Nous sommes en terrorisme
Par Jean-Marie Muller
La France est en guerre! » C’est en martelant ces mots que François Hollande a commencé son discours devant les parlementaires réunis en Congrès à Versailles, le 16 novembre 2015. Et les médias ont salué le ton martial du président de la République qui s’est exprimé en véritable « chef de guerre ». Certes, l’ignominie des actes meurtriers qui ont tué à Paris des dizaines d’innocents porte la violence à son paroxysme. Mais le terrorisme n’est pas la guerre.
La caractéristique de la stratégie terroriste est de permettre, par les moyens techniques les plus simples, de contourner et de mettre en échec les dissuasions militaires dont les moyens techniques sont les plus sophistiqués. Le terrorisme vient prendre complètement à revers la défense des sociétés modernes de sorte que les armes les plus puissantes s’avèrent inutiles et vaines aux mains des décideurs politiques et militaires. L’État français s’enorgueillit de posséder l’arme nucléaire pour défendre efficacement ses intérêts vitaux, mais les terroristes se moquent de l’arme nucléaire.
Déraciner le terrorisme
Pour vaincre le terrorisme, il convient de s’efforcer d’en comprendre les causes et les objectifs. Pour éradiquer le terrorisme, pour le déraciner, il faut s’efforcer de comprendre quelles sont les racines historiques, sociologiques, idéologiques et politiques qui l’alimentent. Certes, le terrorisme peut être irrationnel et se condamner lui-même à n’être qu’un acte nihiliste animé par la volonté de détruire et le désir de tuer. Le terrorisme veut être alors essentiellement une transgression s’accomplissant dans l’ignorance du bien et du mal. Pour autant, ce serait se méprendre que de vouloir faire du nihilisme la caractéristique de tout acte terroriste.
En France et un peu partout dans le monde, La Marseillaise a retenti comme un chant de solidarité et de résistance. L’air était juste, mais jamais les paroles guerrières de notre hymne national n’ont résonné de manière aussi fausse: qui peut croire, en effet, que les citoyens français soient appelés à prendre les armes et à former des bataillons pour abreuver leurs sillons d’un sang impur ? Nous devons certes surmonter toute peur et nous mobiliser, mais pour résister à la logique de la terreur qui est la logique de la violence. Au demeurant, afficher la volonté de faire la guerre aux terroristes n’est-ce point prendre le risque d’alimenter le terrorisme lui-même ?
En réalité, nous sommes en terrorisme et cela ne signifie pas que nous soyons en guerre. En définitive, la solution au problème du terrorisme ne pourra pas être militaire, elle devra être politique. L’arme des terroristes est d’abord une arme idéologique et c’est cette arme qu’il faut briser. Face à l’inhumanité absolue des actes terroristes, l’être humain est mis au défi de faire preuve d’un surcroît d’humanité. L’urgence est d’affirmer les valeurs universelles qui fondent la civilisation. Et ce sont les mots de notre devise républicaine qui doivent inspirer notre action : « Liberté, égalité, fraternité ».
Le malheur, c’est précisément que la culture qui domine nos sociétés est structurée par l’idéologie de la violence nécessaire, légitime et honorable. Désarmer le terrorisme, c’est d’abord désarmer cette idéologie afin de construire une culture fondée sur une éthique du respect, de la justice, de la fraternité et de la non-violence. Désarmer le terrorisme exige également de désarmer les religions, de désarmer toutes les religions qui ont elles-mêmes pactisé avec l’idéologie de la violence.
Dans l’ignorance de la non-violence, elles ont élaboré des théologies de la guerre juste qui prétendaient concilier l’amour et la violence dans une même rhétorique. Ne nous faut-il pas reconnaître que les tueurs, dont la vie était en déshérence, sont aussi des victimes du terrorisme ? Quelle que soit l’horreur criminelle de leurs actes, ils sont aussi des hommes. Au-delà de la mort, il nous appartient de leur restituer leur humanité. Il nous sera alors possible de prendre aussi le deuil de ces hommes criminels sans porter atteinte à la mémoire de ceux qu’ils ont tués.
Car le véritable réalisme est de voir dans l’extrême ignominie de la violence du terrorisme, l’évidence de la non-violence.
Source : http://temoignagechretien.fr/articles/nous-sommes-en-terrorisme