La Finlande, nouveau laboratoire de l’austérité
Par Romaric Godin
Le gouvernement finlandais veut imposer aux syndicats un plan de rigueur drastique pour redynamiser l’économie. Les syndicats ont répondu par une grève générale.
Vendredi 18 septembre, la Finlande a été bloquée par une grève de grande ampleur. La compagnie aérienne locale, Finnair, a dû annuler 16 vols au départ du pays, tandis que la plupart des trains de grande ligne et les transports urbains étaient supprimés. Plusieurs magasins étaient fermés. Devant la gare Centrale de la capitale et malgré la pluie, plus de 30.000 personnes ont manifesté contre les mesures d’austérité annoncées par le gouvernement. Le pays n’avait plus connu de grève générale depuis 1956. On a même pu constater des échauffourées à la marge du rassemblement. L’esprit de « consensus social nordique » semble donc ne plus être d’actualité en Finlande.
Le plan gouvernemental
A l’origine de cette manifestation, l’annonce par le gouvernement de droite finlandais, issu du scrutin du 19 avril dernier, d’abaisser le coût du travail de 5 % pour sortir le pays du marasme dans lequel il se trouve depuis près de trois ans. Son projet inclut une réduction des congés payés dans le secteur public, des baisses dans les compensations pour le paiement des heures supplémentaires et des arrêts maladie et une réduction de 100 à 250 jours de la durée des indemnisations chômage actuellement fixée à 500 jours. Le gouvernement a certes laissé les partenaires sociaux négocier, mais uniquement pour la forme puisqu’il a annoncé que la seule alternative laissée aux syndicats était d’accepter une augmentation de 20 minutes de la durée légale du travail. Autrement dit, fort de son mandat populaire – la coalition au pouvoir regroupe les trois partis arrivés en tête en avril – le gouvernement veut imposer ses solutions sans en passer par l’habituel dialogue social.
Pour insister sur la gravité de la situation, le Premier ministre Juha Sipilä s’est adressé directement à la télévision aux Finlandais pour justifier sa volonté de passer en force. Jamais depuis 22 ans un chef de gouvernement finlandais n’avait eu recours à ce type de message. Le projet devrait être présenté à la fin du mois au parlement et entrer en vigueur pour l’essentiel en mars prochain.
Une situation économique préoccupante
La situation économique de la Finlande est, en effet, critique. En dépit d’une croissance du PIB de 0,2 % au cours du deuxième trimestre 2015, le pays est à l’arrêt depuis pratiquement trois ans. Sa richesse nationale est, fin juin, inférieure de 0,3 % à celle de 2010 contre une progression de 2,9 % sur la même période pour la zone euro. Au sein des Dix-Neuf de l’Union monétaire, la Finlande est le plus mauvais élève sur cette période, si on exclut les pays périphériques du sud (Italie, Portugal, Grèce, Chypre). Même l’Espagne avec une progression de 0,2 % fait désormais mieux. En réalité, la Finlande, malgré son PIB par habitant élevé, n’est plus vraiment un pays du « cœur » de l’Union monétaire.
Le pays se désindustrialise rapidement. En juillet, la production industrielle a reculé de 1,3 % sur un mois et de 3 % sur un an. C’est la 31e baisse consécutive en rythme annuel ! Logiquement, le chômage progresse. En taux harmonisé européen, il représente 9,7 % de la population active. Sur un an, la hausse est d’un point. La Finlande est un des trois pays de la zone euro où le chômage a progressé entre juillet 2014 et juillet 2015, avec la France et l’Autriche, mais dans ces deux pays, la hausse n’est que d’un dixième de point, soit dix fois moins qu’en Finlande. Rien d’étonnant donc à ce que les capitaux fuient le pays. Au second trimestre, les sorties nettes de capitaux ont atteint 4,6 milliards d’euros.
Absence de moteurs de croissance
Quelles sont les raisons de cette descente aux enfers ? Elles sont multiples. Les industries traditionnelles du pays sont d’abord en forte décroissance. La locomotive Nokia qui avait permis la croissance durant une dizaine d’années, de 1995 à 2008, n’existe plus. Les industries forestières sont en recul et les marchés émergents ne peuvent plus servir de moteur pour les exportations, d’autant que le premier d’entre eux, la Russie, va mal. La Finlande n’a pas su négocier ce virage et trouver d’autres spécialisations capables de soutenir son économie. Dans ce contexte, les entreprises finlandaises ont réduit leurs investissements et l’utilisation des capacités de production. La productivité a reculé très fortement, de près de 1 % en 2010 et de 4,5 % depuis 2007. Mais, parallèlement, la croissance a été soutenue par les salaires. D’autant plus que la rigueur budgétaire est une religion en Finlande.
Hausse du coût salarial
La croissance n’a donc pas été alimentée par la dépense publique, mais, par la croissance du coût unitaire du travail, alors que l’activité et la productivité reculaient. Le coût unitaire du travail finlandais a progressé de 8,9 % sur cinq ans en 2014 contre 6,9 % en France et 7 % en Allemagne. L’écart entre le coût du travail et la productivité a donc atteint 10 % sur cinq ans et est un des plus importants de la zone euro et a aggravé le problème de compétitivité du pays. Il a été d’autant plus difficile à gérer que, parallèlement, les autres pays de la zone euro ont pratiqué soit des politiques de dévaluation interne, soit une modération salariale (en relation avec la croissance de la productivité) plus marquée qu’en Finlande. La compétitivité est toujours une notion relative et la Finlande, avec ses facteurs aggravants, subit, comme l’Autriche ou la France, les effets de la politique européenne de course à la compétitivité externe. En Finlande, on assiste donc à un effet de second tour de la crise européenne débutée en 2010.
La politique de réforme finlandaise
La solution dans laquelle s’est engagé le gouvernement n’est pas une surprise. Les trois partis au pouvoir, le Centre du premier ministre, la Nouvelle Coalition du ministre des Finances et ancien premier ministre Alexander Stubb et le parti populiste de droite « les Finlandais » de Timo Soini, avaient tous surenchéri pendant la campagne électorale sur les mesures déflationnistes à prendre. Certes, le gouvernement prévoit officiellement un plan d’investissement assez vague, mais cet élément ressemble surtout à un prétexte pour désarmer les critiques. La situation industrielle de la Finlande nécessiterait un effort franc et massif.
En revanche, l’effort principal – et détaillé – est placé sur la baisse des coûts salariaux. Mais ces mesures qui ne répondent que partiellement au problème finlandais, voire qu’il l’aggrave. Frapper les salariés dans une économie déjà dans le marasme risque en effet de réduire encore la capacité de croissance de l’économie finlandaise, donc la seule dynamique est aujourd’hui réduite à la consommation des ménages. Or, cette consommation n’est pas isolée : sa dégradation contribuera inévitablement à réduire l’attractivité du pays et la capacité d’investissement des entreprises opérant dans le pays. Elle réduira aussi les revenus fiscaux de l’Etat. Selon le syndicat SAK, le pouvoir d’achat des salariés sera réduit de 3 %.
Priorité à l’objectif budgétaire
Mais le gouvernement finlandais n’en a cure. Comme la commission européenne, qui vient de placer le pays sous surveillance pour son déficit budgétaire, son obsession, c’est la réduction de la dette et du déficit budgétaire. C’est pourquoi le plan finlandais est d’abord un plan d’économie, de près de 1,7 % du PIB. Helsinki ignore – ou feint d’ignorer – le phénomène de multiplicateur budgétaire, autrement dit de l’effet négatif de ces mesures sur la richesse nationale. Comme au plus beau temps du début de la crise de l’euro, on prépare donc des projets de réduction du déficit de 3,1 % du PIB cette année à 2,8 % l’an prochain, sans prendre en compte cet effet. Rien d’étonnant à cela : le ministre de l’économie finlandais actuel n’est autre qu’Olli Rehn, l’ancien commissaire européen qui avait appliqué la politique de la troïka. En réalité, et c’est pourquoi le gouvernement a refusé de réellement discuter avec les syndicats, cet objectif budgétaire est le seul vrai objectif du gouvernement.
Idéologie austéritaire
Cette réponse finlandaise à la crise montre bien qu’il existe une politique économique en zone euro. Et que cette politique est la désinflation compétitive. Elle prouve une nouvelle fois l’incapacité de ses dirigeants à retenir les leçons du passé. Si une modération salariale semble nécessaire en Finlande, le pays a surtout besoin d’une politique industrielle et d’un travail sur sa productivité, donc d’investissements massifs. La Finlande, qui est peu endettée (à 63 % de son PIB) aurait pu utiliser une partie de cette dette pour un plan de relance ciblé qui aurait permis de faire repartir le PIB et, donc, de réduire ce ratio. A l’inverse, l’austérité risque de creuser le ratio d’endettement comme cela a été le cas dans tous les pays qui l’ont pratiqué, y compris les success story affichées comme l’Irlande ou l’Espagne.
Quant à l’effet sur l’investissement de ce plan, il pourrait être très faible, compte tenu de la situation de l’industrie finlandaise et du processus de désindustrialisation très avancé. Du reste, quoi qu’en dise Alex Stubb, la Finlande mène une politique de rigueur budgétaire depuis plusieurs années et cela n’a pas permis de renforcer le pays, bien au contraire.
Aveuglement des agences de notation
Un autre élément intéressant est la position des agences de notation : alors que le pays est en plein marasme, que sa dette a considérablement augmenté et que ce mouvement devrait encore s’accélérer, Fitch a confirmé le AAA de la Finlande vendredi dernier, note affirmée récemment aussi par Moody’s. Seule S&P a déjà dégradé le pays. Ce maintien de la meilleure note est étonnant au regard des fondamentaux très dégradés du pays. Néanmoins, il traduit un «biais » culturel de ces agences : un pays du nord est forcément vertueux et un plan d’austérité est forcément positif. En attendant, et malgré les efforts des syndicats, il y a peu à parier que les mesures gouvernementales fasse réellement débat en Finlande. Le gouvernement peut s’appuyer sur le résultat des élections pour imposer ses vues. Dans les derniers sondages [1] , la coalition ne recule pratiquement pas. Le pays entre donc dans des eaux particulièrement troubles