Éditorial du National Catholic Reporter
Les sœurs prient, lors de l’Assemblée générale de la LCWR, le 14 août 2015
La Conférence de direction des religieuses américaines (LCWR), réunie pour la première fois depuis que le Vatican a mis fin à l’enquête sur leur organisation, avait beaucoup à célébrer. Elle a survécu, intacte, apparemment libérée pour le moment d’une nouvelle ingérence du Vatican. Les religieuses ont exprimé des sentiments chaleureux envers ceux qui les ont aidées à travailler au long de la crise, notamment l’archevêque de Seattle, Peter Sartain, qui a reçu des notes élevées en matière intégrité et de compétence à la médiation de la controverse.
Dans notre communauté de foi, il n’y a pas de planification ou de comptabilisation de la grâce ou de l’effusion de l’Esprit, simplement l’attente que les deux infusent nos vies et nos actions en abondance. Dans le même temps, la tension entre ce que représente l’analogie du serpent et de la colombe est également toujours présente.
Nous nous permettons donc de noter, au sein de la fête et malgré l‘issue bénéfique de l’enquête sur la LCWR et de l’enquête antérieure sur les religieuses américaines en général, qu’un certain nombre de réalités institutionnelles concernant l’attitude du Vatican envers les femmes restent inchangées.
La présidente de la LCWR, Sr. Sharon Holland, rare exemple d’une femme qui a passé une carrière importante à travailler au sein de la Curie, fait mention du “choc de cultures” que les sœurs ont rencontré.
“Nous risquions de glisser à parler de l’autre au lieu de parler plus profondément les uns avec les autres”, a déclaré Holland, sœur du Cœur Immaculé de Marie. Certains dans cette culture judiciaire / hiérarchique “croyaient honnêtement que nous étions hors piste sur certaines questions doctrinales, certains étaient tout simplement convaincus que nous étions irrespectueuses de l’autorité ecclésiastique.”
Avocate canonique, Holland a aidé diverses sœurs individuelles et congrégations américaines à naviguer dans les courants dangereux et souvent cachés de la bureaucratie du Vatican. Elle a été sans aucun doute une valeur inestimable dans la traduction de cette culture étrangère aux femmes responsables, accusées de déformer la foi en Jésus-Christ et de saper l’enseignement de l’Église.
Un autre moment a été évoqué innocemment, par Janet Mock, sœur de saint Joseph, qui a servi comme directrice exécutive de la LCWR d’avril 2012 à décembre 2014. Elle a révélé que si elle a été en mesure de maintenir l’espoir pendant les années difficiles où elle dut faire face à l’enquête, en s’efforçant de voir le bon côté des gens, elle a également vu la culture de corruption dont avait procédé l’action du Vatican.
“Je ne voulais vraiment pas regarder ça,” dit Mock. “Et nous ne le voulions pas au sein du conseil d’administration, mais une culture de corruption était au travail à des niveaux plus importants, et nous en sentions l’impact.”
Les moments de candeur furent rares lors de la récente réunion. Les discussions de la session exécutive, dont plus que quelques-unes des sœurs auraient souhaité qu’elles soient publiques, ont donné libre place à la complexité de la situation à laquelle elles font face, malgré le récent règlement. Les religieuses doivent-elles continuer à faire ce qu’elles perçoivent comme leur vocation, même si cela peut les mettre à nouveau en difficulté avec la culture masculine du pouvoir ? Quelle est la signification à long terme de la résolution et quel est le langage approprié pour la décrire ?
Quelques points qui étoffent le contexte semblent dans l’ordre les suivants.
Bien que le mandat officiel soit venu du Vatican, nous savons que le contenu de la plainte a son origine dans des plaintes exprimées de longue date par les forces conservatrices aux États-Unis, incluant certains évêques, au sujet des sœurs. Le dossier présentant l’affaire repose sur une argumentation ridicule, de minceur arachnéenne, avec une documentation qui n’aurait pas passé les exigences d’une dissertation de lycée. Au-delà de l’inanité des accusations, il fallait le culot d’une culture cléricale masculine pour ouvrir des enquêtes balayant dans la vie des femmes. Ces hommes devront encore plonger profondément dans leur propre vie afin de déterminer ce qui, dans leur culture, fait qu’ils n’ont rien vu de mal, jusqu’à ce que la pression du public s’en empare, à ce que des centaines d’évêques protègent des milliers de prêtres qu’ils savaient avoir abusé sexuellement des dizaines de milliers d’enfants. Les religieuses ont été et sont le moindre de leurs problèmes.
Les négociations et les rencontres entre les religieuses et les autorités religieuses ont toutes été menées dans les conditions imposées par des hommes, sur leur territoire, avec leurs représentants à qui avaient été donnés pleine autorité et pleins pouvoirs sur l’organisation des femmes. Tout cela a été mené à huis clos. Nous reconnaissons que certaines questions concernant la famille, si c’est là une bonne analogie, doivent être menées en secret, que les négociations se déroulent rarement avec succès en public. Mais cela a commencé comme un abus flagrant de pouvoir dans une relation dans laquelle les participants étaient rarement à égalité. Il est essentiel de comprendre qu’ils ne sont toujours pas égaux.
La résolution, il est prudent de le conclure, ne se serait pas produite de cette manière, ni même pas du tout, durant les pontificats de Jean-Paul II ou de Benoît XVI. L’enquête était un produit de la nature de la pensée et du jeu de puissance épiscopale qui était un produit de ces deux administrations. Ce n’est pas un secret que les changements dans le ton et dans le personnel en postes à la Curie – surtout après l’élection de François – ont eu beaucoup à voir avec la façon dont les choses ont tourné. On ne devrait pas non plus sous-estimer l’influence représentée par les 100.000 lettres de soutien reçues par la LCWR. Ce que le Vatican a fini par réaliser, peu de temps après avoir commencé l’enquête sur les ordres religieux, c’est que des millions de catholiques connaissent et aiment les religieuses.
Enfin, et peut-être le plus important, est le langage utilisé pour caractériser le rapprochement qui a eu lieu quand ont été démantelées ces intrusions dans la vie des religieuses aux États-Unis. Beaucoup a été dit des «relations», de la «confiance» et du dialogue qui se sont développés au cours de cinq années. Les relations se font de nombreuses façons et la façon dont celle-ci s’est déroulée est apparue, selon tous les standards raisonnables, se dégrader en abusive.
Dans le cas de la LCWR, les femmes leaders étaient intelligentes, d’acier, déterminées et ont fait ce qu’elles devaient faire ; le soutien de personnes et le changement de papauté les ont aidées à conduire la crise à une fin convenable.
La réalité ultime, cependant, est que l’Église est encore une monarchie, un univers et une culture élaborés par des hommes exclusivement pour les hommes. À moins d’une conversion de cette culture à des dimensions de Pentecôte, rien de cela n’a changé. Ce qui a été accompli s’appelle proprement un correctif. Une crise a été gérée. Ce ne fut pas une transformation. Garder la moitié de la population de l’Église éloignée des conseils dont les prises de décision ont des conséquences ne devrait pas changer de sitôt.
Les religieuses américaines ont, sans aucun doute, fait une nette impression sur certains hommes dans cette culture hiérarchique / judiciaire et un peu rétréci l’abîme entre certains hommes et les femmes responsables dans l’Église. La question précédente est celle du degré de sagesse et de bon sens qui doit accompagner la douceur de la colombe.
Les femmes ont bénéficié du soutien des laïcs parce qu’elles représentaient une expression de l’Église bien différente de celle que nous rencontrons habituellement dans la culture cléricale masculine. Nous espérons que l’esprit d’aventure essentiel à ce modèle ne soit pas perdu.
Pour le moment, la monarchie a travaillé à l’avantage des religieuses. François, cependant, ne sera pas toujours là. Et il y a beaucoup d’hommes qui se sentent menacés par les changements qu’il tente de mettre en place et qui se souviendront longtemps que les religieuses ont gagné cette manche. Ces hommes resteront en place un certain temps, nonobstant la grâce et l’Esprit.
Source de l’article et de l’illustration : http://ncronline.org/news/peace-justice/editorial-lcwr-and-vatican-relations-were-fixed-not-transformed
Traduction par Lucienne Gouguenheim
On peut lire aussi :
– http://nsae.fr/2014/12/18/diffusion-du-rapport-du-vatican-sur-les-religieuses-americaines/
– http://nsae.fr/2014/05/09/les-religieuses-americaines-sexpriment-sur-leur-visite-au-vatican/
– http://nsae.fr/2014/08/13/les-enjeux-sont-importants-pour-la-lcwr-qui-ouvre-son-assemblee-annuelle/