GUATEMALA – Des femmes mayas demandent justice dans un procès historique
par Louisa Reynolds
Si la condamnation en 2013 de l’ancien dictateur d’Efraín Ríos Montt (1982-1983) pour génocide et crimes contre l’humanité a été annulée peu de temps après pour vice de forme par la Cour constitutionnelle, un nouveau procès est en cours et la justice guatémaltèque se penche aussi sur d’autres cas de violence perpétrés par l’armée sur des civils pendant les années 1980. Article de Louisa Reynolds publié par Noticias Aliadas [1] le 5 février 2016.
Pour la première fois, un tribunal admet comme motif d’accusation l’esclavage sexuel perpétré durant le conflit armé.
Petrona Choc, âgée de 75 ans, n’a pas vacillé quand elle a raconté devant le tribunal comment les soldats l’avaient traînée, elle et ses fils hors de leur maison en 1982, avaient tiré sur son époux, et l’avaient retenue, elle avec d’autres femmes, dans une base militaire proche, où elle a été violée de manière répétée et obligée de faire la cuisine pour ses ravisseurs.
« Un jour les soldats sont arrivés et un de mes fils, Abelino, a dit “les soldats arrivent, nous allons mourir ». J’ai réuni mes enfants et je leur ai dit que nous allions encore une fois fuir dans les montagnes ; nous étions en fuite quand nous avons entendu le crépitement des tirs et c’est alors que mon mari est mort », a-t-elle raconté le 3 février au Tribunal A de risque majeur.
Choc est l’une des 11 femmes maya q’eqchí de la petite localité de Sepur Zarco, dans le département oriental d’Izabal, qui se trouvèrent face à 2 hommes qui leur ordonnèrent de faire la cuisine, le ménage, et les soumirent au viol systématique, il y a de cela trois décennies : l’ex-commandant de la base Esteelmer Reyes Girón et l’ex-commissionné militaire régional Heriberto Valdey Asij.
C’est la première fois au monde que le délit d’esclavage sexuel survenu lors d’un conflit armé est jugé dans le pays même où il a été commis.
Les victimes se présentèrent à l’audience la tête couverte d’un châle pour éviter d’être reconnues et ne l’enlevèrent que lorsque ce fut leur tour de témoigner, car être victimes de viol conduit souvent, dans les communautés rurales, à des rejets et des mises à l’écart. De nombreux membres d’organisations de femmes et de droits humains qui assistaient au procès avaient aussi la tête couverte, en signe de solidarité.
« Ils nous ont violées, grande fut la souffrance qu’ils nous ont infligée, et ils me disaient qu’il n’y avait plus personne pour s’interroger sur mon sort », a dit Choc. Son témoignage est si déchirant que plusieurs fois l’interprète paraît visiblement ému et au bord des larmes.
Reyes Girón et Valdez Asij sont accusés d’avoir ordonné et permis le viol, l’esclavage, la disparition forcée et l’assassinat de non-combattants, des crimes contre l’humanité qui ne sont pas concernés par la loi d’amnistie de 1996.
Le viol comme arme
Les victimes furent séquestrées et réduites en esclavage en 1982, pendant la dictature d’Efraín Ríos Montt (1982-1983), qui fut condamné pour génocide et crimes contre l’humanité en 2013 et affronte actuellement un nouveau procès après que le verdict a été annulé pour vice de forme. Bien que bref, le régime de fait de Ríos Montt fut l’une des étapes les plus violentes du conflit armé guatémaltèque, car l’armée intensifia ses attaques contre les communautés indiennes qui, considérait-elle, protégeaient les guérilléros.
Selon la Commission pour l’éclaircissement historique (CEH), jusqu’à 1979 le viol était utilisé par l’armée uniquement contre les femmes appartenant à des organisations guérilléras. Cependant, durant les années 1980, il fut utilisé de manière systématique comme partie intégrante des attaques de l’armée de terre contre les populations civiles indiennes. La CEH a recensé 1465 cas de viol commis durant les 36 ans de conflit armé. 80% des victimes étaient indiennes.
Pendant l’audience d’ouverture, le 1er février, la procureur Hilda Pineda a déclaré que la violence sexuelle était utilisée comme « arme de guerre » contre la population civile. Trois hommes mayas q’echi ont déclaré que les militaires séparaient les hommes des femmes pour que les femmes puissent être violées en groupe par la troupe. Ils ont déclaré aussi être restés sans foyer après que les soldats les ont obligés à démanteler leurs cabanes et à en emporter bois et plaques d’aluminium à la base militaire où ils furent utilisés comme matériaux de construction. Les trois témoins ont désigné Valdez Asij et déclaré qu’il était présent sur le lieu où furent commis ces crimes.
Le procès pour le cas Sepur Zarco se déroule dans la même salle où s’est tenu le procès pour génocide contre Ríos Montt en 2013. Comme cela s’est passé dans ce cas, la défense a essayé d’arrêter le processus en présentant une interminable succession d’appels, arguant que la juge Yassmin Barrios n’était pas impartiale vu qu’elle avait déjà prononcé des verdicts dans d’autres procès concernant des violations de droits humains commises durant le conflit armé.
Militaires arrêtés
Deux semaines avant que ne commence le procès pour le cas Sepur Zarco, un autre pas important a été réalisé pour garantir que justice soit rendue pour les victimes de viol durant le conflit armé avec l’arrestation de 18 officiers militaires pour les massacres et disparitions forcées commis pendant les années 1980. 14 des arrêtés sont accusés de disparition forcée et torture en relation avec une fosse commune contenant les restes de 533 corps, d’abord enterrés dans 84 fosses clandestines, qui a été découverte en 2012 dans une ancienne base militaire du département de Cobán. Parmi les détenus se trouve l’ancien chef d’état-major de l’armée de terre, Manuel Benedicto Lucas García, frère du dictateur Fernando Romeo Lucas García (1978-82).
Les procureurs ont aussi demandé de lever l’immunité de législateur d’Edgar Ovalle Maldonado, l’un des officiers militaires en retraite fondateur du Front de convergence nationale (FCN) qui a mené au pouvoir le nouveau président du Guatemala, Jimmy Morales, en 2015, pour qu’il réponde des accusations concernant sa participation supposée dans le cas Cobán. Cependant, le 28 janvier, la Cour suprême a déterminé qu’il n’y avait pas de raison d’inculper Ovalle.
Des experts judiciaires ont déterminé que les victimes de Cobán provenaient de différentes parties du pays, ce qui suggère que le lieu a pu être un centre d’interrogatoire et de détention. De nombreux corps avaient les yeux bandés, pieds et mains attachés, ce qui indiquerait qu’ils ont été exécutés. Quelques corps avaient des blessures par armes ou des os cassés qui s’étaient reconsolidés avant d’être à nouveau cassés, signe qu’ils furent torturés avant d’être exécutés. La procureure générale Thelma Aldana s’est référée au cas de Cobán comme l’« un des cas de disparitions forcées les plus importants d’Amérique latine ».
Les 4 officiers restants sont accusés de la disparition forcée de Marco Antonio Molina Theissen, alors âgé de 14 ans, séquestré par les membres du service de renseignements de l’armée de terre en 1981 en représailles pour l’activisme de sa famille contre la dictature de Lucas García. Parmi les accusés se trouve le colonel en retraite Francisco Gordillo Martínez qui devint ensuite l’un des trois membres de la junte militaire dirigée par Ríos Montt.
Pendant de temps, le nouveau procès contre Ríos Montt, accusé de génocide et de crimes contre l’humanité, connaît un nouveau retard. Le 11 janvier, il a été suspendu par le tribunal pour résoudre des demandes légales en suspens.
Traduction de Sylvette Liens pour Dial.
Note :
[1] http://www.noticiasaliadas.org/articles.asp?art=7264Source : Diffusion de l’information sur l’Amérique latine (Dial) – D 3360. http://www.alterinfos.org/spip.php?article7252
Source de l’illustration : http://www.noticiasaliadas.org/articles.asp?art=7264