Laudato Si ‘ est un appel à changer de toute urgence un monde qui nous mène à l’abîme
par Luis Miguel Modino interviewant Margot Bremer
Dans la vie religieuse, nous rencontrons des gens qui veulent être présents parmi les exilés, parmi ceux que la société veut mettre hors du système. Leur présence dans ces sphères n’est pas toujours comprise, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Église, et même dans la vie religieuse elle-même.
Margot Bremer est une religieuse du Sacré-Cœur de Jésus, et, depuis plus de vingt ans, elle a accompagné et, de concert avec certains anthropologues, a étudié la vie des personnes indigènes et des paysans paraguayens. Née en Allemagne, elle a passé plus de dix ans en Espagne et pendant ce temps s’est liée d’amitié avec Dolores Alexandre, qui fait partie des érudits bibliques espagnols les plus reconnus au cours des dernières décennies, et qui appartient aussi à la même congrégation. Outre son travail avec les populations autochtones, elle est aussi impliquée dans la formation des religieux et religieuses et des séminaristes.
Dans cette interview, menée au cours du Deuxième Congrès Continental de Théologie qui a eu lieu il y a quelques semaines à Belo Horizonte, au Brésil, elle parle de la vie des peuples autochtones du Paraguay et de leur relation avec la nature, en montrant comment elle apprend d’eux au jour le jour.
Que pouvons-nous apprendre des peuples autochtones ?
Les peuples autochtones nous montrent la richesse des exclus, car ils ne peuvent pas entrer dans la catégorie des pauvres, mais dans celle des personnes exclues, oui. Il est nécessaire d’établir avec eux une relation de réciprocité dans la diversité. Les indigènes sont différents, mais cela ne signifie pas qu’ils sont inférieurs et ils ont beaucoup de choses que nous avons perdues ou n’avons jamais eues.
Pourquoi sont-ils considérés par beaucoup comme des personnes de seconde classe, comme non civilisées?
C’est le résultat du colonialisme, qui a parfois conduit les colonisés à vouloir être comme leurs colonisateurs, et c’est ce qui est le plus tragique.
Comment sont les rapports de l’Église catholique avec les peuples autochtones aujourd’hui ?
Le Paraguay est divisé en deux régions diamétralement opposées – Le Chaco, où vit 65% de la population, la plupart appartenant aux peuples indigènes du Chaco, et l’autre région, qui est très fertile et boisée, où vivent les Guaranis, répartis en cinq groupes. Ces Guaranis ne sont pas ceux qui ont été colonisés il y a cinq cents ans, mais ceux qui se sont cachés dans les forêts, qui, aujourd’hui, ont été détruites. Ces Guaranis ne sont pas catholiques ; ils ont leur culture et leur religion, et l’Église travaille avec eux en défendant leurs droits et leur promotion.
Comme conseiller théologique à la Coordinación Nacional de Pastorale Indigène [“groupe national de coordination du ministère indigène”] qui fait partie de la Conférence épiscopale du Paraguay, nous encourageons le dialogue inter-religieux et interculturel pour renforcer leur culture et leur religion sur la base de la réciprocité dans la diversité, qui est le fondement de leur coexistence.
Telle est la façon, accompagner plutôt que vouloir convertir, ce qui a été longtemps l’attitude de l’Église et reste toujours présent dans l’esprit de certains. Découvrir qu’en accompagnant on peut enseigner et apprendre…
Accompagner et faire des alliances contre l’ennemi commun, qui est le néolibéralisme.
Ce qui est un aspect que François a critiqué dans son discours aux mouvements populaires au cours de son voyage en Bolivie Juillet dernier, qualifiant le capitalisme de “fumier du diable”. [1]
Cela montre que François est aussi dans cette ligne.
Et comment est la situation dans d’autres régions du pays?
Dans la région de l’Ouest, dans le Chaco, qui est très inhospitalière – c’est la savane – vivent une grande variété de peuples autochtones. Dans les 90 dernières années, trois différents groupes chrétiens ont été présents, les mennonites, les anglicans et les catholiques, à travers les Oblats. À cette époque, il y avait une méthode d’évangélisation, que nous rejetons totalement aujourd’hui, qui consistait à retirer les enfants de leur famille pour les mettre dans des pensionnats et leur imposer une éducation et une religion complètement occidentales. Cela les rend aujourd’hui sans défense, car ils ont perdu beaucoup de leur identité, leur structure organisationnelle a été brisée, et une structure paroissiale leur a été imposée.
Il y a environ 50 ans, un père oblat a consigné les derniers mythes indigènes, que nous, les missionnaires, sommes en train de leur enseigner à nouveau, et qui sont une nouveauté pour eux. L’intention est que l’Évangile soit inculturé dans les formes religieuses développées par leurs ancêtres.
Les indigènes ont une relation différente avec l’environnement, avec la Terre Mère. Qu’est-ce que les populations autochtones enseignent aux cultures occidentales au sujet de la dimension écologique ?
Ils ne se conçoivent pas eux- mêmes en tant que propriétaires de la Terre, ou comme le centre de celle-ci, mais comme une partie de la Terre et de la nature, ayant une relation vivante avec tous les êtres vivants sur Terre, parce que chacun des êtres a un esprit de protection avec lequel ils communiquent. Ils disent que les arbres peuvent parler, ils écoutent, ils ont trouvé la sagesse dans la relation entre la diversité des plantes et des animaux, qui crée un équilibre entre la faune et la flore. Ils ont découvert cela comme la relation avec la sagesse de Dieu dans la création, voulant entrer dans le rythme et l’obéissance à ces lois de la vie qu’ils ont découvertes être divines.
En ce sens, comment l’encyclique “Laudato Si : Sur la sauvegarde de la maison commune” peut-elle aider ?
Le pape ne dit pas cela directement dans la vision du monde des autochtones, mais elle est présente. L’encyclique est un appel urgent à changer un monde qui nous mène à l’abîme. Nous devons changer le projet de vouloir un progrès infini, comprendre que nous ne pouvons continuellement aller en avant, et que tout ce passé est obsolète. Nous vivons dans une époque où la technologie domine et tout devient périmé dans un temps très court, ce qui nous fait entrer dans le besoin de consommer. C’est en ce sens que le passé est dévalué, ce qui importe c’est le présent et on a créé une attente infinie au niveau technologique, ce qui est trompeur.
Contrairement à cela, les indigènes retournent aux racines. Ils sont également confrontés à une situation changeante, semblable au changement d’époque que connaît la culture occidentale, causée par le néolibéralisme, avec ses valeurs et contre-valeurs. Ils ressentent le besoin de revenir à leur plan fondateur, pour y trouver comment se diriger vers les temps modernes, sont à la recherche des signes des temps qui peuvent être assumés à partir de ce plan fondamental, présent dans leurs mythes, pour trouver un moyen d’avancer, car ils sont en itinérance, toujours en voyage à la recherche de la Terre Sans Mal, expérimentent ce voyage comme un test pour surmonter les difficultés et atteindre la pleine maturité avec la Terre Mère. Lorsque nous disons que nous devons prendre soin de la nature, nous devons comprendre que la Terre Mère prend soin de nous et nous devons entrer dans une relation de réciprocité avec elle.
Note :
[1] Voir : Le Pape François à la Deuxième Rencontre Mondiale des Mouvements Populaires
Traduction anglaise : http://iglesiadescalza.blogspot.co.uk/2015/12/margot-bremer-laudato-si-is-call-to.html
Traduction française par Lucienne Gouguenheim