Par John L. Allen Jr.
Étant donné le cancer qu’ont été pour l’Église catholique les scandales d’abus sexuels commis par des prêtres, on pourrait imaginer que le Vatican veuille fournir aux nouveaux évêques une présentation de l’état de l’art sur les meilleures pratiques en termes de prévention de tels désastres dans l’avenir.
Le Vatican a dirigé une telle formation depuis 2001 pour les évêques nouvellement nommés à travers le monde, et près de 30 pour cent des prélats catholiques dans le monde l’ont aujourd’hui suivie.
Il est donc plus qu’un peu surprenant de découvrir que, au moins l’année dernière, la Commission pontificale pour la protection des mineurs, organisme créé par François pour identifier les «meilleures pratiques» dans la lutte contre la maltraitance des enfants, n’a pas été impliquée dans la formation.
Pourquoi créer une commission chargée de promouvoir les meilleures pratiques, et charger de la question des abus le cardinal de Boston, Sean P. O’Malley, l’un des dirigeants les plus crédibles de l’Église, et ne pas lui confier la formation des nouveaux dirigeants qui devront mettre en œuvre ces pratiques?
Lundi dernier, le plus haut responsable à la Congrégation pour les évêques, le cardinal canadien Marc Ouellet, a exposé les grandes lignes des documents présentés lors des cours le plus récents, en disant qu’il voulait inviter à faire « des suggestions pour améliorer l’expérience. »
Traditionnellement, les évêques ont trois tâches principales : sanctifier, enseigner et gouverner. Les nouveaux évêques ont besoin d’entendre quelque chose sur chacune, mais sur la gouvernance, une place prééminente devrait aller clairement à la lutte contre les abus sexuels des enfants. Ouellet l’a reconnu, énumérant « la prévention des abus » parmi les principaux défis.
Dans ce contexte, il est utile de revoir ce qui a été ou n’a pas été dit aux nouveaux évêques.
La présentation a été confiée à un français, Mgr Tony Anatrella, consulteur du Conseil pontifical pour la famille et du Conseil pontifical pour la Pastorale de la Santé, qui est basé au Collège des Bernardins à Paris. C’est un psychothérapeute controversé pour ses vues sur l’homosexualité et la “théorie du genre.”
Tony Anatrella (source wikipedia)
Malgré la longueur de sa présentation sur l’analyse thérapeutique, Anatrella a fait un travail crédible en bûchant les composantes du Code de Droit Canon régissant les membres du clergé accusés de crime sexuel avec un mineur.
À d’autres égards, cependant, sa présentation a semblé sérieusement défaillante. Par exemple, Anatrella a fait valoir que les évêques ne sont pas tenus de signaler les allégations à la police, disant que cela relève des victimes et de leurs familles. C’est là une vision légaliste sur une question cruciale, qui n’a apporté que des problèmes à l’Église et à ses dirigeants. Pourquoi, se demande-t-on, a-t-il participé à une session de formation?
Fondamentalement, les procédures canoniques sont là pour régler les comptes quand l’abus est invoqué. On peut supposer que l’objectif doit être d’empêcher ces crimes de se produire, et à cet égard il est frappant de constater qu’Anatrella n’a consacré que peu de paragraphes à la prévention des abus, en utilisant un langage abstrait, sans exemples concrets.
C’est inexplicable, étant donné les ressources que l’Église a investies dans des programmes de prévention. Aux États-Unis, les évêques ont estimé en 2013 qu’ils avaient dépensé 260 millions de dollars depuis 2002. Un nouveau livre intitulé “The Whole Truth” (« Toute la vérité ») de l’avocat Joe Klest de Chicago, un agnostique qui a poursuivi l’Église pour des millions en faveur des victimes d’abus, loue ces efforts.
« Nous devons nous concentrer sur la protection de nos enfants, la prévention des abus et une intervention rapide lorsque des abus se produisent », écrit Klest, parlant de l’ensemble de la société. « Le fait est que l’institution qui a fait le plus pour créer un modèle de réforme pour y parvenir est l’Église catholique. »
Pour la perspective d’avenir, j’ai pris contact avec Mgr Stephen Rossetti, qui fait partie du conseil d’administration du Centre de protection des enfants de l’Université Grégorienne, basée à Rome, pour lui demander « De quoi les nouveaux évêques devraient-ils être informés à propos des abus sexuels ?”
Voici sa réponse sur ce que les évêques ont besoin de savoir:
- « Comment s’y prendre avec les victimes, car ce n’est pas intuitivement évident. »
- “Ils doivent connaître le matériel canonique.”
- “Ce que sont les drapeaux rouges [pour abus]… Il est important d’être concret, de donner des scénarios et de parler de ce à quoi ressemble une réponse efficace.”
- “Comment traiter les prêtres accusés… y compris le risque de récidive, ainsi que la façon de montrer de la charité sans donner la possibilité de comportements abusifs. »
- Des moyens de prévention des abus : « Nous ne partons pas de zéro. Il existe des programmes efficaces actuellement disponibles. »
A en juger par les documents publiés, seul le deuxième point figurait en bonne place dans le programme des « bébés évêques » de l’an dernier.
Les omissions soulèvent une question évidente : pourquoi la Commission pontificale pour la protection des mineurs, l’organisme dirigé par O’Malley, n’a-t-il pas été chargé de faire une telle présentation aux nouveaux évêques?
Cette commission a pris un coup samedi, quand l’un des deux membres qui sont aussi des survivants des abus, Peter Saunders, a été congédié au milieu de ses plaintes amères au sujet de la réponse du pape à plusieurs controverses récentes [1]. Pourtant, sa raison d’être demeure l’identification des meilleures pratiques en matière de prévention, la détection et la réponse; ses fonctionnaires ont fait des présentations à des conférences épiscopales du monde entier pour partager cette expérience.
Le prochain cours pour les nouveaux évêques se tiendra début septembre. En parallèle, la Congrégation pour l’Evangélisation des Peuples, responsable pour les évêques des territoires de mission, détient son propre programme. Il est difficile d’imaginer pourquoi la commission ne serait pas invitée cette fois.
Si l’Église veut se remettre des scandales des abus, les évêques ont besoin tous les outils disponibles, et ces cours offrent une chance pour les en équiper. Ce serait une honte, pour ne pas dire plus, de ne pas en profiter pleinement.
Complément sur Tony Anatrella
(extrait de l’article du Huffington post : http://www.huffingtonpost.fr/2016/02/11/eglise-catholique-eveques-abus-sexuels-autorites-religion_n_9210112.html)
Tony Anatrella, prêtre et psychothérapeute du diocèse de Paris est l’auteur de Mariages en tous genres, chronique d’une régression culturelle annoncée. Ses propos sur l’homosexualité ont plusieurs fois été remarqués. En 2005, il affirmait que l’homosexualité était “comme un inachèvement et une immaturité foncière de la sexualité humaine”, comme le rapporte Libération [2]. D’après lui, les prêtres gays “sont dans la séduction” et “ont de sérieuses difficultés pour se situer institutionnellement dans la coopération avec les autres”.
En 2006, le journal La Croix [3] rapportait que Tony Anatrella, aujourd’hui consulteur auprès du Conseil pontifical pour la famille, avait été accusé par deux jeunes garçons de s’être livré avec eux à des “séances corporelles” et des “rapports sexuels”. Il a toujours démenti ces accusations.
Notes
[1] Allusion à l’affaire Karadima (voir http://nsae.fr/2015/10/12/crise-autour-de-la-nomination-de-leveque-dosorno-au-chili/; http://nsae.fr/2015/10/27/osorno-karadima-nouveaux-commentaire-et-developpements-judiciaires/; http://nsae.fr/2015/11/16/affaire-karadima-developpements-judiciaires-en-cours/ [2] http://www.liberation.fr/planete/2005/11/30/haro-du-vatican-sur-les-pretres-homosexuels_540126 [3] http://www.la-croix.com/Archives/2006-11-22/Mgr-Anatrella-entre-accusation-et-diffamation-_NP_-2006-11-22-277191Traduction par Lucienne Gouguenheim