Affaire Karadima : développements judiciaires en cours
par Régine et Guy Ringwald
Curé de la Paroisse « el Bosque » (Santiago) pendant plus de 25 ans, Fernando Karadima s’était fait la réputation d’un saint homme : il attirait la jeunesse de l’élite bourgeoise. Mais il avait détourné à son profit une association de prêtres, la « Pia Union Sacerdotal » (PUS), ce qui lui permettait d’assurer son pouvoir sur les prêtres et, au passage, de s’enrichir. Un grand nombre d’entre eux sont devenus prêtres, et quatre (dont Juan Barros) sont aujourd’hui évêques.
Karadima (aujourd’hui âgé de 85 ans) est au centre d’un scandale sexuel majeur au Chili. La justice civile a malheureusement constaté, en 2010, la prescription des faits qui lui étaient reprochés, tandis que le Vatican le condamnait, en 2011, « à une vie de prière et de pénitence ».
La nomination d’un de ses proches, Juan Barros [1], comme évêque d’Osorno, au début de cette année, a provoqué une réaction très vive des chrétiens et de la population. Les propos impromptus, et sans doute un peu rapides, du Pape François sur la place Saint-Pierre, en mai dernier (révélés dans une video le 5 septembre) ont attiré l’attention sur le scandale qui ébranle l’Église chilienne.
Mais l’affaire, loin d’être éteinte, connaît actuellement des développements judiciaires. En effet, les plaignants [2] ont introduit une action pour obtenir une indemnisation de l’Archevêché de Santiago, qu’ils accusent de négligence systématique et d’ignorance délibérée dans la gestion de leurs plaintes, ce qui a entraîné des retards dans la procédure pénale.
Le Cardinal Ezzati (archevêque de Santiago), a été entendu le 5 novembre, et Fernando Karadima, le 11 novembre. Leurs dépositions semblent avoir repris les positions convenues qu’on entend dans ces cas-là.
Le cardinal n’a pas couvert les agissements du prêtre, il se retranche derrière la fonction essentiellement pastorale de l’évêque. Les prêtres jouissent d’une autonomie et, par là même, chacun est responsable de ses actes.
Karadima, lui, a bien des trous de mémoire. Il nie tout abus sexuel, « Je ne reconnais pas les abus avec des enfants, jamais, jamais et cela je l’ai déclaré au juge ». Il se présente comme un simple subordonné de l’archevêque de Santiago. Sur ses relations avec l’actuel évêque d’Osorno, qui est considéré par les victimes comme quelqu’un qui l’a couvert, il dit : « Il (Barros) était de l’Action Catholique et venait me voir à la paroisse et j’allais le voir à Iquique. D’une amitié très sincère, il m’a permis de faire un voyage en France… pour célébrer mes 50 ans de sacerdoce ». Notons que Barros, lui, dit avoir pris ses distances avec son ancien maître spirituel.
A la suite de cette audition, l’Archevêché a publié une déclaration selon laquelle « l’Archevêché de Santiago regrette que Fernando Karadima n’ait pas dit la vérité… C’était un moment privilégié pour qu’il reconnaisse sincèrement et humblement sa participation exclusive et sa responsabilité dans ces abus ». Manière de disculper l’Institution.
Mais ce qui est en cause ici, selon les plaignants, c’est le peu de diligence de l’Archevêché à instruire et transmettre les plaintes dont il était saisi.
L’évêque Barros, au centre d’une vive opposition des chrétiens d’Osorno, doit être entendu le 20 novembre.
Par ailleurs, deux commissions rogatoires sont sur le point d’être envoyées au Vatican,
- l’une pour demander communication des éléments du dossier canonique qui a conduit à la condamnation de Karadima « à une vie de prière et de pénitence ». Le Cardinal Ezzati l’a transmise, avec une réserve en ce qui concerne « ce qui est secret ».
- l’autre est adressée au pape François pour lui demander de justifier ses propos selon lesquels Barros avait été innocenté par la justice chilienne, alors que les accusateurs disent qu’il n’a pas fait l’objet de poursuites judiciaires.
Enfin, les plaignants contre Karadima ont fait savoir qu’ils projetaient une action pour mettre en cause la légitimité des évêques formés par Karadima. : Mgrs Juan Barros (Osorno), Andrès Arteaga (auxiliaire de Santiago), Horacio Valenzuela (Talca) et Tomislav Koljatic (Linares). Ils auraient déjà reçu deux mille signatures de soutien.
Comme on le voit, l’affaire n’est pas close.
Notes :
[1] voir Crise autour de la nomination de l’évêque d’Osorno au Chili, 12 octobre 2015 et Osorno, Karadima : nouveaux commentaires et développements, 27 octobre 2015 [2] Juan Carlos Cruz : journalisteJames Hamilton : médecin
José Andrés Murillo : président de la « Fundacion para la confianza » (prévention de la maltraitance des enfants).
Lire aussi : L’archevêché déplore qu’il n’ait pas dit la vérité