pour 21 bateaux mobilisés, contre 32 auparavant.
Pour expliquer leur peu d’enthousiasme à financer Mare Nostrum, les États européens disaient redouter un «appel d’air», conséquence du filet de sauvetage italien : sachant la traversée plus sûre, les populations auraient afflué en masse vers les côtes libyennes. C’est ignorer que les motivations des candidats à l’immigration sont liées à l’actualité : guerre civile en Syrie, désespoir des Erythréens soumis à la dictature d’Issayas Afewerki, président à vie depuis vingt-deux ans, Somaliens fuyant le chaos ou Nigérians chassés par Boko Haram.
L’accumulation de ces drames fait les affaires des mafias en Libye.
Nous publions ici le Communiqué de boats4people du 16/04/2015
Quatre cents personnes ont perdu la vie au large des côtes italiennes dans un naufrage survenu dimanche 12 avril 2015. Un drame qui surpasse celui d’octobre 2013 où 366 migrants s’étaient noyés près de Lampedusa.
Comment expliquer qu’un an et demi après cette tragédie de 2013, qui avait pourtant suscité l’indignation de l’Union européenne (UE), des chefs d’Etats et de gouvernements, de tels drames se reproduisent ? Comment expliquer que l’année 2014 a été la plus meurtrière pour les migrants en Méditerranée, avec plus de 3 500 morts et disparus, soit cinq fois plus qu’en 2013 ?
Le nombre de personnes tentant la traversée de la Méditerranée a considérablement augmenté. Ils étaient plus de 200 000 en 2014 selon le HCR, soit trois fois plus qu’en 2011. Ils fuient des pays comme l’Érythrée, la Syrie, la Libye ou encore la Palestine ; des zones de conflit ou des pays où les droits humains sont bafoués. Dans ce contexte, il est indécent que les Etats européens continuent de se fixer comme objectif principal d’empêcher les personnes d’accéder à leur territoire avant celui de sauvetage et de protection. Il est inconcevable que les morts et disparus aux portes de l’Europe se banalisent, comme s’il s’agissait d’une fatalité.
En prétendant agir pour réduire les naufrages et sauver des vies, l’UE et ses États membres n’ont fait que verrouiller, avec la politique des visas, l’aide de l’agence Frontex ou du système de surveillance Eurosur, l’accès à leur territoire, notamment par la voie maritime, y compris à ceux qui ont besoin d’une protection et demandent l’asile.
Ainsi, en toute connaissance de cause, à la fin de l’opération italienne de sauvetage en mer Mare Nostrum fin 2014, l’UE et ses Etats membres dont l’Italie ont mis en place l’opération de surveillance des frontières Triton, coordonnée par Frontex , dont la mission première est de contrôler les « flux » et non de sauver des vies. Avec l’opération Mare Nostrum, l’Italie semblait avoir amorcé une approche différente, respectant ses obligations internationales en termes de sauvetage en mer. Cette approche aurait pu être déployée par l’ensemble des États membres, et des milliers de morts auraient ainsi été évitées.
Les chefs d’États et les instances européennes ne peuvent pas, en désignant les passeurs comme étant à l’origine des naufrages qui se produisent en Méditerranée, se défausser ainsi de leur responsabilité ; car les migrant.e.s ne recourraient pas aux services des passeurs s’ils pouvaient voyager de façon régulière. Celles et ceux qui montent à bord de fragiles embarcations pour traverser la mer sont celles et ceux à qui sont refusés des visas et le droit à circuler librement.
Il est urgent de changer radicalement l’orientation des politiques d’asile et d’immigration de l’UE, en fixant comme objectifs prioritaires le respect des droits des migrant.e.s et de l’obligation de secours en mer et l’accès des personnes en besoin de protection au territoire européen.
Le droit à la liberté de circulation est une revendication que les traversées de la Méditerranée portent et continueront de porter ; il faudra bien que l’Union européenne finisse par l’entendre.
Boats4people est une coalition d’organisations dont sont notamment membres :
L’AME (association malienne des expulsés), ARCI (associazione ricreativa culturale italiana), ARACEM (association des rapatriés d’Afrique centrale au Mali), la CIMADE, la FASTI (Fédération des associations de solidarité avec les travailleurs immigrés), le FTDES (Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux), le GADEM (groupe antiraciste d’accompagnement et de défense des étrangers et migrants), le GISTI (groupe d’information et de soutien aux immigrés), le réseau euro-africain MIGREUROP, etc.
Lire aussi : http://www.liberation.fr/monde/2015/04/19/le-hcr-redoute-700-morts-dans-le-naufrage-d-un-bateau-de-migrants_1250895