Journée d’études commune des présidents de conférences épiscopales de France, Allemagne et Suisse
Le 25 mai 2015 s’est tenue, à l’Université grégorienne de Rome, une journée d’études commune à l’invitation des présidents des Conférences Épiscopales de France, d’Allemagne et de Suisse, sur de questions de la pastorale du mariage et de la famille en vue du Synode des évêques
Du compte-rendu intégral publié dans 3 langues (français, allemand et italien) [1], nous extrayons ici le Communiqué de presse et le Résumé.
I – Communiqué de presse
Vocation et mission de la famille en Eglise et dans le monde contemporain.
Journée d’études commune des présidents de conférences épiscopales de France, Allemagne et Suisse
Le lundi 25 mai dernier, à l’invitation des trois présidents des conférences épiscopales de Suisse, France et Allemagne, des évêques des trois conférences – dont plusieurs pères du synode –, des professeurs de théologie, des collaborateurs de la curie romaine et des journalistes se sont rencontrés pour une journée d’études, à l’université pontificale grégorienne, à Rome. Cette initiative est dans le prolongement de la rencontre annuelle des trois présidences de conférence, qui en 2015, a eu lieu, à Marseille, en janvier.
Les 50 participants ont débattu sur les thèmes du synode d’octobre prochain : «Vocation et mission de la famille en Eglise et dans le monde contemporain ». Le souhait des trois présidents était d’enrichir la réflexion sur les fondements bibliques et théologiques de ces thèmes, et de préciser les problématiques au cœur des débats actuels sur le mariage et la famille.
Le premier temps de la journée a été consacré à l’interprétation biblique catholique des paroles de Jésus sur le divorce: comment comprendre les paroles de Jésus en elles-mêmes, et dans le contexte global de l’annonce du Royaume de Dieu et de la Tradition de l’Église?
Selon la constitution Dei Verbum du Concile Vatican II (n°8), la compréhension chrétienne de la tradition se développe dans l’histoire, sur la base du discernement des réalités spirituelles par les fidèles et à travers l’enseignement du Magistère.
Un second temps a pris en compte les données d’une théologie de l’amour, réfléchissant notamment à la sexualité comme langage de l’amour et don précieux de Dieu. Cette théologie est en attente de propositions nouvelles, qui noue un dialogue intense entre la théologie morale traditionnelle et les meilleurs apports de l’anthropologie contemporaine et des sciences humaines.
Enfin, une troisième séquence de travail était dans une perspective de théologie narrative, éclairant les conditions de la biographie des individus comme histoire de grâce. Dans le contexte social pluraliste et complexe de nos sociétés, l’individu est confronté à des difficultés sans cesse croissantes dans la construction responsable de sa propre vie. La prise de distance avec les héritages traditionnels rend cette construction encore plus délicate. Les projets personnels et les jugements de conscience jouent un rôle bien plus important. Tout cela impacte fortement la compréhension morale de la vie et constitue autant de défis pour la pastorale conjugale et familiale.
Tous ces exposés et débats ont mis en lumière la diversité des approches actuelles sur la théologie du mariage et de la famille. Cette journée d’étude a cependant clarifié que le débat théologique sur l’avenir du mariage et de la famille est nécessaire et riche de promesses.
II – Résumé de la journée d’étude
Compte-rendu récapitulatif des débats les aspects thématiques suivants ont en particulier été abordés et discutés au terme de deux exposés chaque fois et au cours de la discussion finale.
Des différentes contributions au débat a résulté le résumé suivant, lequel ne constitue pas une unité synthétique au sens d’un communiqué de clôture.
Herméneutique
L’importance de l’herméneutique a été répétitivement et particulièrement soulignée pendant l’intégralité de la réunion. Les assertions néotestamentaires sur le mariage en sont un exemple manifeste. Il a été également précisé que les textes bibliques requièrent une interprétation du fait du cadre historique dans lequel la parole humaine a, alors, restitué la parole divine. En référence au document de la Commission Biblique Pontificale «L’interprétation de la Bible dans l’Église» (1993), il s’est avéré que la richesse et l’ouverture des témoignages bibliques constituent une spécificité qui pose un défi à leur interprétation, à la réflexion à leur sujet et la transposition dans la vie.
Et ce qui importe là, ce n’est pas de considérer les assertions bibliques isolément, mais dans leur époque, dans leur contexte textuel respectif et dans le contexte d’ensemble du message biblique, afin de pouvoir en extraire les aspects théologiques d’actualité. La complexité accrue de l’interprétation qui en résulte constitue un défi, mais un défi inévitable et utile dans l’effort visant à rester fidèle à Jésus et à l’intention de ses assertions. Il a été souligné que la relation avec Dieu et en particulier la proclamation du Royaume de Dieu constituent le cadre herméneutique d’ensemble dans lequel sont à énoncer les interprétations respectives sous une forme toujours nouvelle L’enseignement ne détient aucune compétence spécifique sur les questions de l’exégèse, mais la tâche d’inculquer le sens des Écritures avec la tradition de l’Église. Il a besoin du dialogue avec la science et avec un grand nombre de personnes et de couples à la recherche d’une orientation. Il a également été évoqué que non seulement les sources bibliques, mais aussi les assertions et dogmes enseignés par l’Église requièrent une herméneutique tournée vers la vie au temps présent
Le Royaume de Dieu
Le message du Royaume de Dieu qui s’est instauré en la personne de Jésus Christ constitue le cadre herméneutique et le point de référence pour la proclamation ecclésiastique dans son ensemble. Cela vaut également eu égard à la vie dans la relation de couple, le mariage et la famille. Le mariage et la famille sont une authentique forme de succession du Christ. Il faut sans cesse replacer la doctrine dans ce cadre de l’espérance du Royaume de Dieu et faire comprendre que cette bonne nouvelle est un message destiné à libérer l’humanité. De la sorte, la liberté de chacun est respectée, sa socialité est favorisée et l’amour au sein du mariage est valorisé. Dans cette perspective, il convient d’élever à nouveau le trésor de l’Église, aussi de la doctrine du mariage et de la famille, et de le faire connaître aux humains comme un bien qui leur est destiné.
Biographie
Particulièrement soulignée a été l’importance de la biographie individuelle, des expériences faites dans la vie et des attitudes face à la vie pour la réflexion théologique sur le lien entre la doctrine et la vie, eu égard en particulier au mariage. Il est ainsi absolument incontournable, pour porter une évaluation morale des attitudes et actes individuels, d’intégrer le contexte biographique. Une théologie abstraite qui ne tient pas compte du contexte biographique perd sa pertinence. Il a été signalé dans cet esprit que les personnes qui ont vécu l’échec de leur mariage, et vécu plus tard au sein d’un nouveau mariage conclu en droit civil, ont éprouvé un sentiment de faute personnelle envers l’échec et à la séparation, mais ne l’on pas éprouvé relativement au nouveau partenariat et à la nouvelle conclusion d’un mariage. Cette nouvelle conclusion est plutôt vécue comme un nouveau départ, donc comme une tentative de surmonter ses propres erreurs et de les éviter dans la nouvelle relation. Dans ce contexte, il s’avère nécessaire de soumettre la vie au sein d’un nouveau mariage civil à une nouvelle évaluation. Cet événement dans la biographie n’est pas saisi de manière pertinente par le qualificatif d’un « péché permanent ». Il a été instamment renvoyé, aussi, au fait que les biographies sont associées et maillées en réseau. Les discussions se penchent ainsi beaucoup trop peu sur le destin et la souffrance des enfants concernés.
Sciences humaines
Sous cette notion, qui se réfère à des disciplines scientifiques comme la médecine, la psychologie, la psychologie du développement, mais aussi la sociologie du monde actuel, il a été demandé de tenir plus fortement compte d’elles dans la poursuite de l’évolution de la doctrine ecclésiastique, même si la nécessité d’une formation théologique du jugement est restée incontestée. Il a été souligné toutefois qu’une théologie morale qui néglige le lien avec les sciences humaines ou le considère même comme non pertinent conduit à un fidéisme signifiant une dissociation de la foi et de la raison, et la dévalorisation radicale de cette dernière. Or il s’agirait là d’une contradiction fondamentale avec la doctrine de l’Église.
Relativement à la doctrine de l’Église sur la sexualité et le mariage, cela signifie toutefois qu’ici aussi il faut prendre activement connaissance des nouveaux enseignements et du fait que l’état des connaissances a progressé, d’autant plus que les normes concrètes dans ce domaine remontent à des époques qui ne disposaient pas encore du niveau de connaissances moderne sur le développement et l’importance de la sexualité humaine. Il faut intégrer cela dans un processus herméneutique qui étudie nouvellement, pour aujourd’hui, le témoignage des Écritures à la lumière de la tradition. C’est dans cet esprit qu’il faut également perfectionner les normes. Il importe en particulier de ne pas restreindre la sexualité humaine au coït comme certains passages capitaux de la doctrine du mariage continuent de le faire, mais de la prendre au sérieux en tant qu’aspect existentiel global de l’être humain. Dans cet esprit, il s’agit de développer une « maïeutique de l’Éros », parce qu’il ne faut pas justement laisser les (jeunes) gens sans orientation dans les courants de l’esprit du temps.
Réconciliation
L’importance de la réconciliation en tant que dimension fondamentale du message chrétien a été mise en évidence. Dans ce contexte a été signalée la nécessité indispensable d’une voie de réconciliation pour tous les humains et pour toutes les situations de la vie. Il a été instamment demandé que la réconciliation ait la priorité sur le jugement et la sanction. Le fait qu’il ne puisse pas y avoir de réconciliation pour les divorcés remariés également actifs sexuellement au sein d’une seconde union constitue une voie sans issue; il n’y a pas de parallèle à cela dans la pratique ecclésiastique. Il faut surmonter cette situation pour ne pas continuer de menacer la crédibilité de l’Église lorsqu’elle parle de l’importance de la réconciliation. Ce problème est urgent. Relativement aux formes de vies en partenariat hors mariage, la question suivante se pose sous l’aspect de la réconciliation: comment pouvons-nous défendre ces valeurs sans en dévaloriser d’autres? Une grande sensibilité a été particulièrement demandée à ce titre pour user d’un langage qui ne dérive pas vers un style dévalorisant, mais qui veille à une «clarté humble». Ici a été vue la nécessité pressante de poursuivre un approfondissement, dont le caractère de processus a été particulièrement souligné. Ce qui importera sera de poursuivre le développement de la « caisse à outils de l’Église ».
Sacrement
Souvent a été signalée l’importance de la sacramentalité du mariage. Il a été notamment souligné que le sacrement du mariage participe au sacrement racine qu’est l’Église. Où cet aspect se retrouve-t-il dans la pratique de la pastorale ? Il faut voir en face que l’échec d’un mariage constitue un échec non seulement pour les époux, mais aussi pour l’Église dans son ensemble, et que l’Église, par conséquent, doit aussi s’interroger sur sa propre responsabilité de cet échec. Une relativisation de la sacramentalité a été considérée comme une voie sans issue. Ce qui a été considéré comme nécessaire, c’est une nouvelle herméneutique de la notion de sacrement, dans laquelle le lien entre la foi et le salut fait l’objet d’une réflexion approfondie. Ce faisant, la notion de mystère a été évoquée, plus fortement orientée vers une nouvelle réalité de vie et qui se situe dans l’horizon du Royaume de Dieu. Le double caractère du sacrement eucharistique a également été souligné; ce sacrement est d’une part le signe de l’unité de l’Église, d’autre part un moyen curatif et un fortifiant pour la route. Il a été souligné que cet aspect dernier cité ne doit pas être chapeauté et gêné par le premier.
Consummatio
La notion de consummatio a également été discutée et approfondie, en disant qu’une réduction de cette dernière au coït constitue un raisonnement problématique par son étroitesse. Ici demeure un reliquat, en quelque sorte, de ce que le Concile de Vatican II a eu au moins l’intention de surmonter, à savoir le « ius in corpus » [2]. Tandis que le Concile a placé le mariage en tant qu’union de deux personnes au coeur de la doctrine ecclésiastique du mariage, cet attachement au « ius in corpus » engendre une façon inadéquate d’observer le mariage, et conduit finalement à des erreurs de jugement et théologiques et morales. Face à cela, il s’agit de comprendre la sexualité comme un fait qui englobe l’intégralité de la personne humaine et, avec cette façon de penser, d’intégrer sur une base biblique et dans le courant de la tradition, les enseignements plus récents des sciences humaines.
Gradualité
Sous l’aspect de la gradualité, il a été signalé que l’Église a affaire à des personnes sur le chemin, mais qu’elle aussi, elle-même, le peuple pèlerin sur le chemin de Dieu. Cela entraîne une imprécision, nécessaire dans une certaine mesure, de l’ajustage entre la doctrine et la vie.
Les dénivelés, fractures, défauts de simultanéité figurent au programme quotidien de la pratique pastorale. Les images directrices du mariage et de la famille définissent un référentiel éthique de haut niveau dont les êtres humains ne peuvent jamais, autrement que graduellement, transformer les différentes facettes en réalité. D’un autre côté vaut ce principe : qui aime vit une expérience transcendantale.
Il se trouve donc aussi dans les relations d’amour qui ne se conforment apparemment pas aux normes de l’Église, des aspects qu’il faut considérer comme d’authentiques témoignages de l’amour de Dieu et de l’action de l’Esprit. Nous devons chercher Dieu partout ! Dans ce contexte a été signalée l’importance de la réflexion théologique sur le « logoi spermatikoi ».
Face à ces structures de la réalité se pose pour l’Église le défi de surmonter toute forme de réflexion sans nuances. Relativement à la thématique de l’homosexualité se pose ici un défi particulier auquel il faut répondre dans la réflexion.
Différenciation
Un aspect régulièrement mis en évidence dans les débats est celui de l’incontournable nécessité d’un mode d’observation différencié. Les différenciations requièrent un effort de réflexion, d’argumentation et d’action, car il en est ainsi que les contextes de la vie humaine sont complexes et qu’ils requièrent une façon adéquate de les aborder. Un langage qui renonce aux différenciations devient vite dévalorisant et blessant. Mais là où l’Église ne se distancie pas clairement et de manière compréhensible de toute forme de discrimination, elle fait obstacle à son propre message de proclamation. Pour approfondir le débat et perfectionner le langage de l’Église sur le mariage et la famille, il sera particulièrement important de surmonter la tentation des comparaisons simplificatrices telles que par exemple: celles du sujet et de l’institution, d’Eros et d’Agape, de la vérité sans âge et de l’esprit du temps.
Relativement au thème du mariage et du partenariat, il est important de souligner, de façon différenciée, autant la tolérance vis-à-vis d’autres formes de partenariat que la différence par rapport au mariage. Ce faisant, le fait de mettre en évidence son propre profil du mariage ne constitue ni une dévalorisation ni une discrimination d’autres formes de vie.
Offrir une orientation
Pour les participantes et participants aux entretiens, proposer une orientation aux gens, et en particulier aux jeunes gens, a constitué une préoccupation centrale. Il relève de la responsabilité de l’Église de formuler cette offre d’orientation d’une manière qui soit effectivement compréhensible et plausible pour ceux auxquels elle est destinée. Ici, il revient à la doctrine de l’Église une importance essentielle. Toutefois, l’Église ne sera à la hauteur de la tâche que si les relations entre la doctrine et la vie sont examinées avec plus de précision: la doctrine du mariage et la réalité partagent en effet trop peu de points communs. Il faut par ailleurs tenir compte du fait que proposer une orientation ne doit pas signifier dévaloriser et juger. Face à cela, il est nécessaire pour le travail pratique de l’Église de développer un «art de l’accompagnement» et de l’entretenir.
Conséquences pour le Synode
L’Église, cela a été mis en évidence, a pour obligation de faire connaître à l’humanité le message libérateur de Jésus. Simultanément, elle doit tenir compte de la liberté de chaque individu. Elle doit se demander: qu’avons-nous, depuis le Royaume de Dieu, à dire aujourd’hui à ces gens sur le mariage? Trouver une réponse conjointe à cette question ne sera pas chose facile. Il ne peut s’agir en aucun cas de compromis simplificateurs, mais seulement d’une lutte conjointe et honnête. Il revêt une importance particulière, à ce titre, de se concentrer sur une distinction entre les esprits: dans quel esprit parle-t-on ici ? Dans quel esprit parlons-nous? La scission n’est pas une œuvre de l’esprit. De même, les dénigrements, offenses et injures réciproques ne sont aucune œuvre de l’esprit. Une comparaison maladroite du genre: ici l’on s’en tient à la vérité et là on s’adapte à l’esprit du temps ne sera pas à la hauteur de la gravité de la situation. Il ne s’agit pas, face aux courants de l’époque, d’abaisser le niveau de l’éthique chrétienne et de créer des facilités. Il s’agit au contraire de découvrir le mariage et la famille sous leur forme actuelle comme une forme de vécu de la foi sans discriminer pour autant les autres. Le Synode en préparation ne doit pas se contenter de confirmer ce qui existe et a déjà été dit. Les textes d’Église qui «ne parlent pas» aux gens et donc ne les incitent pas à réfléchir et à agir, passent à côté de leur intention. Le Synode a la grande opportunité de redécouvrir et proclamer le message du Christ sur le mariage et la famille comme une théologie de l’amour.
Notes :
[2] dans le mariage, le droit du conjoint à exiger de l’autre partie de remplir l’acte conjugal et que ce droit lui est exclusif.