« Nos terres sont essentielles à nos vies »
Par Stephen Bartlett et Beverly Bell
Au Honduras, les Garífunas défendent leur souveraineté territoriale et alimentaire.
DIAL avait consacré un article en 2009 [1] au peuple garífuna [2]. L’US Food Sovereignty Alliance a décerné en octobre 2015 son Prix de la souveraineté alimentaire à l’Organisation fraternelle noire hondurienne (OFRANEH en espagnol). Cet événement est une bonne occasion pour évoquer à nouveau dans nos colonnes les luttes des Garífunas. Ce premier texte présente un aperçu général des luttes en cours pour la défense de leurs terres contre la triple menace de l’extractivisme, du narcotrafic et du développement de complexes touristiques.
« Notre libération commence par la possibilité de planter ce que nous consommons. C’est ce qu’on appelle la souveraineté alimentaire. » Tels sont les propos tenus lors d’un entretien par Miriam Miranda [3], coordonnatrice de l’Organisation fraternelle noire hondurienne, plus connue sous son sigle espagnol OFRANEH.
L’OFRANEH a remporté en 2015 le Prix de la souveraineté alimentaire, décerné par l’US Food Sovereignty Alliance. « Il y a un gros travail à faire au Honduras et partout ailleurs parce qu’il faut que les gens comprennent qu’ils doivent produire pour assurer l’autonomie et la souveraineté de nos peuples », a expliqué Miranda. « Si nous continuons à [seulement] consommer, il ne servira à rien de crier et protester. Il s’agit de retrouver et réaffirmer nos liens avec le sol, nos communautés, notre terre. Nous devons devenir des producteurs. »
Mais, pour pouvoir produire, il faut avoir une terre. Sur la côte atlantique du Honduras, l’OFRANEH a mobilisé le peuple afro-indien garífuna en un mouvement de protection du territoire garífuna – qui abrite des terres, des cours d’eau, des forêts et des côtes d’une grande richesse écologique – face au vol de multinationales, du gouvernement central et de l’oligarchie. Sur terre comme sur l’eau, les membres de l’OFRANEH s’emploient aussi activement à accroître leurs compétences dans les domaines de l’agriculture écologique et de la pêche artisanale durable.
L’OFRANEH s’emploie en outre à défendre tout ce qui grandit sur leurs territoires. Cela comprend notamment la communauté, l’autonomie, la culture traditionnelle, la langue garinagu, les stations de radio locales, la spiritualité ancestrale et la vie cérémonielle.
L’OFRANEH défend son identité et son territoire de manière frontale, en préparant les communautés à l’action directe, en engageant des poursuites au niveau national et international, et en travaillant au renforcement du mouvement. Dans son action, l’organisation accorde une priorité particulière au développement du leadership des femmes et des jeunes.
Les Garífunas sont expropriés de leurs terres, avec l’approbation de l’État hondurien [4] et, souvent, du gouvernement de États-Unis [5], pour le tourisme, la construction d’une base navale et d’un port en eaux profondes, et l’extraction de gaz et de pétrole [6]. Tout cela au mépris de la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail, de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, et de la constitution même du Honduras, qui exige le consentement libre, préalable et éclairé des communautés autochtones pour tout projet touchant à leurs territoires. Des terres ont également été accaparées par les narcotrafiquants.
Le 10 septembre 2015, les Garífunas ont été expulsés de force de la ville de Puerto Castillo [7] –revendiquée dans le passé par l’United Fruit Company – par un grand propriétaire terrien. Le vol de terres ancestrales et l’entassement des populations déplacées en un lieu restreint ont déjà eu lieu dans la ville, pour la construction d’un grand port.
La communauté de Triunfo de la Cruz a saisi la Cour interaméricaine des droits humains au motif qu’elle avait été dépossédée de ses terres [8]. C’est seulement la quatrième fois qu’une action est intentée pour protéger des territoires autochtones. (Les trois autres fois, il s’agissait de Sarayaku en Équateur [9], de Saramaca au Surinam [10] et d’Awas Tingni au Nicaragua [11].) Un jugement est attendu prochainement.
Les narcotrafiquants, que la position stratégique du territoire intéresse pour le trafic de drogue clandestin – espace pour aménager une piste d’atterrissage, crique secrète ouverte sur la mer, lieu isolé – ont envahi les terres dont les titres de propriété légaux reviennent aux Garífunas. En 2012, la communauté a réoccupé ses terres au terme d’une cérémonie donnée au son du tambour, malgré les menaces et les tirs d’armes automatiques des narcos et des paramilitaires. Depuis, cependant, une partie des terres a de nouveau été envahie par des paysans, avec l’appui des narcos. La communauté se trouve face à la menace de la vente des terres par des individus liés au narcotrafic, avec la complicité de politiques. La stratégie employée par l’OFRANEH pour reconquérir et conserver Vallecito consiste à exercer, avec ses alliés du Honduras et du monde entier, une pression suffisamment forte pour que l’Institut national de l’agriculture (INA), organisme d’État, soit contraint de chasser les usurpateurs.
L’avenir de Vallecito est compliqué par l’intention du gouvernement hondurien de créer des « villes modèles », c’est-à-dire des enclaves étrangères échappant à la souveraineté du Honduras, dotées de leur propre sécurité et de leurs propres lois, et financées par des investisseurs internationaux. Vallecito se trouve au cœur d’une vaste bande de terre garífuna sur laquelle le gouvernement songe à mettre la main pour ce projet. Si ce dernier se concrétisait, des dizaines de communautés garífunas pourraient être déplacées.
Cependant, l’OFRANEH a l’intention de récupérer et de conserver Vallecito, et de le transformer en un centre pour le renouveau garífuna. Toutes les personnes chassées de leur terre, pour quelque raison que ce soit, pourront s’y installer. Dans un premier temps, l’OFRANEH songe à construire un bâtiment cérémoniel et culturel. Le développement du leadership des jeunes fait également partie de ses plans, afin que les jeunes et les jeunes adultes des villes puissent acquérir les mêmes compétences et connaissances que les Garífunas vivant dans l’arrière-pays rural.
Comme d’autres Honduriens, autochtones ou non, qui défendent leurs droits [12], les Garífunas font continuellement l’objet de violences, menaces et atteintes aux droits humains [13]. Les saisies de terres et la violence qui les accompagne s’inscrivent dans le climat politique engendré par le coup d’État contre le Président Manuel Zelaya le 28 juin 2009 [14]. Avec l’aide du gouvernement états-unien [15], une clique de grands oligarques du pays a été portée au pouvoir. Le gouvernement des États-Unis a joué un rôle déterminant auprès des différents régimes qui se sont succédé après le coup d’État, en fournissant une couverture politique ainsi qu’une aide militaire et policière, et en fermant les yeux sur la multiplication des violations des droits humains et des cas d’impunité [16]. Des centaines d’assassinats d’opposants et de membres de leur famille ont marqué l’histoire récente du Honduras, rappelant les escadrons de la mort qui sévissaient dans les années 1980.
En plus de l’impunité et de la corruption du gouvernement, le Congrès, imposé de manière illégale, a octroyé en concession des terres et des mines à des investisseurs étrangers. Outre ce qui se passe dans les communautés autochtones, des paysans se voient privés de leurs terres au profit de l’industrie agroalimentaire, et notamment des plantations de palmiers d’Afrique destinées à satisfaire l’engouement pour les biocarburants dans le Nord [17].
- DIAL – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine (dial-infos.org) – D 3345.
- Traduction de Gilles Renaud pour Dial.
- Source (anglais) : Other Worlds, 8 octobre 2015.
- Source française : http://www.alterinfos.org/spip.php?article7100
Notes
[1] DIAL 3056 – « HONDURAS – Les Garifunas sont confrontés à leur propre déclin ».
[2] Les Garífunas sont issus du métissage entre des Africains conduits de force aux Amériques dans le cadre du commerce triangulaire et des peuples indiens (Caraïbes et Arawaks).
[3] Voir DIAL 3346 – « HONDURAS – « Sans notre terre, nous cessons d’être un peuple » : la défense du territoire et des ressources autochtones ».
[4] Voir : http://www.theecologist.org/News/news_analysis/2931993/honduras_under_occupation_murders_land_grabs_and_hillary_clintons_hard_choices.html (anglais).
[5] Voir : UNITED STATES-HONDURAS – Hillary Clinton’s Emails and the Honduras Coup (anglais).
[6] Voir : https://ofraneh.wordpress.com/2014/10/28/exploracion-petrolera-en-honduras-areas-protegidas-y-cambio-climatico/ (espagnol).
[7] Voir : http://www.biodiversidadla.org/Principal/Secciones/Noticias/Honduras_ZEDE_y_el_desalojo_de_la_comunidad_Garifuna_de_Puerto_Castilla (espagnol).
[8] https://www.oas.org/en/iachr/media_center/PReleases/2013/021.asp (anglais).
[9] https://www.asil.org/insights/volume/16/issue/35/duty-consult-inter-american-system-legal-standards-after-sarayaku (anglais).
[10] https://www.wcl.american.edu/hrbrief/v1i2/surina12.htm (anglais).
[11] https://www.escr-net.org/docs/i/405047 (anglais).
[12] Voir par exemple DIAL 3278 – « HONDURAS – « Défendre les droits humains est aujourd’hui un crime » : entretien avec la dirigeante indienne Bertha Cáceres » – note DIAL.
[13] http://www.oas.org/en/iachr/media_center/PReleases/2014/146.asp (anglais).
[14] https://www.youtube.com/watch?v=4XKckq7MzYU.
[15] Voir : http://cepr.net/publications/op-eds-columns/top-ten-ways (anglais).
[16] http://www.cepr.net/index.php/op-eds-&-columns/op-eds-&-columns/the-child-migration-crisis-and-the-legacy-of-the-honduran-coup (anglais).
[17] http://www.truth-out.org/news/item/27864-palm-oil-and-extreme-violence-in-honduras-the-inexorable-rise-and-dubious-reform-of-grupo-dinant (anglais).