L’écologie politique du pape et les appels à sortir des énergies fossiles
Sur son site internet, l’économiste Jean Gadrey commente l’Encyclique du pape François consacrée à l’enjeu écologique. Il note : « autant les ‘grands décideurs’ semblent pour l’instant d’une faiblesse coupable, complice, ou criminelle, autant les choses bougent du côté de la société civile, laquelle vient de recevoir un puissant renfort avec l’encyclique du pape François.” Il consacre à l’encyclique, qu’il présente comme historique, quatre articles intitulés : L’écologie politique du pape et les appels à sortir des énergies fossiles (1, 2, 3 et 4). (http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2015/06/). Nous donnons ici un condensé de chacun des articles de J. Gadrey, introduit par un commentaire de l’auteur. Quelques notes de commentaires sont ajoutées.
Texte 1
Il s’agit du chapitre 1, qui contient un diagnostic sans complaisance, remarquablement clair, argumenté sur une base scientifique, mais également socialement « engagé », à la fois de l’état de délabrement de la «maison commune», des risques d’effondrement, et des responsabilités humaines.
POLLUTIONS, CLIMAT, EAU
La Terre, notre maison commune, semble se transformer toujours davantage en un immense dépotoir. Le climat en est affecté, alors que les pouvoirs économique et politique négligent le problème. Il faut réduire les émissions polluantes en faisant appel aux sources d’énergie renouvelables [1]. Le pape ne préconise pas le nucléaire comme voie de sortie…
Tandis que l’eau consommable se raréfie, il y a une tendance croissante à privatiser cette ressource limitée, pour en faire une marchandise sujette aux lois du marché, alors que c’est un droit vital [2].
LA BIODIVERSITÉ ET LE CERCLE VICIEUX DES INTERVENTIONS SUPPOSÉES RÉPARER LES DOMMAGES
Notre belle Terre, avec sa diversité biologique et minérale, a une valeur en soi. Les dommages causés entraînent l’homme à intervenir, mais c’est trop souvent au service des finances et du consumérisme. La beauté première est remplacée par une vision humaine discutable, mais rarement discutée [3]
Les interventions internationales, sous couvert de sauvegarde, mais pour d’énormes intérêts économiques, peuvent porter atteinte aux souverainetés nationales. (Exemple de la proposition d’internationalisation de l’Amazonie)
INÉGALITÉ PLANÉTAIRE (ÉCOLOGIE SOCIALE) ET DÉMOGRAPHIE
Une vraie approche écologique doit toujours avoir un volet social, pour intégrer la justice dans les discussions sur l’environnement. Une minorité se croit pourtant le droit de consommer dans une proportion qu’il serait impossible de généraliser à toute la population [4].
LA DETTE ÉCOLOGIQUE ET LA RESPONSABILITÉ DES MULTINATIONALES
Les déchets des pays riches peuvent affecter toute la planète, donc y compris les pays qui n’ont pas produit ces déchets. C’est vrai des déchets gazeux, chimiques ou radioactifs, qui ne connaissent pas de frontière, mais aussi de tous les autres déchets toxiques déversés dans les pays moins développés. Les entreprises qui agissent ainsi sont des multinationales, qui font ici ce qu’on ne leur permet pas dans des pays développés [5]. Généralement, en cessant leurs activités, elles laissent de grands passifs humains et environnementaux, alors que la population locale n’a pas bénéficié de cette richesse à cause de relations commerciales nouées sans leur consentement éclairé. Il faut que les pays développés contribuent à solder cette dette.
LA FAIBLESSE DES RÉACTIONS POLITIQUES
Les pouvoirs économiques continuent de justifier le système mondial actuel, où priment une spéculation et une recherche du revenu financier. Un point de rupture semble s’observer, car l’actuel système mondial, qui oublie l’aspect humain, est insoutenable [6].
Texte 2
Passages à mon sens particulièrement importants, souvent percutants, de cette encyclique historique. Petite histoire : selon Fox News, chaîne ultraconservatrice, ce pape est « l’homme le plus dangereux de la planète ». Un « sacré » compliment !
EXTRAITS, SUR LES DROITS FONDAMENTAUX, LA PROPRIÉTÉ PRIVÉE ET LES BIENS COMMUNS
Le principe de subordination de la propriété privée à la destination universelle des biens et, par conséquent, le droit universel à leur usage, est une « règle d’or » [7].
EXTRAITS SUR LA TECHNOSCIENCE, LE PRODUCTIVISME, LA CROISSANCE ILLIMITÉE ET LA CULTURE ÉCOLOGIQUE
La science peut améliorer la qualité de vie de l’être humain. On en arrive à imaginer une croissance infinie. Cependant nous ne pouvons ignorer que la science et la technique donnent un pouvoir sur l’homme et sur le monde entier. Très souvent, ce n’est ni l’utilité, ni le bien-être qui est recherché dans les développements techniques, mais la domination [8].
L’écologie [9] devrait être : un regard différent, une pensée, une politique, un programme éducatif, un style de vie et une spiritualité. Dans le domaine agricole, quand de petits producteurs optent pour des systèmes de production moins polluants, plus naturels, ils résistent à la domination de la technique, qui les obligerait à utiliser des pesticides dangereux et des semences donnant des grains stériles. Ils préservent ainsi le travail des petits paysans en freinant l’extension des cultures intensives qui met en péril l’écosystème local. Il est indispensable d’accorder une attention spéciale aux communautés aborigènes et à leurs traditions culturelles [10].
Texte 3
Ce troisième billet de la série est consacré aux deux derniers chapitres (5 et 6) de l’encyclique. Je ne vois pas de différence notable, sur le fond, entre les citations de ce billet et les analyses d’Attac, des Amis de la Terre, du CCFD, des objecteurs de croissance, ou celles que je propose régulièrement sur ce blog ou encore dans mon livre récent (avec Aurore Lalucq) « Faut-il donner un prix à la nature ? »
LES PAYS PAUVRES FACE AUX GROUPES INTERNATIONAUX
Les pays pauvres, qui doivent, en même temps, développer des formes moins polluantes de production d’énergie et éradiquer, chez eux, la corruption et la misère, méritent l’aide des pays dont la croissance s’est faite au prix de la pollution actuelle de la planète.
Le XXIe siècle voit un recul du pouvoir des États devant des groupes internationaux. L’économie et la finance prennent le pas sur la politique. Dans ce contexte, le développement d’institutions internationales, fortes et dotées de pouvoir réel de sanction, devient indispensable [11].
POLITIQUES NATIONALES ET LOCALES, SOCIÉTÉ CIVILE ET DÉMOCRATIE
Les États doivent impérativement planifier et coordonner l’utilisation des ressources, veiller, et sanctionner l’exploitation irresponsable. Il a été montré que des coopératives locales peuvent réguler l’exploitation d’énergies renouvelables mieux que ne le ferait l’ordre mondial.
La société, à travers des organismes non gouvernementaux, doit obliger les gouvernements à développer des normes, des procédures et des contrôles plus rigoureux. Ce sont les citoyens qui doivent contrôler les pouvoirs politiques.
L’ÉCONOMIE, LA FINANCE, LE MARCHÉ ET L’ÉCOLOGIE
Une emprise absolue des finances sur le monde n’a pas d’avenir. Elle ne pourra que générer de nouvelles crises. La protection de l’environnement ne peut pas être basée que sur un calcul financier des coûts et des bénéfices.
UNE « CERTAINE DÉCROISSANCE » POUR LES PAYS RICHES
L’heure est venue d’accepter une certaine décroissance dans quelques parties du monde, pour une saine croissance en d’autres parties. La croissance durable est une tromperie technocratique
La quête du profit fait des dégâts non payés par les entreprises et menace les ressources futures.
Texte 4
Pourquoi faut-il sortir des énergies fossiles ? Pour une raison simple, qui ne relève pas de l’économie, mais des sciences de la nature et du climat : pour rester en dessous d’une élévation de 2°C de la température moyenne par rapport à l’ère préindustrielle.
Quelques pistes pour atteindre un objectif raisonnable.
– Bloquer par un moratoire international toute exploration ou exploitation d’énergies fossiles
– Bloquer les subventions publiques pour les énergies fossiles au profit des énergies renouvelables dont le coût est compétitif en comparaison du coût réel des énergies fossiles.
– Multiplier et faire converger les appels et les résistances.
NOTES
[1] : Les sources d’énergie renouvelables accessibles sur Terre sont : l’énergie solaire, l’énergie de la rotation terrestre (marées) et la géothermie. Les énergies éolienne et hydraulique résultent des précédentes, l’énergie nucléaire actuelle ne doit pas être considérée comme renouvelable, le minerai d’uranium étant limité.
[2] : Le pouvoir a tendance à taxer mêmes les ingrédients vitaux, comme le sel utilisé autrefois pour la conservation des aliments. A quand la taxation de l’air qu’on respire ?
[3] : Les plages, les forêts, les champs libres sont remplacés par du béton, du goudron ou des cultures intensives, à la beauté éphémère et discutable, sans concertation avec la population concernée.
[4] : Il n’est pas directement question de la démographie. Il s’agit pourtant d’une question importante. La maîtrise de la démographie devrait passer par une meilleure éducation des filles et même des garçons.
[5] : Il est plus rentable pour une société française de déverser en Afrique de la terre polluée, plutôt que de la dépolluer sur place.
[6 ]: Le point de rupture dont il est question peut faire penser à la situation prérévolutionnaire française, où les uns gaspillaient des fortunes indécentes quand d’autres n’avaient pas de quoi se nourrir.
[7] : L’homme ne sera jamais le propriétaire de la Terre et de ses ressources. Il devrait pour cette raison ne viser que le bien de l’ensemble des copropriétaires (les humains, les animaux, les végétaux) en faisant des ressources minières un bien collectif.
[8] : Les progrès techniques sont aussi utilisés pour la recherche du profit en faisant croire à une avancée réelle. La publicité vante la croissance permanente et crée des envies de produits nouveaux, parfois inutiles et souvent moins fiables. Le bon client est le client captif qui changera régulièrement de produits. Une telle croissance est clairement un leurre.
[9] : Dans cette section “la culture” écologique peut se comprendre sous ses deux définitions. Néanmoins, il est clair d’après les exemples qu’il s’agit surtout de la culture au sens agricole.
[10] : En Afrique, de petits paysans travaillant comme salariés dans des productions intensives de fraises, ne cultivaient plus les produits essentiels pour leur vie quotidienne.
[11] : D’ores et déjà, on sait que la puissance financière de certaines sociétés privées dépasse celle de certains États.
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Résumé fait par Georges Paturel
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