Spéculation agricole : la loi enfin appliquée !
Par Oxfam
Deux ans après notre campagne “Banques, la faim leur profite bien”, et le vote d’une loi limitant la spéculation agricole des banques, l’Etat s’est enfin décidé à appliquer la loi !
Votée en juin 2013, la loi prévoyait :
- que l’Autorité des marchés financiers (AMF) impose aux acteurs financiers, à partir du 1er juillet 2015, un plafond sur le nombre de contrats passés sur une matière agricole donnée dans un temps donné ;
- de renforcer la transparence des activités spéculatives sur les marchés dérivés de matières premières agricoles, via deux mesures applicables dès le vote de la loi :
- 1/ Toute personne détenant des instruments financiers dont le sous-jacent est constitué en tout ou partie d’une matière première agricole doit communiquer quotidiennement le détail de ses positions à l’AMF ;
- 2/ L’AMF doit publier un rapport hebdomadaire présentant ces positions agrégées.
Une avancée obtenue sous la pression
En février 2015, nous avons voulu savoir où en était la spéculation agricole française et vérifier si l’Etat et les banques tenaient leurs promesses.
Nous avons publié le résultat de nos recherches dans un nouveau rapport « Les banques françaises spéculent-elles toujours sur la faim ? ». Malgré les promesses des banques, et le vote de la loi, le constat est sans appel : tout reste à faire.
Les banques, qui avaient promis de fermer une partie de leurs fonds contribuant à la spéculation sur les matières premières agricoles en ont ouvert d’autres.
L’Autorité des Marchés Financiers n’avait mis en œuvre aucune des mesures de transparence prévues par la loi, et ce, plus de 18 mois après le vote de la réforme bancaire !
Nous nous sommes aussi aperçus que l’AMF n’avait pas l’intention de mettre en place des limites de position au 1er juillet 2015, comme imposé par la loi. Le prétexte : des négociations européennes en cours. Une mauvaise raison, puisqu’au contraire, en appliquant sa propre loi, la France se place dans une position d’influence dans ses discussions !
La réforme bancaire était donc restée lettre morte… Nous avons exigé du ministère des Finances et de l’Autorité des marchés financiers, l’application de la loi. Sous la pression, et en amont de la publication de notre rapport, l’AMF a lancé dans l’urgence en décembre 2014 la modification de son règlement général pour pouvoir enfin appliquer la loi : les deux articles de la loi bancaire concernant la transparence sont d’ores et déjà appliqués. Les limites de position, quant à elles sont enfin mises en place, au 1er juillet 2015, comme initialement prévu par la loi.
L’Europe suivra-t-elle l’exemple français ?
La loi française est une avancée majeure, car elle impose des limites strictes aux pratiques spéculatives des banques et améliore la transparence des marchés agricoles et alimentaires. Grâce à cette loi, la France fait figure de pionnière au sein de l’Union européenne et peut donc être en capacité d’influencer fortement et positivement les négociations européennes.
En avril 2014, après de longues années de discussions au sein de l’UE, le Parlement européen a voté une réforme de la Directive sur les marchés d’instruments financiers (MIFID). Ce texte prévoit l’imposition de limites de positions sur les marchés dérivés de matières premières agricoles européens. Dans ce cadre, la France a pu utiliser l’exemple de sa propre législation nationale et influencer les négociations européennes, face à d’autres acteurs qui, comme le Royaume Uni, étaient très opposés à la mise en place de tels plafonds. Pour autant, la victoire au niveau européen n’est encore que partielle.
C’est désormais sur la mise en œuvre que les Etats membres de l’UE doivent s’accorder. Ces discussions – qui servaient de prétexte à l’AMF pour ne rien faire en France – sont en cours. Elles pourraient, si le rapport de force n’était pas en faveur d’une réforme réellement ambitieuse, vider de sa substance le texte voté par le Parlement européen.
Dans tous les cas, la législation européenne viendra surpasser les législations nationales. Concrètement, cela signifie que si les mesures imposées au niveau européen sont moins ambitieuses que celles obtenues dans le cadre de la réforme bancaire française, tous les efforts consentis au niveau français et tous les acquis obtenus sous la pression d’Oxfam France seront réduits à néant.
Des étapes cruciales à suivre
Au niveau français, la réforme bancaire est une grande victoire de plaidoyer pour Oxfam France : nous avons réussi à transformer un sujet inexistant sur le plan politique en une loi ambitieuse et appliquée.
Au niveau européen, les enjeux sont très importants. Si les discussions en cours sabrent les ambitions de la réforme de MIFID, c’est l’ensemble des résultats obtenus en France qui pourraient être mis en péril. L’AMF, qui est partie prenante des discussions en cours, doit absolument pousser pour que la réforme européenne soit au moins aussi ambitieuse que la loi française.
Tout se joue dans les mois qui viennent, car le texte devra être adopté en septembre 2015. Le Parlement européen n’aura pas la possibilité d’amender cette proposition, mais seulement de s’y opposer en bloc s’il considère qu’elle dénature complètement l’esprit du texte voté en avril 2014. Cette option pourrait être envisagée, et nous discutons déjà avec nos partenaires européens et les eurodéputés qui soutiennent une réforme ambitieuse, mais cela repousserait encore l’issue d’un processus entamé en octobre 2011. Pendant ce temps, la spéculation continue !