Et les migrants de l’Église catholique ?
Ils sont nombreux ceux qui quittent aujourd’hui leur pays, pour raison économique ou politique, parce qu’il leur manque de quoi manger, de quoi pouvoir vivre, ou parce qu’ils sont harcelés comme opposants, poursuivis, torturés. Ils sont nombreux et c’est un drame humain, mondial, œcuménique en quelque sorte. Il n’y a pas si longtemps, les financiers occidentaux envoyaient des bateaux sur les côtes de l’Afrique pour en ramener, par la force, de la main-d’œuvre à bon marché, dont ils faisaient des esclaves. Aujourd’hui on rejetterait à la mer la main d’œuvre qui se présente, à ses frais, en suppliant ! Le Pape François a parfaitement raison d’attirer l’attention des médias sur ce drame. Ne faut-il pas réveiller la conscience du Monde ? A côté du droit du sol, il y a bien sûr le droit à la vie.
Et dans l’Église catholique, n’y a-t-il pas aussi des migrants ? Il y a bien sûr ces minorités qui, dans leur pays, ont souffert de ségrégation et maintenant de persécution, à cause de leur foi, parfois plus que millénaire. Le Pape François ne les oublie pas et a pris publiquement leur défense plusieurs fois. C’est bien.
Mais les migrants de l’Église catholique elle-même ? Ceux qui, un jour, ont quitté cette Église pour des raisons de foi, de compréhension, d’options de vie familiale, de prises de position sociales, politiques ou simplement humaines. Ou bien ceux qui en opposition à des vicissitudes ou à des idées fermées et cadenassées ont été exclus, excommuniés, ou dégoûtés, ont simplement pris le large, choisi la liberté. Qu’en est-il de ceux – là ? Ils sont souvent gênants, on a donc tendance à les oublier, les isoler, les négliger…
C’est une constante dans l’histoire de l’Église, et sans doute de toutes les Églises, de toutes les religions, que cette volonté d’exclure les personnalités trop marquées, pour soi-disant protéger l’expression de sa vérité, la pureté du message à transmettre. D’où le célèbre adage régulièrement invoqué : Hors de l’Église pas de salut ! Depuis les ébionites jusqu’aux intégristes en passant par toutes les formes de protestantisme, de nationalisme anglican ou autre, de jansénisme ou modernisme, on a, semble-t-il, pris plaisir à condamner, repousser dans les ténèbres extérieures, autant que faire se peut, tous les contestataires, quand ce n’est pas les brûler ou les écarteler, toujours au nom de Dieu et pour sa plus grande gloire. L’inquisition a jadis fait consciencieusement ce sale boulot, le saint office a pris le relais et cela débouche actuellement sur les bureaux de la congrégation pour la doctrine de la foi.
Pour ne parler que de ceux dont au moins quelques-uns vivent encore, il faut rappeler le drame des prêtres ouvriers qui en 1954 ont, avec raison, refusé le retour à l’institution imposé par le Vatican, parce qu’abandonner le travail c’était pour eux renoncer à un milieu où ils avaient découvert l’évangile vécu, avec bien plus de vérité et d’intensité que dans les paroisses ou les couvents.
Faut-il rappeler Échanges et Dialogue ? Il regroupait plus de 1000 prêtres en 1968 et proposait un programme de déclergification en 4 points : 1 : exercer un métier dans la société. 2 : avoir le droit de se marier et de fonder un foyer. 3 : avoir le droit de s’engager et d’exercer des responsabilités sur le plan social et politique. 4 : repenser et réorganiser fondamentalement l’exercice de l’autorité dans l’Église.
Faut-il rappeler, dans la même et triste époque postconciliaire, la condamnation de la pilule contraceptive et la volonté de pénaliser partout l’avortement ? Un nombre incalculable de femmes, dont beaucoup pensaient déjà ne pas avoir dans l’Église la place qu’elles méritaient, a pris alors de la distance par rapport à une institution qui semblait ne rien comprendre de leurs problèmes.
Faut-il rappeler le nombre important de permanents et permanentes de l’Église qui a quitté celle-ci durant les années 70 et 80. On a estimé à plus de 100.000 le nombre des défections de prêtres et religieux durant ces années. On n’a pas compté les religieuses, semble-t-il ! Le Pape François a récemment reçu chez lui quelques prêtres mariés. On sait qu’il avait même des amis évêques mariés et qu’il les fréquentait. Est-ce le signe qu’il ne les oublie pas ?
Faut-il rappeler tous ces chercheurs, philosophes et théologiens, qui, dans l’Église ont ouvert des chemins vers plus d’ouverture, plus de compréhension, plus d’engagement aussi, et qui, finalement, ont été contrés, écartés, isolés, condamnés, exclus, parfois réduits, non seulement à l’état laïc, mais plus grave encore, au silence, à l’étouffement ? Les théologiens de la libération en savent quelque chose, qui ont suivi Gustavo Guttierez et Leonardo Boff sur un chemin pourtant si difficile et si dangereux… Il y eut aussi Louis Evely, Pierre de Locht, Hans Kung, Eugen Drewermann, Jacques Gaillot…, et Partenia ne ressemble-t-il pas à un bateau bien chargé de migrants ?
Faut-il enfin rappeler ces millions d’hommes et de femmes qui, un jour, pour de multiples raisons, et souvent d’une façon douloureuse, ont choisi le divorce comme solution à de nombreux problèmes. Ceux et celles qui étaient catholiques ont régulièrement connu si pas l’opprobre, au moins la mise à l’écart des sacrements. Rejetés, ils ont souvent pris d’autres routes. Ce sont des migrants qui ne retrouveront pas facilement un chemin, qu’ils ont oublié.
Faut-il aussi rappeler que la hiérarchie de l’Église catholique semble viscéralement accrochée à une vision peu évoluée de la sexualité, et que, quand actuellement un pays vote une loi qui dépénalise l’avortement ou qui introduit le mariage pour tous, ce n’est vraiment pas une catastrophe pour l’humanité, mais seulement l’occasion pour cette Église de provoquer par son intransigeance de nouvelles migrations !
Il s’agit là de blocages non seulement psychologiques mais également plus profonds, qui tiennent à l’idée même qu’on se fait de la foi. Il y a dans l’esprit des responsables de cette Église comme une impossibilité de passer de l’absolu au relatif. Tout leur monde semblerait sur le point de s’effondrer. Chaque sacrement est pour eux un morceau d’absolu. Admettre le divorce c’est attaquer l’absolu du mariage. Reconnaître l’aspect symbolique ou mythique de certains rites c’est mettre en péril la véracité du dogme. Et ils ont raison. Mais l’essentiel est-il le dogme ou le message du Christ ?
Quand Jésus dit : Quand tu présentes ton offrande à l’autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande devant l’autel et va d’abord te réconcilier avec ton frère… Est-ce de l’absolu ou du relatif ?
Jacques MEURICE
(article publié dans le n° 394 de Golias Hebdo et communiqué par l’auteur)
Source de l’illustration : hors série n°22 de la revue Parvis