Par Gabriel Siméon (Libération)
Les 28 pays membres de l’UE se sont accordés mercredi 28 octobre 2015 pour appliquer des limites moins strictes aux émissions polluantes des véhicules diesel à partir de 2017. «Inadmissible» pour la députée européenne Karima Delli.
Karima Delli, député européenne (EE-LV) (source wikimedia)
Plus d’un mois après le début du scandale Volkswagen, les 28 États membres de l’Union européenne se sont entendus mercredi pour que les véhicules diesel neufs soient autorisés à émettre officiellement plus de gaz polluants (oxydes d’azote, particules, etc.) qu’aujourd’hui. À partir du 1er septembre 2017, un nouveau modèle pourra présenter des émissions 2,1 fois supérieures pour passer les tests d’homologation. En septembre 2019, la mesure s’appliquera à tous les véhicules neufs vendus. Puis cette tolérance baissera à 1,5 fois la norme autorisée, dès janvier 2020 pour les nouveaux modèles et 2021 pour tous les nouveaux véhicules. Sans qu’aucun «retour à la norme» ne soit encore prévu.
La Commission européenne s’est félicitée de cet accord sur des «tests robustes des émissions de pollution de l’air (sic) par les voitures». Karima Delli, députée européenne (EE-LV) et membre de la commission transports du Parlement européen, dénonce l’attitude irresponsable des gouvernements. Décryptage.
Quel est l’objectif affiché par les États et la Commission européenne ?
À en croire le communiqué de la commission, il s’agit principalement de réduire la triche et le recours aux astuces (comme le gonflage des pneus ou l’allègement de la voiture lors des tests) permettant aux constructeurs automobiles de conformer leurs véhicules aux normes antipollution «Euro» (la plus récente, Euro 6, s’applique depuis deux mois). Mi-septembre, l’ONG Transport & Environment les accusait ainsi de vendre des diesels plus polluants que ce qui était affiché en concession. Quelques jours après, c’est Volkswagen qui reconnaissait avoir installé sur près de 11 millions de ses véhicules diesel un logiciel permettant de dissimuler leur caractère polluant lors des tests d’homologation.
Pour la commission, les véhicules rejettent en moyenne quatre fois plus de gaz polluants que ce que les tests établissent. Or, ces derniers intégreront à partir de septembre 2017 des relevés d’émissions en conduite réelle (RDE). La majorité des pays membres de l’UE ont voulu faire valoir que le délai était trop court pour que les constructeurs parviennent à présenter des véhicules respectant vraiment les normes antipollution. Ils se sont donc prononcés pour un seuil de tolérance permettant de dépasser la norme d’un facteur 2,1 lors de ces futurs tests.
L’enjeu, en creux, c’est l’emploi. Alors que l’industrie automobile en compte 12 millions dans l’UE, les États redoutent que des mesures plus contraignantes nuisent à la santé économique de leurs constructeurs. En clair, que ceux-ci soient contraints d’investir dans des systèmes dépolluants au risque de perdre en compétitivité. Mais l’argument est discutable. D’après le Monde [1], «l’Italie, l’Espagne ou la République tchèque réclamaient un “facteur de conformité” de 2,6, pour 2017 et au-delà. Plus restrictive, l’Allemagne défendait un facteur de 2,1 fois le plafond pour 2017-2019. La France, elle, défendait un facteur de conformité de 1,8 pour 2017-2019, et de 1,4 au-delà.»
Pourquoi ONG et écologistes sont-ils en colère ?
Parce qu’ils y voient un droit à polluer plus offert aux constructeurs. «Les gouvernements doublent et diffèrent les limites de pollution de l’air pour les véhicules diesel», a critiqué l’ONG européenne Transport & Environnement [2]. «Au niveau européen le lobby automobile participe aux décisions sur le contrôle de la pollution !» a estimé Denis Baupin, député EE-LV, jeudi sur Twitter.
«Je trouve ça inadmissible. Les gouvernements font preuve d’un cynisme sans nom. En plein scandale Volkswagen, ils ignorent complètement les problèmes de santé publique causés par le diesel en Europe», déplore Karima Delli, députée européenne (EE-LV) et membre de la Commission transports du Parlement européen, contactée par Libération. «Les nouveaux tests qu’ils viennent d’adopter permettront aux constructeurs de ne plus se plier aux règles européennes sur les émissions polluantes, alors qu’ils sont informés suffisamment à l’avance de l’application d’une nouvelle norme et qu’il n’existe pas de barrière technologique. Les pays ont privilégié leurs industries nationales et la commission n’a pas joué son rôle. Pourtant, il y a des normes, et il faut les respecter.»
Et maintenant ?
«Nous n’allons pas en rester là», prévient Karima Delli. L’élue explique que «le Parlement a désormais trois mois pour objecter cette comitologie. Si un manquement est voté en commission parlementaire [sur les transports, ndrl], ce sera à l’ensemble des députés de se prononcer dessus.»
Par ailleurs, après avoir lancé une pétition sur la question, Karima Delli continue de réclamer «une véritable enquête parlementaire européenne sur l’ampleur de la fraude Volkswagen», qui constitue selon elle «une escroquerie». «On sait que la commission était au courant à l’époque de José Manuel Barroso. Pourquoi n’a-t-elle rien dit ?» poursuit-elle. «Il faut qu’il y ait un avant et un après».
Notes :
[1] http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/10/28/emission-de-gaz-polluants-l-europe-impose-des-normes-a-minima-aux-constructeurs-automobiles_4798722_3234.html [2] http://www.transportenvironment.org/press/governments-double-and-delay-air-pollution-limits-diesel-carsLire aussi :
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