Leçons d’espérance en Israël et en Palestine occupée
par Dominique Fonlupt
Du 15 au 23 octobre, dans un contexte d’extrême violence, 56 lecteurs de La Vie se sont rendus à Nazareth, Ramallah, Hébron, Bethléem et Jérusalem lors d’un voyage œcuménique organisé par La Vie. Ils ont rencontré des Palestiniens et des Israéliens dont la foi, la soif de justice et de paix interdisent tout fatalisme.
Le mur de séparation près du camps de réfugiés d’Aïda à Bethléem
Ce sont leurs enfants qu’il a fallu rassurer quand les images d’émeutes, les gaz lacrymogènes, les attentats-suicides au couteau, ont fait irruption sur les écrans. Comment ? Leurs parents vont se rendre dans cette région en proie à une « nouvelle spirale de la violence », selon la formule consacrée ? Ils sont partis quand même. Tous, sans hésitation.
Pas le temps de céder à la peur quand l’actualité s’incarne immédiatement et continuellement dans des visages. Nos deux guides sont des Palestiniens chrétiens, ils habitent à Jérusalem-Est, vont chercher leurs enfants à l’école, se passionnent pour la culture biblique, ont de l’humour. Au fil de notre périple, ils racontent ce que signifie vivre dans un pays occupé. Le plus grave obstacle à une solution politique se lit en permanence dans le paysage : 74 colonies israéliennes ont été construites depuis les accords de paix d’Oslo en 1993 et des millions de dollars ont été investis pour la construction de routes à l’usage unique des colons de Cisjordanie. Les militaires pour protéger les terres confisquées sont omniprésents. Pourtant, comme chez tous ceux que nous avons rencontrés durant ce voyage, la patience de nos guides n’a jamais le goût de la résignation et leur détermination à vivre dans le pays de leurs ancêtres n’a jamais celui de la haine. Première leçon.
Nos accompagnateurs spirituels connaissent bien le terrain, eux aussi. Le prêtre Jean-Claude Sauzet est aumônier à la Maison d’Abraham, fondée par le Secours catholique, qui propose à Jérusalem un accueil pour les pèlerins les plus pauvres. Danièle Vergniol, pasteur de l’Église protestante unie, a passé plusieurs mois à Hébron comme accompagnatrice dans le cadre d’un programme lancé par le Conseil Œcuménique des Églises, à la suite d’un appel des Églises de Palestine en 2001. La présence attentive de volontaires internationaux permet de limiter les exactions aux check-points et dans des lieux où colons radicaux et Palestiniens cohabitent dans la tension permanente. L’une de leurs missions est d’accompagner à Hébron ou dans la banlieue de Jérusalem des enfants palestiniens qui doivent passer des check-points pour rejoindre leur école. De nombreuses associations internationales travaillent sur place pour l’avenir. Il y a quelque chose à faire, encore une leçon.
C’est la force et l’originalité de ce voyage : l’expérience de la géographie de l’occupation, nos rencontres bouleversantes avec des personnalités palestiniennes et israéliennes sont heureusement irriguées par un ressourcement permanent dans les textes bibliques et évangéliques et des célébrations de plus en plus fraternelles au fil de ces 10 jours. En Galilée, au Mont des Béatitudes, nous lisons Matthieu, 5.1-15 dans la traduction d’André Chouraqui : « En marche, les endeuillés ! Oui, ils seront réconfortés ! En marche, les humbles ! Oui, ils hériteront de la terre ! » À Bethléem, Isaïe 11.1-10 nous rappelle à l’esprit de sagesse et de discernement. Découvrir les implantations juives sur les toits des quartiers chrétiens et musulmans à Jérusalem à l’occasion d’un chemin de croix nous fait prendre conscience d’une réalité politique tout en nous permettant d’exprimer à travers les différentes stations que la force, l’humiliation, le passage par la mort ont conduit à la résurrection. « C’est une chance de faire ce voyage avec la possibilité de partager ce que nous éprouvons, de prier ensemble dans un esprit de fraternité », estime Marie, lectrice de La Vie de Paris.
La mort, la force, l’humiliation, c’est à Hébron que nous les avons touchées du doigt. Jusqu’au jour même de notre visite, nous ne savons pas si nous pourrions nous rendre dans cette ville de 126 000 habitants, dont une partie dépend de l’autorité palestinienne, tandis qu’une autre est sous contrôle israélien. De violentes émeutes ont eu lieu la veille près du Tombeau des Patriarches. Un jeune Palestinien a été tué trois jours avant. Mais ce matin, nous tentons notre chance. Nous y entrons en passant par la colonie de Kyriat Arba, 6000 colons, où l’on célèbre chaque année la mémoire de Barukh Golstein, auteur du massacre perpétré en 1994 dans la mosquée attenante au tombeau des Patriarches, à quelques centaines de mètres.
Nous traversons à pied la vieille ville d’Hébron où les rues sont surmontées de filets : les colons installés sur les toits des maisons, jettent leurs détritus sur la tête des habitants. C’est dans ce contexte que nous sommes attendus par les responsables de l’ONG palestinienne Hébron-France [1], un centre culturel et social employant 17 salariés, au cœur de la vieille ville. Entre autres, on y sensibilise les enfants et leurs familles à l’archéologie et on développe l’accueil des touristes chez l’habitant, en lien avec le CCFD-Terre solidaire. Prendre conscience de la richesse de son patrimoine, avoir la joie d’échanger avec des étrangers sont de fragiles victoires sur la tentation du désespoir.
Dimanche 18 octobre. Nous célébrons la messe avec les chrétiens de Jifna, dans la grande banlieue de Ramallah. La paroisse compte 127 familles chrétiennes, nous indique le bouillonnant Abouna (père) Firas Aridah, prêtre de rite catholique latin. L’Église est bondée. Avant la célébration, Abouna Firas nous lance dans un français parfait : «Vous devez continuer à renforcer notre espoir, notre foi. Nous pourrons dire alors : nous ne sommes pas seuls. Vous devez maintenir notre présence en Terre Sainte, en Palestine : en étant présents dans nos vies ». Ce prêtre jordanien s’était promis de ne pas faire de politique en arrivant en Cisjordanie. Mais après la confiscation de 300 ha de terres couvertes d’oliviers et de sources aux paysans d’Aboud, sa paroisse précédente, il a réussi à obtenir une une audition auprès du Congrès américain en 2006. Il poursuit : « Nous espérons que par les visages que vous avez vus, les voix que vous avez entendues, votre vision et votre mission pour la paix incluront nos espoirs pour la paix et la justice dans vos prières quotidiennes ».
Venez et voyez ! C’est aussi le message du père Jamal Khader, recteur du séminaire du patriarcat latin à Beit jalla, près de Bethléem où il nous reçoit avec Hind Khoury, ex-représentante de la Palestine en France et récemment nommée secrétaire générale de Kairos Palestine. Kairos Palestine est un groupe de travail qui a produit en 2009 un appel clair vigoureux signé par les 13 Églises chrétiennes de Jérusalem. Tous les évêques et patriarches y invitent la communauté internationale à faire pression sur le gouvernement israélien pour que cesse l’occupation. « L’indifférence est un péché, proclame Jamel Khader avec force. Les chrétiens du monde doivent agir de façon créative pour une paix inclusive.»
Tandis que nous entendons des tirs de grenades lacrymogènes, que nous apprenons la mort de deux jeunes Palestiniens dans l’après-midi même à Bethléem, Jamal Khader rappelle que la situation résulte bien d’un conflit politique dans lequel la religion est exploitée pour justifier l’occupation. « Parmi les musulmans, la montée du fondamentalisme pousse certains à une interprétation religieuse du conflit, ce qui ne fait qu’ajouter à la confusion ». Comme Abouna Firas, il refuse les tentatives de divisions entre chrétiens et musulmans palestiniens : «Nous chrétiens ne sommes pas une minorité : nous partageons tout avec les autres palestiniens, sauf la religion ».
« Que faire, nous qui sommes de passage ? » C’est la question que nous posons à tous nos interlocuteurs. « Racontez ce que vous avez vu dans vos paroisses et vos communautés, encouragez-les à lire le document Kaïros et à nous écrire ! Portez l’Église locale dans vos prières et organisez une solidarité concrète, nous intime le père Jamal Khader. Par leurs écoles, leurs universités, leurs hôpitaux, les Églises travaillent à maintenir l’espérance vivante afin que les nouvelles générations ne perdent pas espoir et ne sombrent pas dans la tentation du chaos. »
Côté Israélien, le « camp de la Paix », encore nombreux et dynamique jusque dans les années 1990, a perdu des combattants. Les militants israéliens que nous rencontrons longuement à Jérusalem font preuve de beaucoup de courage dans une société qui semble avoir renoncé à construire une paix juste. Certains font de la prison pour cela. Moins nombreux, plus âgés, ils ne baissent pas le bras pour autant et on comprend à les écouter parler de leur parcours et de leurs convictions, que leur travail est inspiré par un amour exigeant de leur pays.
Daniela Yoel, de l’association israélienne Machsom Watch [3], est née en Palestine en 1943. Ses parents ont immigré de Pologne, juste à temps pour échapper à Treblinka où a disparu toute la famille de sa mère. Juive pratiquante, elle aussi passée est à l’action au nom de sa foi, du judaïsme « qui se base sur la responsabilité de chacun envers l’autre ». Avec les femmes de Machsom Watch, elles témoignent, dans des rapports quotidiens mis en ligne sur leur site, de ce qu’elles observent aux check-points, dans les postes de police et auprès des tribunaux militaires.
Menue, mocassins plats, pantalon noir, kippa brodée, Nava Hefetz, femme rabbin du mouvement juif libéral, est directrice pédagogique de l’association « Rabbins pour les droits de l’homme » [2], dont l’objectif est d’informer les médias ce qui se passe dans les territoires occupés. « Nous essayons de présenter la complexité de la situation, là où la haine voudrait du noir et du blanc », dit-elle. C’est au nom de leur foi et de l’éthique juive que 150 rabbins en Israël –soutenus par un millier de rabbins dans le monde- n’hésitent pas à escorter -à leur demande- les paysans palestiniens durant la cueillette des olives afin qu’ils puissent rejoindre leurs champs à proximité des colonies. «Quiconque porte atteinte à la vie humaine porte atteinte à l’image de Dieu. Il n’y a qu’une seule humanité. » Et elle ajoute : « Nous attendons des chrétiens qu’ils soient des médiateurs, qu’ils créent des lieux de dialogue. Seule la rencontre fera progresser la paix. Malheureusement Palestiniens et Israéliens ont de plus en plus de difficultés matérielles pour se rencontrer ».
Que pouvons-nous faire ? demandons-nous encore à David Neuhaus, Juif israélien et prêtre jésuite, aujourd’hui au service des catholiques de langue hébraïque au sein du Patriarcat latin. « Prier, soutenir financièrement le travail éducatif des Églises locales, bien sûr. Mais nous avons aussi le devoir de formuler un contre-discours qui porte nos valeurs : la paix, la justice, la réconciliation, le pardon. Nous devons parler un langage qui montre que nous aimons les uns et les autres. Nos paroles créent le monde, disait Jules Isaac. Même si vous devez être critiques, gardez-vous de toute haine et de tout refus vis-à-vis des juifs et des musulmans, des Israéliens et des Palestiniens ».
« Quand on passe une semaine dans ce pays, on a envie d’écrire un livre, s’amuse le père Luc Pareydt, jésuite et diplomate au Consulat général de France à Jérusalem. Si on reste un mois, on écrit un article. Et plus on connait la situation, plus elle nous apparaît complexe. » Après 10 jours intenses sur cette terre, c’est un ver de René Char qui paraît le format le plus juste : « Le réel quelquefois désaltère l’espérance. C’est pourquoi contre toute attente, l’espérance survit. »
Notes
[1] http://hebron-france.org/hebron/ [2] http://rhr.org.il/eng/ [3] http://www.machsomwatch.org/en/about-usParticipez au prochain voyage de La Vie : Israël, Palestine, le courage de la paix, du 1er au 9 mai 2016, en partenariat avec l’hebdomadaire protestant Réforme et la Procure, avec Jean-Claude Guillebaud, chroniqueur à La Vie, Nathalie Leenhardt, rédactrie en chef de Réforme, Hind Khoury, secrétaire générale de Kaïros Palestine. Programme en cliquant ici
Et aussi :
Visionnez le documentaire “Palestine, histoire d’une terre, 1880-1991”, réalisé par Simone Bitton