Né d’une femme : Conception et naissance de Jésus dans les évangiles
Il y a deux ans paraissait en français le livre « Jésus pour le 21ème siècle » de John Shelby Spong ancien évêque anglican des USA traduit en français en décembre 2013 aux éditions Karthala. C’était un événement dans la mesure où un responsable d’Eglise revisitait l’événement Jésus à la lumière des dernières recherches exégétiques, trop souvent mises sous le boisseau par les autorités ecclésiastiques par peur de déroger à la doctrine officielle. Les mêmes éditions viennent d’éditer en français un second livre du même auteur : « Né d’une femme, conception et naissance de Jésus dans les évangiles » [1] (paru en anglais en1992).
L’ouvrage est une étude de deux passages qui ouvrent les évangiles de Matthieu et de Luc (datant de 85-90 de notre ère) et qui n’ont pas d’équivalent dans ceux de Marc et de Jean. On les appelle « les évangiles de l’enfance », car ils mettent en scène, l’un et l’autre d’une façon d’ailleurs fort différente et parfois contradictoire, la conception, la naissance et l’enfance de Jésus. Longtemps, on a lu ces textes comme des récits historiques, racontant l’histoire merveilleuse du petit Jésus. Nombreux sont encore ceux qui lisent ces texte de cette manière alors que les recherches exégétiques ont montré depuis des dizaines d’années que leur vérité est pas d’ordre historique mais symbolique, au sens où sous une présentation littéraire empruntée à la Bible, ces récits sont en réalité des professions de foi sur le Jésus des premières communautés chrétiennes. Dans sa démonstration passionnante, y compris en référence à la littérature non-biblique du 1er siècle, John Spong met à la portée de ses lecteurs les résultats des études des spécialistes. Pourtant, si bénéfique que soit son apport, ce n’est pas en cela qu’il est le plus neuf.
Là où gît surtout son originalité, c’est qu’en tant que prêtre puis évêque assumant des postes officiels de responsabilité, il ne craint pas de dénoncer la manière fondamentaliste dont on continue à lire les évangiles de l’enfance les Eglises ( y compris l’anglicane) comme s’il s’agissait de récits historiques. Pour lui, c’est maltraiter les textes que de leur faire dire ce qu’ils ne disent pas et plus encore c’est une infidélité notoire au message des évangélistes et par-delà à Jésus lui-même. C’est un manque d’honnêteté de vouloir y trouver les affirmations dogmatiques qui seront élaborées plus tard sur l’identité de Jésus. Ces dogmes outrepassent de beaucoup le message symbolique énoncé dans les textes.
Spong décrit fort bien la dérive qui est survenue très vite à partir du second siècle (et peut-être même à la fin du premier) concernant les identités données à Jésus et à Marie et forgées de toutes pièces à partir des interprétations erronées des évangiles de l’enfance. La désincarnation et la déshumanisation de Jésus et de Marie ont commencé dans le cadre de la culture grecque où s’est pensé le christianisme des premiers siècles. Jésus de Nazareth est devenu un être divin au détriment de son humanité semblable à la nôtre. De Marie, parce que mère du Fils unique de Dieu, on a fait la femme par excellence, choisie de toute éternité pour enfanter le sauveur, protégée de tout péché, immaculée dans sa conception, indemne de toute relation sexuelle, concevant directement de Dieu, obéissante en tout à Dieu sans comprendre, fidèle disciple de son Fils divin et échappant à la mort et déjà ressuscitée aux côtés de son Fils. Marie est devenue le modèle chrétien de toutes les femmes, de toutes les mères, de toutes les épouses soumises à leurs maris, et même de tous les prêtres, religieux et religieuses célibataires.
Le mérite du livre de John Spong « Né d’un femme » est, comme celui de ses autres ouvrages, de « faire le ménage » dans l’héritage issu du message évangélique – ici les évangiles de l’enfance -, et de s’autoriser à remettre en cause les tabous dogmatiques, vérités considérées comme divines par leurs partisans et soi-disant contenues dans les textes évangéliques. L’ouvrage aidera nombre d’hommes et de femmes de notre temps, chrétiens ou non, à comprendre comment, à partir de lectures erronées des évangiles, on en est venu à diviniser Jésus et désincarner Marie et quelles sont les raisons pour lesquelles dans la longue tradition chrétienne, sur la base de ces représentations, on a méprisé le corps, mésestimé la sexualité et inférioriser les femmes. Lire ainsi les évangiles offre des antidotes à la doctrine toujours actuelle des Eglises, dont la catholique, qui entretient, en dépit de quelques remises en cause, des conceptions erronées de la sexualité et de la femme.
Jacques Musset
[1] Editions Karthala, Prix 16 EurosLire aussi :
– L’Église mourra d’ennui avant qu’elle ne meure de controverse
– Retrouver Dieu au cœur de l’humain