Mariage et divorce
En contrepoint du texte de Chrétiens et Libres en Morbihan, Mai, Marions-les !, une réflexion sur un texte bien connu de l’Évangile dont l’ “Église” se sert le plus souvent pour justifier l’indissolubilité du mariage.
Que nous disent à ce propos les évangiles de Matthieu (19-1 à 9), de Luc (16 verset 18) et de Marc (10 versets 1 à 12) ? Je suivrai dans ma réponse le texte de Marc.
Remarques préalables
1- Dans ce récit, il y a un écho d’un des débats juridico-religieux que les pharisiens ont menés avec Jésus (et vice versa). Ces débats ne sont pas nécessairement des actes polémiques, hostiles par principe à Jésus, ce que, très tôt historiquement, ont imaginé des goys convertis (cf. le vocabulaire de l’évangile « tardif » de Jean qui s’en prend globalement aux « Juifs » (Judéens seulement peut-être ?) comme des adversaires majeurs de Jésus. Ces débats sont des controverses que pratique toujours la pensée juive traditionnelle (jusqu’à nos jours). Le mot traduit par « piège » dans beaucoup de cas de ce genre eut aussi bien être pris, en grec, dans le sens d’une « épreuve » intellectuelle concernant une problématique religieuse et/ou morale.
Il faut donc lire les réponses et argumentations de Jésus dans ce cadre. Ce qui signifie qu’il faudra bien le délimiter pour éviter d’en faire une Parole tombant du haut du Ciel, de nature éternelle et de portée universelle, concernant l’indissolubilité du mariage, car ce n’est pas de cette question que débattent Jésus et les pharisiens.
2- D’ou mon second préalable qui consiste à dire que s’il est question du mariage c’est sous un angle très précis. La question des pharisiens ne porte pas sur l’indissolubilité du mariage sacramentel (qui n’existe pas alors au sens actuel et qui existera beaucoup plus tard dans le cadre catholique par décision hiérarchique), mais de la permission pour un homme de répudier sa femme.
Analyse
Les interlocuteurs de Jésus citent le Deutéronome (24 v 1). Dans ce texte on expose un « cas d’école » : une femme n’ayant pas plu à son mari, car « celui-ci a découvert une tare à lui imputer », est par lui répudiée, puis elle épouse une autre homme qui la répudie à son tour (ou qui meurt). Le Livre dit qu’elle ne peut pas épouser à nouveau l’homme qui le premier l’a répudiée « car il y a là une abomination ». Il est donc bien possible concluent les pharisiens qu’un homme répudie sa femme.
Jésus fait une distinction, dans la Bible, entre les détails des prescriptions de la Loi, qui sont d’origine « humaine », et peuvent très bien justifier des pratiques non conformes à la révélation fondamentale de la Bible, mais « intéressantes » pour certaines catégories de « croyants ».
Ce qui est donc en question ici c’est le problème du droit pour l’homme de répudier sa femme. Ce qui signifie clairement, me semble-t-il, qu’en ce cas la femme est soumise à la suprématie masculine qui, bien entendu, trouvera toujours, vu les tendances machistes de la culture méditerranéenne entre autres, si cela l’arrange, comme dit le proverbe moderne, « une raison pour battre son chien… »
On notera néanmoins que dans Matthieu il y a une nuance reprise en deux passages de son évangile. On ne saurait répudier sa femme « sauf en cas d’impudicité (ou prostitution ou adultère : le grec utilisé étant « pornéia »).
Mais est-ce bien la parole de Jésus ? Ou une façon de « modérer » son discours en l’interprétant de façon moins abrupte ?
En tout cas dans Marc la façon dont Jésus répond aux pharisiens est tout à fait intéressante. Il va à l’essentiel qui est non pas le mariage, mais la répudiation de la femme… par l’homme. Mais là où les pharisiens tentaient de démontrer cette répudiation comme conforme à la Torah, Jésus met en avant ce qui fait la référence essentielle première des rapports hommes femmes en général : l’unité originelle de l’humanité comme « Homme et Femme ». Il n’est pas question d’« Adam et d’Ève » dans ce texte du premier récit de la création dans la Genèse, mais de l’homme – à la fois Ish et Isha (in-séparément masculin et féminin)-. Au point que l’on peut estimer que la masculinité existe dans la féminité et réciproquement.
Il ne s’agit donc pas dans l’argumentation de Jésus concernant un couple marié particulier, mais d’une condition humaine universelle qui ne sépare ni ne hiérarchise au sein de l’humanité (« anthropos et non « aner » en grec) la dualité sexuelle. Il s’en suit l’égalité absolue de l’homme (masculin) et de l’homme (féminin) dans cette unité archétypale de la réalité humaine.
L’homme (le mâle) ne saurait donc répudier sa femme de par son bon plaisir et en se justifiant plus ou moins sincèrement par des usages sociaux dominants, fussent-ils bibliques… ou ecclésiaux. Car son couple qui a été formé non par Dieu, mais par les hommes en pleine liberté ou autonomie est ce couple-là, ces mariés singuliers. La liturgie catholique actuelle le reconnait puisqu’elle reconnaît que ce sont les époux qui se marient et non pas le prêtre qui les marie… au nom de Dieu. Je connais un prêtre qui lors l’un mariage reçoit le couple comme déjà formé. Il l’est, dit-il, au moins depuis qu’ils ont dit OUI devant Mr ou Mme le Maire. Dans la plupart des cas il l’est déjà bien avant, de nos jours. À l’Église ils viennent affirmer ce choix devant leur communauté chrétienne, non pour le valider, mais pour le proclamer. Il s’est engagé selon des règles sociales et éthiques que les hommes ont définies et qui ont varié d’un moment à l’autre de l’histoire, dans telle ou telle culture.
L’unité et donc l’égalité homme femme est, selon Jésus, une décision du Créateur. Mais la constitution de chaque couple (ou absence de couple) particulier est décisions d’individus et de partenaires particuliers. Et leur union est de leur responsabilité commune. Ce qui ne signifie pas que cet idéal soit toujours vécu et bien des couples explosent de par la responsabilité et la contrainte de fait de l’un des deux membres. Mais la psychologie systémique nous apprend bien des choses sur l’illusion de l’unilatéralité de la responsabilité.
On n’a pas vu que la vraie révolution de Jésus est là. Ce qu’a pourtant bien compris Paul qui par ailleurs reste en d’autres textes sur la ligne « tradi » des pharisiens. (Voir ses arguments embarrassés, pour le moins, sur le voile et la parole des femmes dans l’assemblée).
« En Jésus il n’y a plus de distinction homme et femme… etc. », nous dit-il dans l’esprit évangélique.
Donc toutes et tous ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. Ce que l’Église catholique (je veux dire la hiérarchie catholique) n’a toujours pas admis.
Conclusion
Le Christ et la femme adultère (Lucas Cranach le Jeune)
Les relations hommes femmes (et entre humains en général) sont complexes et les pratiques sociales changent avec le temps. Il ne faut pas juger les personnes à partir de « morales » inhumaines comme celles qui invitent à lapider la femme adultère par exemple. Et on peut lapider de façon symbolique, mais également douloureuse. Comme l’expulser de la communion. On peut réfléchir sur l’évolution des mœurs et s’interroger en fonction de l’humanité ou de l’inhumanité de la loi et plus finement encore sur l’humanité et l’inhumanité de telle décision dans tel ou tel cas particulier. C’est là que peut intervenir la casuistique. Mais elle se définit, pour un disciple de Jésus, dans le cadre de l’agapè. Et il va de soi que des divorcé(e)s remarié(e)s peuvent être reçus avec la même fraternité (ou sororité) dans la communauté eucharistique que des époux et épouses qui sont restées [1] ensemble.
Jean Riedinger (président d’Espérance 54)
[1] Ceci n’est pas une faute d’orthographe, mais une règle d’accord du participe passé qui est restée applicable. Avec le verbe être on accorde le masculin lorsque le mot le plus proche du participe est masculin et féminin lorsque le mot le plus proche est féminin et bien entendu au pluriel. Ce n’est pas une fantaisie « féministe », mais une règle