Patrons de PME européennes hostiles au traité de libre-échange Tafta
Par Rachel Knaebel (Basta !)
Le traité de libre-échange Tafta serait une aubaine pour la croissance et l’emploi, promet la Commission européenne. Ce n’est pas ce que pensent nombre de dirigeants de petites et moyennes entreprises en Europe, notamment en Allemagne et en Belgique. Ils se rendent comptent que les mirobolantes promesses de croissance et d’exportations profiteront principalement aux multinationales. La plupart des PME européennes et leurs salariés en pâtiraient. En Allemagne, en Autriche, et en Belgique, des groupements de PME se mobilisent carrément contre le Tafta.
« Nous savons que les petites entreprises et les territoires dans lesquels elles opèrent ont des chances d’être parmi les plus grands gagnants de cet accord. » La commissaire européenne au Commerce, Cecilia Malmström, met tout en œuvre pour convaincre les petites et moyennes entreprises européennes des bienfaits du traité transatlantique de libre-échange Tafta (TTIP en anglais) [1]. Ce traité est en cours de négociation entre la Commission européenne et Washington.
« Le niveau d’information des PME sur ces négociations est extrêmement faible. Elles ont très peu participé aux travaux en amont des négociations. Mais depuis un an, la Commission européenne mise sur le soutien des PME pour renforcer le camp des promoteurs du traité. À chaque fois qu’elle le peut, elle met en avant les bénéfices promis aux PME », constate Mathilde Dupré, chargé de campagne à l’institut Veblen pour les réformes économiques, qui vient de publier un rapport sur le Tafta et le PME [2] Problème pour les néolibéraux : la nouvelle stratégie de communication de la Commission passe de moins en moins auprès des patrons des PME européennes. Ils sont de plus en plus nombreux à afficher leur scepticisme, voire carrément leur opposition au traité de libre-échange.
« Le Tafta ne profiterait pas du tout aux PME, c’est plutôt le contraire »
« Les responsables politiques autrichiens ont d’abord dit que le Tafta allait profiter à la croissance et créeraient des emplois. Quand des études ont montré que ce n’était pas assuré, ils ont ensuite dit que ce serait bon pour les PME. Là, j’ai eu le sentiment qu’on me prenait pour une imbécile », témoigne Lisa Muhr, gérante d’une petite entreprise autrichienne de mode, qui compte 23 salariés et œuvre en faveur du commerce équitable. En juin, elle a lancé avec une poignée d’autres entreprises autrichiennes l’initiative “PME contre Tafta”. Le mouvement rassemble aujourd’hui 1600 entreprises. « Nous travaillons en coopération avec des sous-traitants mauriciens, mais en commerce équitable. Le Tafta au contraire, encourage une baisse des standards écologiques et sociaux. Alors qu’il faudrait au contraire les élever, pour tous les produits. »
L’initiative des PME contre Tafta essaime aussi en Allemagne. Constitué en septembre, un collectif compte 1700 entreprises signataires, de divers secteurs : machine-outil, métallurgie, textile, alimentaire, consulting… « Le Tafta ne profiterait pas du tout aux PME. C’est plutôt le contraire, critique Gottfried Härle, directeur d’une brasserie de bière dans le sud-ouest de l’Allemagne et cofondateur de l’initiative outre-Rhin. Des éléments centraux de l’accord comme la protection des investisseurs, l’unification des normes et l’ouverture des marchés publics servent avant tout les intérêts des grands groupes ».
En Allemagne, en Autriche, en Belgique : les PME contre Tafta
Même le très puissant groupement allemand des moyennes entreprises, le BVMW, a pris ses distances avec le Traité de libre-échange. L’organisation qui représente 270 000 entreprises du Mittelstand, l’épine dorsale de l’industrie allemande, a catégoriquement refusé le mécanisme de règlement arbitral des conflits d’investissements prévu initialement dans l’accord. Et il a souligné à de nombreuses reprises les conséquences négatives possibles du traité sur les PME. En Belgique aussi, l’organisation patronale francophone UCM a exprimé son opposition au Tafta.
« Notre conseil d’administration en a débattu et c’est à l’unanimité qu’il a estimé que les PME wallonnes et bruxelloises n’ont rien à gagner de ce traité. Au contraire, dans sa forme actuelle, il présente des dangers », a conclu l’organisation en mai. Rien de tel chez les patrons français qui, pour l’instant, adhèrent au traité sans se poser de questions : la CGPME (Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises) « est globalement favorable à la mise en place d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne (UE) et les États-Unis ». [3]
Pourtant, les patrons de PME européennes et leurs salariés ont des raisons d’être sceptiques. « Sur les 20 millions de PME européennes, la part de celles qui exportent au-delà des frontières de l’Union ne dépasse pas 13 %. Parmi elles, la part des revenus provenant des exportations hors UE n’excède pas 10 % », souligne le rapport de l’institut Veblen. En France, la part des entreprises exportatrices est l’une des plus faibles : « Les entreprises exportatrices représentent 4,6 % de l’ensemble des entreprises françaises », pointe la Banque publique d’investissement [4]. Plusieurs facteurs pourraient les pénaliser face à la concurrence venue des États-Unis : les disparités de salaires, en moyenne 30 à 40 % inférieurs aux États-Unis, le niveau inférieur des régulations dans de nombreux domaines et le coût plus faible de l’énergie.
« Des risques pour les structures économiques régionales »
Certes, « les entreprises qui exportent pourraient profiter d’une hausse de la demande », concède la rapport. « Ces résultats positifs sont bien mis en avant dans les rapports de la Commission européenne. Mais ces mêmes rapports passent complètement sous silence les effets contraires et les risques liés par exemple à l’accroissement des importations bon marché en provenance des États-Unis, notamment dans les services, les moteurs de véhicules, les produits chimiques, ceux issus de la métallurgie… ». Des secteurs qui font par exemple le succès de toute une partie de l’économie allemande.
« Il y a des risques pour les structures économiques régionales, estime le brasseur allemand Gottfried Härle. Nous voulons un débat équilibré et ouvert sur le sujet. Jusqu’à maintenant, les études réalisées s’adressent uniquement aux PME tournées vers l’export. » C’est le cas d’une enquête de la Commission européenne, réalisée au printemps auprès d’un échantillon de PME. En juillet, le comité social et économique européen ne disait pas autre chose : il regrettait qu’aucune étude d’impact précise, par secteur et par État membre, n’ait été lancée pour évaluer l’effet potentiel du traité sur cette catégorie d’entreprises. En attendant, les PME allemandes et autrichiennes contre le Tafta demandent l’arrêt immédiat des négociations.
Notes :
[1] voir son discours : http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2015/march/tradoc_153214.pdf
[2] Le rapport “Un accord transatlantique. À quel prix pour les PME ?” est à lire à : http://www.veblen-institute.org/IMG/pdf/pme_ttip_institut_veblen_141015.pdf.
[3] Voir la position CGPME
Source : http://www.bastamag.net/Ces-PME-de-plus-en-plus-sceptiques-face-au-traite-transatlantique
Photo : CC Global Justice Now (manifestation à Londres en 2014)
On peut lire aussi :
http://www.bastamag.net/spip.php?page=dossier&id_mot=160
http://www.bastamag.net/Large-mobilisation-en-Allemagne-contre-les-traites-de-libre-echange
http://www.bastamag.net/La-Commission-europeenne-passe-90-de-son-temps-avec-les-lobbys-industriels