Éléments de décryptage sur les récentes décisions européennes
L’année 2015 a été particulièrement marquée par une série de naufrages ayant entraîné la mort de plus de mille personnes les 12, 19 et 20 avril au large des côtes siciliennes. Suite à ces événements, qui ont entraîné une prise de conscience de la part des opinions publiques européennes quant aux dangers et à l’injustice des parcours migratoires, l’Union européenne (UE) a pris plusieurs décisions, principalement dictées par ses États membres, le Parlement européen étant réduit à un rôle consultatif. D’avril à décembre 2015, une série de réunions du Conseil justice et affaires intérieures (où siègent les ministres de l’intérieur) et de sommets européens (qui rassemblent les chefs d’État et de gouvernement) a conduit à l’adoption à la fois de mesures sécuritaires et de décisions pour accueillir et répartir dans les États membres de l’UE les personnes qui ont besoin d’une protection internationale.
Quatre grands axes se dégagent de ces décisions :
- Le renforcement et la militarisation du contrôle des frontières extérieures, par exemple à travers l’augmentation des moyens dévolus à l’agence Frontex et la mise en place d’opérations comme EUNAVFOR Med et la lutte contre les passeurs sur qui l’UE rejette systématiquement la responsabilité ;
- La mise en place de mécanismes provisoires pour répartir dans les États membres les personnes ayant un besoin « manifeste de protection internationale » arrivées en Italie et en Grèce. Et instaurer un partage des responsabilités entre les États membres, en dérogation des règles de Dublin ;
- La « coopération avec les pays d’origine et de transit » et l’attribution d’aides financières aux pays voisins de la Syrie, comme la Turquie, pour aider les pays à accueillir des réfugiés mais aussi surtout pour maintenir les personnes loin de l’UE ;
- Le renforcement des mesures pour expulser les personnes dont les États membres ne veulent pas, celles dont ils considèrent qu’elles n’ont pas le droit à une protection internationale.
Si toutes ces réunions et décisions témoignent, de la part de l’UE et de ses Etats membres, d’une volonté d’agir face à la situation, elles soulèvent beaucoup de questions :
– Si pendant l’été 2015 une partie des discussions a porté sur la mise en place de mécanismes de répartition plus juste entre Etats membres pour l’accueil des personnes arrivant aux frontières de l’UE, ou sur la réinstallation, le ton s’est nettement durci par la suite. Les priorités en matière de renforcement des contrôles aux frontières extérieures, d’ « endiguement des flux migratoires » et d’expulsion, ont rapidement repris le dessus, comme en témoignent les derniers sommets européens et réunions du conseil justice et affaires intérieures en octobre, novembre et décembre 2015.
– Les mesures proposées sont faites pour répondre à une situation d’urgence et toute réflexion et tout bilan sur les politiques menées jusqu’à présent par l’UE sont absents de ces discussions. Pourtant, les dispositifs sécuritaires et de fermeture des frontières mis en place depuis des années par l’UE sont à questionner. Ils sont une des causes des drames qui se jouent aux frontières de l’UE. Les règles européennes en matière d’asile, comme le règlement Dublin, font peser la responsabilité de l’accueil sur les pays situés aux frontières extérieures se trouvent aussi remises en question par la situation actuelle. Les États membres se retrouvent obligés de mettre en place, au forceps en raison des tensions entre États membres, des mécanismes temporaires de répartition pour essayer d’introduire un peu de solidarité entre eux.
– Dans le cadre du mécanisme temporaire de relocalisation, le critère utilisé pour cibler les personnes ayant manifestement besoin d’une protection internationale est basé sur la moyenne européenne des taux d’accord par nationalité en première instance. C’est à dire qu’un demandeur n’est considéré comme ayant manifestement besoin d’une protection que s’il est ressortissant d’un pays pour lequel le taux d’accord d’une protection internationale est égal ou supérieur à 75 %. Malheureusement, cela a tendance à introduire un tri basé sur la nationalité et non pas sur les situations individuelles. Il devient plus difficile aux personnes ne relevant pas de ces nationalités prioritaires d’avoir accès au système d’asile. En outre, le mécanisme de relocalisation ne fonctionne pas très bien jusqu’à présent. Au 4 janvier 2016, seulement 272 personnes ont été relocalisées sur un engagement de160 000 places.
– Le système des hotspots est également défaillant pour l’instant. Très peu sont véritablement entrés en fonction. Par exemple, un seul fonctionne en Italie, à Lampedusa, sur les 6 ports identifiés devant devenir des hotspots. Leur statut juridique n’est toujours pas clair, tout comme les règles s’appliquant dans ce lieu. Aucune garantie n’est mise en place pour protéger les droits des personnes migrantes. Derrière leur rôle affiché devant permettre la relocalisation, ils servent aussi de lieu de contrôle et de tri pour ensuite mieux expulser les personnes considérées comme des « migrants économiques ».
– L’objectif de coopération avec les pays non-membres de l’UE est louable en soi, à condition qu’il ne vise pas à empêcher les personnes de quitter leur pays, à les maintenir loin du territoire européen. Or c’est ce qui est poursuivi par l’UE et ses États membres.
Les discussions au sein de l’UE sur les questions migratoires mettent aussi surtout à jour les tensions et l’absence de solidarité entre les États membres, comme en témoignent l’impossible coopération avec la Hongrie et les réactions de pays comme la Slovaquie et la République tchèque qui refusent de faire preuve de solidarité en rejetant le plan de relocalisation. La Hongrie est même allée jusqu’à construire des murs à ses frontières avec la Serbie et la Croatie, suivie ensuite par l’Autriche à sa frontière slovène.
Glossaire :
Relocalisation : cela concerne des personnes ayant un « besoin manifeste de protection internationale » qui arrivent dans les pays situés en « première ligne » aux frontières de l’UE, comme la Grèce et l’Italie. Selon différents critères, ils pourront être envoyés dans d’autres États membres pour y demander l’asile.
Réinstallation : cela concerne des personnes qui ne sont pas arrivées sur le territoire de l’UE, mais qui sont identifiées par le HCR comme réfugiés et comme personnes vulnérables. Elles peuvent prétendre au statut de réfugié selon la Convention de Genève et être réinstallées dans un État membre de l’UE.
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