Islam, Coran, jihadisme : et la théologie dans tout ça ?
par Rachid Benzine et Michaël Privot [1]
Les causes sociales, économiques et politiques qui conduisent à la radicalisation violente d’un certain nombre de jeunes Français, Belges et Européens, qui se revendiquent de l’islam, ont été amplement analysées et continuent de faire l’objet d’une production académique importante et absolument cruciale pour une juste compréhension de ce phénomène complexe. Il n’en demeure pas moins que sa dimension théologique – proprement islamique – n’a fait l’objet que de peu d’analyses sérieuses au-delà des poncifs « c’est la faute à l’islam ».
Et, pourtant, il y a urgence à penser la question théologique, si l’on veut pouvoir agir, en aval, sur tous les facteurs qui nourrissent la violence.
Les contresens pervers de Daesh
Partons d’une observation. Le communiqué de Daesh [2] justifiant les massacres du 13 novembre, à Paris, instrumentalise de manière évidente le verset 59 de la sourate 2 du Coran (« Allah le Très-Haut a dit : “Et ils pensaient qu’en vérité leurs forteresses les défendraient contre Allah. Mais Allah est venu à eux par où ils ne s’attendaient point, et a lancé la terreur dans leurs cœurs (…).” »).
Daesh l’utilise totalement hors contexte et selon un contresens particulièrement pervers. En effet, ce verset ne parle pas du tout d’un massacre, mais il traduit un contexte politique précis, celui de Médine au VIIe siècle. Il s’agit en l’occurrence de l’expulsion d’une tribu juive qui avait trahi le pacte tribal qui l’unissait à Muhammad. Les raisons n’en étaient donc absolument pas religieuses, mais étaient bien politiques. La lecture qu’en fait Daesh aujourd’hui relève dès lors de la « prédation » idéologique.
Cependant, contrairement à ce que prétend un grand nombre de musulmans et d’oulémas, cette lecture déviante du corpus coranique n’est pas propre aux seuls « muftis » de Daesh.
Pour preuve, une fatwa émise le 3 octobre par une cinquantaine de leaders religieux saoudiens utilise des procédés rhétoriques et une instrumentalisation des versets coraniques similaires. Elle vise à inciter les musulmans sunnites de Syrie (Shâm) à prendre les armes contre les croisés russes venant en soutien aux forces chiites syriennes, iraniennes et libanaises engagées sur le terrain.
En voici l’essentiel : « Nous invitons ceux qui en ont les moyens parmi vous à rallier le cortège du jihâd, car votre jour est venu (…). Le front occidentalo-russe avec les Safavides (Iraniens) et les Nusayris (alaouites) est une véritable guerre contre les gens de la Sunna, leurs pays, leur identité (…). (Les Occidentaux) ont voulu mystifier les peuples en prétendant faire front pour mener une guerre contre Daesh. Mais cela est une imposture. Daesh ne s’est jamais approché d’eux, sinon à la marge. Leur stratagème est énorme. Mais le Très-Haut a dit : “La manœuvre perfide n’enveloppe que ses propres auteurs” (35, 43). Et encore : “Et ils se mirent à comploter. Dieu a fait échouer leur complot. Et c’est Dieu qui connaît le mieux leur machination” (3, 54). »
De manière assez claire, ces oulémas saoudiens s’adressent non pas à Daesh, mais aux forces sunnites en présence sur le terrain et aux États « sunnites » environnants.
Le procédé qu’ils emploient est du même ordre que celui qu’utilise Daesh :
- Ancrer dans les esprits la division entre « eux » et « nous » ;
- Réifier les « eux » en les décrivant comme des « mécréants » (identiques à des « singes et des porcs » selon la terminologie classique) ;
- Légitimer la violence contre ses ennemis perçus comme infrahumains ;
- Passer à la mise en œuvre de la violence pure et simple à l’encontre de groupes spécifiques (juifs, musulmans impies, clients de salles de concert…).
Chacune de ces étapes est justifiée par des citations coraniques ou des propos prophétiques sortis de leur contexte et qui ne servent dès lors que de points d’appui à des discours purement idéologiques, sans connexion avec la Tradition dont ils se réclament pourtant.
Questionner le paradigme du sunnisme « mainstream »
Le problème est donc bien plus profond qu’une simple question de lecture du Coran ou encore de mise en contexte du Texte à l’aide d’une Tradition qui est, rappelons-le, essentiellement rédigée au IXe siècle, soit près de deux siècles après la prédication de Muhammad, dans une situation culturelle, anthropologique et politique complètement différente de celle des origines.
Pour justifier, par exemple, la licéité selon la charia de réduire en esclavage et d’abuser sexuellement les jeunes femmes yézidies, les juristes de Daesh n’hésitent pas à utiliser la jurisprudence musulmane la plus classique. Ils puisent dans les principaux recueils de hadîths et font référence à des savants de renom tels que Ibn Taymiyya (1263-1328 ), Ibn Abidin (1783–1836) ou Al-Shawkanî (1759–1839 ).
Cela rend du même coup totalement inefficaces les condamnations des discours jihadistes par les oulémas du XXIe siècle qui opèrent, en vérité, sur le même logiciel, mais en déplaçant le curseur plus ou moins loin par rapport à l’extrême de Daesh. Et il en va de l’esclavage comme de la violence, comme on a pu le voir à propos du pilote jordanien brûlé vif en février de cette année.
Ce qu’il faut dès lors questionner aujourd’hui, si l’on veut trouver une véritable sortie par le haut de ce marasme dans lequel s’est enfermé le sunnisme – et finalement de ses formes les plus modérées aux plus excessives –, c’est son paradigme fondamental.
Celui-ci repose sur deux axiomes principaux :
- Le Coran est une Loi divine intemporelle, immuable, devant être appliquée à la lettre, en toutes circonstances et en tous lieux ;
- La Sunna est purement factuelle, et elle doit servir de clé d’interprétation du Coran (c’est l’approche du sunnisme « mainstream »), voire de code de pratiques à mettre en œuvre au quotidien dans toutes les situations de la vie (approche de type salafiste).
Contre une lecture idéologisée, sortir de l’hagiographie et du mythe
La stratégie consistant à argumenter sur le même terrain théologique et jurisprudentiel que Daesh ou al-Qaïda a montré toutes ses limites. Des oulémas de toutes nationalités et écoles ont multiplié des fatwas extrêmement fouillées, démontant ligne par ligne les argumentaires de Daesh et consorts, réfutant catégoriquement la notion d’attentat-suicide par exemple.
Manifestement, l’effort n’a porté que peu de fruits. Tout au plus apporte-t-il quelque satisfaction morale à celles et à ceux qui souhaitent encore s’accrocher au fait que l’islam de Daesh, « ce n’est pas l’islam ». Mais force est de constater que le remède avancé contribue à répandre la maladie dans le corps entier, en perpétuant une grille de lecture idéologisée des corpus coranique et prophétique.
Il est donc nécessaire de changer fondamentalement d’approche. Un texte, tout révélé soit-il, s’inscrit dans un temps, un lieu et s’adresse à un peuple particulier, en fonction de l’imaginaire qui lui est propre. Le drame de l’islam, c’est que l’on a substitué à l’imaginaire coranique du VIIe siècle, un imaginaire islamique, et ce dès le IXe siècle. Imaginaire que nous ne cessons de réinventer aujourd’hui au gré de nos tribulations, nous éloignant toujours plus du Coran historique, devenu fondateur d’une religion seulement « après coup », et idéologisant toujours plus, pour compenser l’incompréhension née de cet écart.
La Tradition musulmane s’enorgueillit de son inscription dans l’Histoire en prétendant donner un compte rendu, à la minute, de la vie du Prophète et de Ses compagnons, au travers de la Sîra (vie du Prophète) et du Hadith (paroles et actes attribués au Prophète) qui fondent la Sunna. Il importe par conséquent de relever ce défi de l’historicité, puisqu’il est fondateur en grande partie de la légitimité du discours sunnite. Il faut sortir de l’hagiographie et du mythe, pour retourner dans l’Histoire, la vraie.
Refonder une (des) des théologie(s) islamique(s) contemporaine(s)
La solution ? Utiliser toutes les méthodes classiques et contemporaines à notre disposition : linguistique, sémiologie, anthropologie, épigraphie, critique historique… C’est seulement en utilisant ces moyens scientifiques que nous pourrons retrouver l’accès à l’imaginaire coranique et déchiffrer ce qu’a pu être l’intention du Prophète en s’adressant aux gens qui l’entouraient. Cela signifie de relire le Texte à partir du monde qui était le sien, au lieu de faire des projections sur le Texte à partir du nôtre.
C’est cela, la grande différence entre l’idéologie et l’Histoire. Cette approche permettra de refonder une (des) théologie(s) islamique(s) contemporaine(s) sur des bases plus saines. Des bases, où il n’y aurait pas de destruction absolue de son adversaire, où il n’y aurait pas d’opposition entre croyants et mécréants parce que ces catégories étaient inexistantes aux premiers temps de l’islam – époque où l’on parlait au contraire d’alliance nourricière avec un Dieu protecteur (imân). Dans le monde du Prophète, il n’y avait pas de « eux » et de « nous », ni de négation de l’humanité des adversaires théologiques.
C’est à cet effort de refonte complète de leur paradigme de compréhension du Coran et de la Tradition que les musulmans doivent s’atteler avec plus d’ardeur aujourd’hui qu’ils ne l’ont fait jusqu’ici. Personne d’autre ne sera légitime pour le faire à leur place, même si les hommes et femmes de bonne volonté, de toutes convictions, sont les bienvenus pour les soutenir dans cet effort titanesque.
Notes :
[1] Rachid Benzine et Michaël Privot sont islamologues.
[2] http://www.saphirnews.com/Daesh-et-l-instrumentalisation-ideologique-du-Coran_a21560.html
Source : http://www.saphirnews.com/Islam-Coran-jihadisme-et-la-theologie-dans-tout-ca_a21774.html
Cet article a été publié dans L’Obs, le 20 décembre 2015.
Janvier 2015
Une lecture littérale du Coran n’est pas soutenable, car elle butte
sur des incohérences insurmontables… et la notion de « versets
abrogeants – versets abrogés », par laquelle les djihadistes
justifient leur lecture du Coran, butte sur des incohérences
non moins insurmontables !
Les djihadistes, tout en ignorant les versets du Coran qui les dérangent, s’appuient sur un certain nombre d’autres versets qu’ils comprennent au pied de la lettre, sans tenir aucun compte ni du contexte scriptural, ni du contexte historique.
Ils ne sont pas les seuls à avoir une lecture littérale du Coran, c’est le cas notamment aussi des salafistes.
Nous allons démontrer ci-dessous (en nous plaçant du point de vue d’un croyant) qu’une lecture littérale du Coran butte sur des incohérences insurmontables.
Il n’est pas superflu du tout de faire cette démonstration, car parmi ceux qui
basculent dans le djihadisme il n’y a pas que des personnes peu instruites,
loin de là, beaucoup d’entre elles ont un bon niveau d’étude et parfois même
ont entrepris des études supérieures.
« Les vidéos, sites de propagande et appels sur les réseaux sociaux ont
ainsi poussé entre 400 et 500 Britanniques « avec un bon niveau
d’instruction » à rejoindre le djihad en Syrie et en Irak »
[L’Etat islamique, combien de combattants ? Le Monde.fr 22.08.2014:
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2014/08/22/l-etat-islamique-combien-de-combattants_4475352_3218.html%5D
« Djokhar et Tamerlan [Tsarnaev, les auteurs de l’attentat de Boston du 15
avril 2013] ont tous deux poursuivi leurs études à l’université après le lycée.
[…L’] éducation religieuse [de Tamerlan, se] fait sur Internet sur des sites
spécialisés.
Et il apprend à fabriquer les bombes dans des cocottes-minute. »
[Attentas de Boston. Les frères Tsarnaev et Merah : un itinéraire commun
le Parisien 14.04.2014:
http://www.leparisien.fr/international/attentats-de-boston-les-freres-tsarnaev-et-merah-un-itineraire-commun-14-04-2014-3768147.php%5D
D’autre part les djihadistes, notamment dans certains sites Internet,
développent une argumentation certes sectaire (car basée sur une vision
tronquée et hyper-sélective de la réalité tant historique que contemporaine)
mais sophistiquée. Ce qui confirme que l’argumentation a une efficacité.
Il importe donc pour défendre la fraternité universelle et pour sauver des vies
innocentes d’argumenter pour discréditer leur discours en en montrant
l’incohérence.
En effet, pour toute personne de bon sens il est évident que le Coran demande une lecture distanciée, prenant en compte le contexte.
Il existe par exemple un passage du Coran, souvent mis en avant par les contradicteurs de l’islam, qui dit : « Tuez les polythéistes, partout où vous les trouverez. »
« Ce passages du Coran a été révélé suite aux attaques faites par les polythéistes envers les musulmans et le fait qu’ils aient rompu la paix avec l’aide de “musulmans hypocrites” (qui disaient s’être convertis mais étaient des espions).
Ce genre de passage doit être mis en rapport avec les conditions de leur révélation si on ne veut pas faire de contresens. »
[http://mejliss.com/1559260/ces-versets-du-coran-me-derangent]
Comment Dieu, le Juste, le Miséricordieux, pourrait-il demander de tuer les polythéistes (ou les « mécréants » ou les juifs ….) du seul fait qu’ils sont polythéistes (ou « mécréants » ou juifs …) !
Comment croire en un « Dieu » qui appellerait au meurtre de personnes innocentes, comment croire qu’un tel « Dieu » puisse être juste et miséricordieux…, car en quoi un homme qui est polythéiste (ou « mécréant ») car ses parents l’ont élevé ainsi, est-il coupable de quoi que ce soit ?
Comment croire à cela ?
Il est opportun ici de rappeler la position sans ambigüité de Tariq Ramadan :
« Les salafis jihadistes et les extrémistes […] ne représentent pas les valeurs de l’islam et leurs actions sont clairement anti-islamiques, et à condamner. Tuer des innocents, s’attaquer à des civils […] ne peut jamais être justifié. Si la critique de la politique d’Israël est légitime et juste, comme celle de tout Etat, elle ne peut justifier – en aucune façon – l’antisémitisme qui est anti-islamique de la même façon. »
De plus certains polythéistes, certains « mécréants », certains juifs… ont donné leur sang pour sauver des vies, et parmi ces vies sauvées il y a des vies de musulmans ! Plus encore (Coran 5,32), en sauvant une vie c’est comme s’ils avaient sauvé tous les hommes !
Comment quelqu’un qui se prétend musulman pourrait-il tuer un homme qui a sauvé ses frères dans la foi !
Comment Dieu (« Le Juste, Le Miséricordieux ! ») pourrait-Il demander de tuer des êtres humains qui ont sauvé tous les hommes !!!
Dire que Dieu puisse demander une chose pareille n’est-ce pas faire injure à la justice de Dieu (et peut-être même faire injure à Dieu Lui-même) ?
Certains versets du Coran sont tout à fait contraires à l’usage de la violence pour imposer la foi musulmane ou sa suprématie :
Coran 2,256 : « Pas de contrainte en religion ! »
Coran 10,99 : « Est-ce à toi de contraindre les gens à devenir croyants ? »
Coran 5,99 : « Il n’incombe au Messager que de transmettre le message. »
Coran 3,20 : « Ton devoir n’est que de transmettre le message. »
Coran 5.47 : « Que les gens de l’Évangile jugent d’après ce que Dieu y a fait descendre. »
Coran 16,125 : « Par la sagesse et la bonne exhortation, appelle les gens au sentier de ton Seigneur. Et discute avec eux de la meilleure façon. »
etc.
Or, dit le Coran « la Parole de Dieu ne change pas » (Coran 10,64 et 18,27 et 48,23 et 6,34 et 6,115 !).
Si le Coran est « La Parole de Dieu » et si « la Parole de Dieu ne change pas », ces 6 versets sont et demeurent des commandements de Dieu-même !
Pour justifier leur appel à la violence (si contraire aux versets précédemment cités, qui normalement devraient être considérés comme la Parole de Dieu-même, par ceux –tels les djihadistes- qui ont une lecture littéraliste du Coran), en vue d’imposer leur domination, les djihadistes répondent à cela qu’il y a dans le Coran des versets abrogeants (ceux considérés comme les plus récents) et des versets abrogés (ceux considérés comme plus anciens).
Premièrement prétendre que des versets puissent en abroger d’autres alors que Dieu lui-même par le Coran nous dit et nous répète pas moins de 5 fois que sa Parole ne change pas n’est-ce pas avoir la folle outrecuidance de se placer au-dessus de Dieu ?
Deuxièmement, si on acceptait d’admettre qu’il puisse y avoir des versets abrogeants et des versets abrogés, cela voudrait dire que Dieu peut dire une chose (« pas de contrainte en religion ! »… etc.) puis son contraire (les versets qui, compris littéralement, appellent à combattre par les armes pour imposer la foi musulmane ou sa suprématie).
Cela est impossible, à moins que ces deux Paroles de Dieu, apparemment contraires l’une de l’autre (si on les comprend littéralement), soient relatives à deux situations très différentes.
Mais alors, cela voudrait dire que la Parole de Dieu est très fortement dépendante du contexte historique (puisque on se trouve en présence de Paroles de Dieu apparemment contraires les unes des autres, si on les comprend littéralement).
Cela disqualifie donc radicalement toute lecture littérale du Coran, car étant littérale elle fait abstraction à la fois du contexte historique de l’époque où ces versets ont été prononcés par Mahomet et du contexte qui prévaut ici et maintenant.
On est donc contraint d’admettre qu’on ne peut échapper à la nécessité d’interpréter le Coran.
Mais alors, si déjà durant la courte période (moins de 50 ans) durant laquelle le Coran a été énoncé par Mahomet le contexte historique a pu varier au point que deux Paroles de Dieu apparemment contradictoires (si on les comprend littéralement) aient pu être prononcées, a fortiori plus de mille ans plus tard, dans un tout autre contexte, celui d’ici et de maintenant, comment pourrait-on préjuger de ce que serait la Parole de Dieu ?
Et puisqu’il y a (on l’a démontré) nécessité d’interpréter le Coran, qui va l’interpréter ?
Celui (ceux) qui l’interprète(nt), quel(s) qu’il(s) soi(en)t, ne peu(ven)t prétendre, à l’égal de Mahomet, avoir une révélation divine, car le prétendre serait j’imagine considéré par les autorités musulmanes comme quelque chose de proche du blasphème.
Enfin (s’il était nécessaire de rajouter un argument à tous ceux qui précèdent, et dont chacun semble difficile à réfuter) on peut présumer que les exemples historiques ou/et contemporains ne doivent pas manquer, dans lesquels de hautes autorités musulmanes, bien que se réclamant toutes du Coran, divergent sur des points importants, sinon comment expliquer d’une part l’existence de plusieurs confessions musulmanes et d’autre part l’existence de plusieurs écoles juridiques à l’intérieur d’une même confession musulmane.
Compte tenu de ce qui précède, prétendre parler au nom de Dieu en s’appuyant sur le Coran, n’est-il pas problématique ?
De même, prétendre parler au nom de Dieu en s’appuyant sur la Bible hébraïque ou sur les Evangiles n’est-il pas tout aussi problématique ?
Et cela aussi grande que soit la valeur des écrits contenus dans la Bible ou dans les Evangiles ou dans le Coran, et quelle que soit la force du rapport qu’on attribue à ces écrits avec l’expression de la volonté de Dieu.
Il paraît sain de se méfier de tout discours qui prétend être Parole de Dieu, et cela quelle que soit la religion en cause…
Dans l’histoire des hommes combien de meurtres et d’horreurs n’ont-ils pas été commis « au nom de Dieu » !
Et si Dieu est du côté de la Justice de la Fraternité et de l’Amour (le seul Dieu en qui nous pouvons croire), ces horreurs, ces meurtres commis en son nom sont de ce fait (s’il se peut) encore plus horribles.
Pour un juif, un chrétien, un musulman, Dieu est Justice et Miséricorde, Dieu est Le Juste, Le Miséricordieux. Se prétendre croyant et commettre l’injustice et le meurtre d’innocents n’est-ce pas pousser à croire que Dieu n’est pas Justice et Miséricorde mais injustice et haine, n’est-ce pas là salir le nom de Dieu, donc le diffamer, et diffamer le nom de Dieu n’est-ce pas ce que certains appellent blasphémer ?
N’est-ce pas là donner une image complètement défigurée et repoussante de Dieu, ce qui peut amener certains à l’athéisme ?
Donc ceux qui tuent des innocents au nom de Dieu, ou qui prennent le risque de tuer des innocents au nom de Dieu, ou qui appellent à tuer des innocents au nom de Dieu, ne risquent-ils pas (non seulement, de commettre un horrible crime, mais aussi) de commettre un grave blasphème ?
Remarquons par ailleurs qu’il peut être parfois un peu orgueilleux de prétendre que telle ou telle personne est polythéiste ou qu’elle adore des idoles :
D’abord qui sommes-nous pour en juger, sommes-nous nous-mêmes indemnes de toute idolâtrie ? « L’idole de tout homme, c’est son ego » a dit très justement Ibn’Arabî.
Ensuite Dieu n’est-Il pas infiniment au-delà de toute idée que l’on peut se faire de Lui (ce qui implique que personne n’est complètement exempt d’idolâtrie) et sa Miséricorde ne s’étend-Elle pas sur tous les hommes de bonne volonté, quelle que soit leur croyance, si celle-ci est de bonne foi ?
C’est en tout cas ce qu’Abd el-Kader nous invite à penser :
« Si tu penses et crois qu’Il est ce que professent et croient toutes les écoles de l’islam, Il est cela, et Il est autre que cela! Si tu penses qu’Il est ce que croient les diverses communautés – musulmans, chrétiens, juifs, mazdéens, polythéistes et autres -, Il est cela et Il est autre que cela…. Nul ne Le connaît sous tous Ses aspects, nul ne L’ignore sous tous Ses aspects… Il embrasse les croyances de toutes Ses créatures, de même que les embrasse Sa miséricorde…»
[http://nous-les-dieux.org/Le_Monde_des_Religions_HS_N%C2%B04/Ma%C3%AEtres_Spirituels/L%27%C3%A9mir_mystique,_Abd_el-Kader]
cf. « Lorsque nous pensons Dieu, nous le blasphémons ou nous l’idolâtrons. »
[Marcel Légaut]
cf. « Tout concept formé par l’entendement pour tenter d’atteindre et de cerner
la nature divine ne parvient qu’à façonner une idole de Dieu, non à le faire
connaître. »
[Grégoire de Nysse, né vers 336, mort en 394]
____ fin ____