Les centres d’éducation ne peuvent pas être des lieux de catéchèse des jeunes
Entretien avec Juan José Tamayo par Cristina Corte
“L’Espagne n’est pas laïque. Des articles de la Constitution s’y opposent, alors il est nécessaire de la réformer», souligne le professeur de Théologie et de Religion dans le Monde Moderne.
Juan José Tamayo Acosta (Palencia, 1946) est professeur « de Théologie et de Religion dans le Monde Moderne » à l’Université Carlos III de Madrid, où il occupe également la « chaire Ignacio Ellacuría de Théologie et Sciences Religieuses ». Il est également l’une des voix les plus prestigieuses et reconnues au niveau national et international. Le professeur Tamayo préconise une réforme de la Constitution espagnole pour «mettre fin aux privilèges de l’Église ». Le professeur Juan José Tamayo est l’auteur de 72 publications dans lesquelles il soutient la théologie de la libération.
Tamayo travaille aussi activement dans le domaine du féminisme, en particulier dans l’étude et l’analyse critique de la masculinité sacrée, fondée sur le patriarcat. Il a obtenu un diplôme en théologie de l’Université pontificale de Comillas en 1971 et un doctorat en théologie de Salamanque en 1976. Il a été professeur dans divers établissements en Espagne et en Amérique. Il possède également un diplôme en Sciences sociales de l’Institut León XIII en 1972 et un diplôme (1983) et un doctorat (1990) en Philosophie et Lettres de l’Université Autonome de Madrid.
Le théologien Juan José Tamayo Acosta a visité Llanes pour la première fois pour participer à une discussion sur la non-confessionnalité, l’État et la religion, dans lequel il a dénoncé l’absence de laïcité en Espagne et a appelé à une réforme constitutionnelle pour « mettre fin aux privilèges de l’Église ».
L’Espagne est-elle laïque?
Elle n’est ni laïque ni non-confessionnelle. La Constitution espagnole dispose de deux articles qui l’en empêchent – 16,3 et 27 – et il est par conséquent nécessaire de la réformer. Le premier article donne à l’Église [catholique] une place d’honneur et établit des religions de seconde zone. Le second permet de faire entrer la religion dans les écoles non sous l’angle de l’information, mais comme un élément de l’éthique. En outre, après que le Parlement ait approuvé la Constitution dans son intégralité, des accords avec le Saint-Siège ont été divulgués, qui sont une mise à jour du Concordat fournissant beaucoup de privilèges fiscaux, éducatifs, culturels, militaires et juridiques à l’Église. En Espagne, il y a eu une transition politique, avec de nombreuses limitations, mais pas religieuses et il y a encore des résidus du catholicisme national.
La religion doit-elle être enseignée dans les centres d’éducation?
Il n’y a pas besoin qu’elle disparaisse, mais les centres ne peuvent pas être des lieux de catéchèse et convertir les jeunes à une religion. Elle devrait être étudiée comme une histoire des religions qui est laïque, scientifique, critique. Un religieux, un imam, un rabbin ou un ministre n’a pas à enseigner en tant que tel, mais en tant que personne spécialisée indépendamment de ses connexions à une religion. Les autorités religieuses ne devraient pas non plus intervenir dans le développement du programme, les critères d’évaluation et la sélection des enseignants, comme cela se passe maintenant, car c’est une ingérence antidémocratique.
Y a-t-il une différence entre un État laïque et un État non confessionnel?
Il y a un jugement de 2001 de la Cour constitutionnelle qui dit qu’il n’y a pas de distinction. Certains conservateurs pensent que la laïcité est un moyen d’organiser la société qui persécute la religion et défend l’athéisme, mais ce n’est pas vrai. La laïcité est un modèle d’organisation de l’État dans lequel le critère de la cohésion de ceux qui font partie de celui-ci est le principe de la citoyenneté, et l’accent est mis sur les Droits de l’Homme.
Les États laïcs sont-ils plus démocratiques?
Oui, parce que les règles de l’État laïque s’appliquent à tous, des critères juridiques, fondés sur la Constitution, et éthiques, fondés sur les Droits humains. Un État confessionnel ne peut pas être démocratique parce qu’il traite les croyants de la religion qu’il professe préférentiellement par rapport au reste des citoyens.
Les gouvernements espagnols sont-ils au service de l’Église?
Tous les gouvernements de la démocratie ont été les otages de l’Église catholique. Les centristes, qui portent le poids de la rédaction de la Constitution, mais aussi les socialistes, qui, dans leurs quatorze années au pouvoir, n’ont pas fait un pas en avant vers la séparation de l’Église et de l’État et ont maintenu les accords et privilèges avec le Saint-Siège alors qu’ils auraient pu les dénoncer. Cela se manifeste quand ils prêtent serment avec la Bible et le crucifix à côté de la Constitution.
Qu’en est-il des partis émergents?
Ils sont liés par leur propre programme, dans lequel ils préconisent la séparation de la religion et de l’État et le retrait de privilèges, d’établir le désengagement avec le Vatican.
Les religions sont-elles nécessaires de nos jours?
Je ne dirais pas qu’elles sont nécessaires. La dimension religieuse n’est pas inscrite dans la nature humaine; c’est une option personnelle que vous choisissez, que vous vivez et transmettez dans l’environnement social et communautaire, et qui peut vous conduire au bonheur, bien que tout au long de l’histoire, elle a rendu les êtres humains plus malheureux à cause de l’image de Dieu qui a été présentée, du dogme et de la morale répressive.
Quel rôle doit jouer la religion à notre époque?
La place de la religion est dans les zones d’exclusion, le monde de la marginalisation et de la pauvreté, de l’oppression. Elle doit exercer un rôle essentiel dans un monde d’inégalités entre les pauvres et les riches.
Vous étiez critique de Jean-Paul II et Ratzinger. Êtes-vous dans une période de lune de miel avec François?
Je suis dans un esprit de dialogue critique, mais il est vrai qu’il travaille dans la bonne direction. Pour concrétiser, il a à démocratiser l’Eglise, à intégrer les femmes et transformer la Curie du Vatican.
L’attitude de la papauté l’égard des femmes n’a-t-elle pas changé avec François?
Non, il suit la même ligne d’exclusion que ses prédécesseurs, qui se reflète dans le refus de reconnaître des femmes prêtres, l’accès aux responsabilités et au sacré. François doit être clair que, sans le féminisme, toute tentative de réformer l’Église se terminera par un échec.
Traduction anglaise et photo : http://iglesiadescalza.blogspot.co.uk/2016/01/interview-with-juan-jose-tamayo.html
Traduction française : Lucienne Gouguenheim