Davos : des aveugles sur le pont du Titanic
par Attac France (extraits)
Cette année Manuel Valls et Emmanuel Macron représentent la France au Forum de l’oligarchie mondiale à Davos pour y vanter leur réalisme économique. Or, paradoxalement, le Forum fournit un outil remarquable qui démontre malgré lui à quel point nos élites sont aveugles au monde qu’elles dirigent : le « Rapport sur la perception des risques globaux » qui décrit depuis 2007 ces risques tels que perçus par les « global leaders ». Cette année les membres du Forum se disent inquiets des migrations internationales, mais n’ont vu venir ni la récession chinoise ni la crise boursière et financière qui commence. À l’image des lois Macron sur le travail du dimanche et autres « plans d’urgence sociale » anecdotiques, jusqu’à quand la classe de Davos jouera-t-elle à changer de place à tâtons les fauteuils sur le pont du Titanic ?
Depuis 1971 le Forum économique mondial de Davos s’est donné pour mission d’« améliorer l’état du monde ». Depuis 2007 il réalise une enquête, le « Global Risks Perception Survey », auprès de 750 « global leaders » – « experts, décideurs, universitaires », afin d’identifier les risques majeurs susceptibles d’affecter la planète dans la décennie à venir. L’analyse des perspectives – très peu réjouissantes – faite par le Rapport 2016 [1] montre la faillite de la « classe de Davos », et ce pour deux raisons : le monde s’enfonce dans le chaos à cause de leurs privilèges, mais ils ne veulent rien y changer.
Le rapport décrit « un monde où les risques deviennent plus pressants » : 2015 a connu l’année la plus chaude depuis qu’on mesure les températures, « le plus grand nombre de réfugiés depuis la 2e guerre mondiale », des « attaques terroristes au coût humain croissant », « des sécheresses en Californie et des inondations en Asie ». Quant à la « 4e révolution industrielle » que vont vanter les hauts dirigeants des multinationales présents à Davos lors de multiples séminaires, le président du Forum Klaus Schwab redoute qu’elle « ne provoque des millions de licenciements qui menacent l’existence de la classe moyenne, base de nos démocraties ».
Ils ont peur, mais ils ne voient rien venir. […]
Prendre conscience des risques et agir efficacement pour les réduire sont deux choses totalement différentes. Agir signifierait renoncer à une partie de ses privilèges. L’exemple de l’instabilité financière en est la meilleure preuve.
Car malgré le séisme de 2008, le monde est entré en 2015 dans une nouvelle période d’instabilité financière majeure que les décideurs n’ont ni prévenue (aucune restriction du pouvoir de nuisance de la finance n’a été décidée depuis 2008), ni prévue (le risque de crise financière mondiale n’est même pas évoqué dans le Rapport sur les risques globaux 2016). Pourtant, depuis plusieurs mois Robert Schiller [2], prix Nobel d’économie 2013 et spécialiste des bulles financières, anticipait un proche effondrement boursier, tout comme plusieurs économistes de banques. Mais comme à chaque fois, les décideurs – et avec eux les commentateurs – préfèrent fermer les yeux tant que persiste l’euphorie de la bulle et que l’argent semble facile.
Ils n’anticipent pas non plus l’entrée de la Chine en récession et sa contagion mondiale. Pourtant, démentant formellement les 6,9 % de croissance du PIB affichés par le régime chinois, les chiffres beaucoup plus fiables de la production d’électricité ont chuté en 2015, pour la première fois depuis 1968 et la Révolution culturelle [3]. Pour conjurer la crise de 2008, les autorités chinoises ont laissé flamber la bulle immobilière et la dette privée (de 116 % du PIB en 2007 à 230 % en 2014 selon Mc Kinsey [4]). L’instabilité touche aujourd’hui l’ensemble des pays émergents ainsi que les marchés du pétrole et des matières premières. Mais les pays riches ne sont pas en reste, avec leurs banques centrales qui ont inondé de liquidités les marchés financiers et gonflé la bulle spéculative. Le système est entré dans une crise financière et monétaire majeure qui risque d’être bien pire que celle de 2007-2008, parce qu’elle reflète de plus en plus l’impasse d’un système productif tourné vers l’accumulation du capital sans limites, au détriment de tout, humains comme nature.
Notes
[1] http://reports.weforum.org/global-risks-2016/ [2] http://www.capital.fr/bourse/actualites/risque-eleve-de-krach-a-wall-street-selon-le-nobel-specialiste-des-actions-1069824 [3] http://www.capital.fr/bourse/actualites/la-production-d-electricite-et-d-acier-recule-en-chine-1097529 [4] http://www.mckinsey.com/insights/economic_studies/debt_and_not_much_deleveragingSource de la photo : GovernmentZA, licence Creative Commons By-Nd 2.0.