Osorno, Karadima : nouveaux commentaire et développements judiciaires
par Régine et Guy Ringwald
Nous nous sommes fait l’écho [1] du trouble qu’avait jeté dans les esprits la sortie sans doute intempestive du pape François, soutenant l’évêque d’Osorno, malgré le mouvement de rejet dont il est l’objet. Les réactions se sont poursuivies, mais certaines ont pris un peu de hauteur, mettant en question le rôle prépondérant des nonces et du Vatican dans l’administration des Églises locales, et particulièrement dans la nomination des évêques [2]. Le Père jésuite Montes [3] remarque que l’incident impliquant le Pape est regrettable, car ses propos sont une déclaration non officielle et non préparée, alors qu’elle a des conséquences excessives.
Cathédrale San Mateo d’Osorno
Par ailleurs, l’affaire Karadima, d’où provient le problème, connaît un rebondissement judiciaire. En effet, la Cour d’Appel [4] procède actuellement à des auditions concernant une action intentée par les trois plaignants contre l’archevêché de Santiago. Ils demandent 450 millions de pesos (près de 600 000 euros), accusant les autorités ecclésiastiques de graves négligences ayant conduit à ce que leur plainte n’ait pu être jugée par la juridiction civile, du fait de prescription. Sont convoqués dans les jours qui viennent : Karadima lui-même, Mgr Barros, mais aussi le Cardinal Ezzati, actuel Archevêque de Santiago. Le Cardinal Errazuri a lui-même été entendu récemment.
Sources :
http://jorgecostadoat.cl/wp/es-tonto-el-papa/
http://www.cambio21.cl/cambio21/stat/movil/articulo.html?ts=20151004123823
Notes :
[1] Faire Église autrement, 12 octobre 2015
[2] Voir ci-dessous : « Le pape est-il un imbécile? »
[3] Voir les propos du Père Montes, rapportés par Cambio 21
[4] En première instance, l’Archevêché s’était retranché derrière le secret canonique pour refuser de communiquer les pièces utiles au procès.
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LE PAPE EST-IL UN IMBÉCILE ?
par Jorge COSTADOAT, s.j.
Le Pape François n’est pas un imbécile. Cependant, il devrait demander pardon aux habitants d’Osorno, ou au moins, leur donner une explication.
Le père jésuite Jorge Costadoat, auteur de cet article paru dans le journal chilien El Mostrador, s’est vu retirer sa mission d’enseignant à la faculté de théologie de l’Université Pontificale du Chili par le cardinal Ricardo Ezzati Andrello, Archevêque de Santiago et Chancelier de l’Université, le 12 mars 2015. Le P. Costadoat préconisait la communion pour les divorcés remariés, soutenait l’accueil des homosexuels, soutenait la théologie de la Libération et se montrait ouvert au dialogue interreligieux.
Depuis 2014, ont été dénoncés à Rome trois autres prêtres jésuites : Felipe Berrios, José Mariano Puga et José Aldunante. Il leur est reproché d’avoir une conception trop ouverte de l’Église.
Les habitants d’Osorno sont faits d’un bois qui ne pourrit pas. Une odeur de cyprès s’en dégage. Personne ne les surpasse en loyauté. Un ami osornois est votre ami pour la vie. D’Osorno j’ai vu sortir les gens les plus intelligents du Chili. Ce peuple pense avec le cœur. Les osornois ne brillent pas dans des joutes d’idées étincelantes et éphémères. Ils trébuchent dans les antichambres des ambassades. Leurs pensées sont profondes. Ils dialoguent avec la vie, avec la terre. Ils ne croient pas aux balivernes. Ils débusquent la fausseté à des kilomètres. Mieux vaut éviter de ferrailler avec un vieil osornois dans l’arène des débats. Ils ont quelque chose du colon allemand, de l’astuce des gens de Chiloe et beaucoup du bois dur du « Huilliche [1] ». Ils résistent. Ils résisteront.
Pourquoi le Pape les prend-il pour des «imbéciles»? Imbécile le Pape ?
C’est un des papes les plus extraordinaires que nous ayons eus. L’Église avait besoin d’un pasteur, de quelqu’un qui devine les souffrances de ses contemporains et transmette le message du Christ comme une vraie bonne nouvelle. Le Peuple de Dieu est fatigué du poids insupportable de la morale. Beaucoup de catholiques fuient leur Église parce qu’ils n’y sont pas pris en compte pour eux-mêmes. Ses prêtres ont été formés pour s’adresser aux enfants, et non pas aux adultes. Le Pape François est en train de changer les choses. Une de ses qualités majeures est précisément son langage de pasteur. Il n’est pas infaillible dans chacun de ses actes ni chaque fois qu’il ouvre la bouche. Il nous manquait un Pape qui puisse se tromper parce que tous les chrétiens ont besoin de l’exemple d’êtres humains comme eux, de personnes qui se trompent, se repentent et demandent pardon. C’est paradoxalement parce qu’il prend le risque de se tromper que François voit juste comme Pape.
Il a dernièrement commis deux erreurs avec les osornois et les a offensés. La première a été de nommer Juan Barros évêque d’Osorno, contre l’avis des siens, et en passant outre l’avis de la Conférence épiscopale du Chili. La deuxième erreur est de l’avoir maintenu malgré l’embrasement causé dans le diocèse. L’on ne saurait imposer à une église locale un évêque qui la divise. François ne peut pas se contenter d’arguer que Barros n’a rien fait de mal. Même dans le cas où il serait innocent – ce dont le pays doute vu la gravité des antécédents – le Pape n’a pas mesuré le fait que l’affaire Karadima a dynamité la confiance en l’institution ecclésiastique chilienne. Deux erreurs : la première, le nommer, la deuxième, le maintenir.
Il y a une erreur encore plus grande. Elle concerne l’organisation de l’Église catholique. Pourquoi les Papes nomment-ils les évêques de l’Église chilienne ? Pourquoi l’opinion des nonces pèse-t-elle plus que celle des évêques du pays? Le conclave qui a choisi François ne lui a demandé qu’une seule chose : la réforme de la curie. Nous espérons que cela progresse, que surgissent des églises plus autonomes. Nous désirons que tous les catholiques aient un jour un degré de participation à l’élection de leurs évêques. Cependant, les structures de l’Église Catholique s’effritent. Les décombres tombent sur les fidèles.
Le Pape François qui n’a rien d’un sot, doit cependant demander pardon aux osornois, ou du moins leur donner une explication. Il sera ainsi en phase avec son humilité. Nous l’applaudissons de parler sans notes, sans sous-entendus ni embrouillamini qui mentent plus qu’ils ne disent la vérité. Personne ne croit plus au langage de l’église. Cependant, le Pape doit lui aussi assumer les effets collatéraux de son style.
Note :
[1] Huilliche : allusion à une ethnie d’Araucanie, contrée située au sud du Chili, aux confins de l’Argentine. Les Huilliches ont la réputation d’être des guerriers résistants.
Source : http://www.elmostrador.cl/noticias/pais/2015/10/05/es-tonto-el-papa/