Cela ne me dérange pas que mon fils apprenne à écrire “nénufar”, s’il peut le faire dans notre école rurale
Par Rémi Joannès
Alors que la réforme de l’orthographe fait le buzz, la fermeture des classes en milieu rural se poursuit dans le silence médiatique. Rémi Joannès, parent d’élève dans une école maternelle en Côte-d’Or, vient d’apprendre la fermeture probable de la classe de son fils. Il revient pour Basta ! sur son entrevue avec l’inspection académique, son impression de « parler à un mur » face à une inspection « plus intéressée par les chiffres que par l’humain ». Alors que l’État ne cesse de se désengager des territoires ruraux, ce parent d’élève soumet au débat quelques idées de réforme pour éviter que le vide laissé ne fasse le jeu du Front national.
Il y a quelques jours, la réforme de l’orthographe a fait le buzz. C’était assez amusant de voir toutes ces personnes s’indigner, alors même que leurs messages étaient parfois bourrés de fautes, pour des histoires d’« ognons » et de « nénufar ». En 1990, quand l’Académie française a formulé ses recommandations, j’apprenais à écrire. Vous imaginez bien que pour moi, le nénufar est un serpent de mer qui est ressorti tout au long de ma scolarité.
Sauf que c’est à ce moment que j’ai appris la probable fermeture d’une classe dans la maternelle où mon fils se rend avec joie tous les matins. Il vient d’avoir trois ans, et est en toute petite section dans une école maternelle rurale sur la commune de Senailly, en Côte-d’Or, qui compte deux classes. En tant que représentant des parents d’élèves, j’ai été reçu, avec les membres de l’intercommunalité qui gère l’école, à l’inspection académique pour défendre notre dossier. Et à ce moment-là, j’ai réalisé que ça ne me dérangeait pas que mon fils apprenne à écrire « nénufar », du moment qu’il peut le faire dans notre école rurale.
Le rouleau compresseur de l’inspection de l’Éducation nationale
Laissez-moi vous raconter cette entrevue avec les inspecteurs… Nous avions rendez-vous à 10h 00, et sommes arrivés avec un quart d’heure d’avance. Les portes étaient fermées. À travers un volet roulant ajouré, un jeune homme dans le salon d’accueil désert nous a fait signe de passer par l’entrée de service, sur le côté. Là, un vigile nous a fait gentiment patienter notre quart d’heure sous la pluie de février. Oui, les rendez-vous à l’inspection académique sont très conviviaux.
A 10h 00, nous avons été reçus par deux inspecteurs. Ils nous ont laissé 15 minutes pour défendre le maintien des deux classes. Là, nous avons détaillé nos arguments, comment nous avions suivi les recommandations de l’année dernière, que la dynamique était positive, que l’on avait besoin d’un peu de temps, etc. Les inspecteurs ont pris des notes, de façon attentionnée, bien sûr. Puis le rendez-vous s’est terminé.
La réponse est tombée comme un couperet dès le lendemain : fermeture de classe. Comme une petite autre cinquantaine de classes. Et là, je me suis dit qu’une journée de sept heures pour comparer les dossiers de 50 écoles, ça paraissait trop rapide pour être honnête… Au final, j’ai eu l’impression que nous avions parlé à un mur, avec une décision prise d’avance. D’ailleurs, la décision n’est pas motivée. Juste une croix dans un tableau, circulez, il n’y a rien à voir.
Une histoire de chiffre
C’est que dans l’inspection de l’Éducation nationale, on est plus intéressé par les chiffres que par l’humain. D’ailleurs, c’est simple, puisqu’il y a moins d’enfants scolarisés que l’année dernière dans le département, on supprime tant de postes. Il ne reste plus qu’à distribuer les mauvaises nouvelles… Et là, ça tombe bien, parce qu’il n’y a pas de critères. Si vous cherchez « seuil de fermeture de classe » pour votre département dans un moteur de recherche, vous ne trouverez que très probablement de vieux documents. L’opacité est de mise.
En général, les seuils sont fixés de manière départementale. Avec de grandes disparités entre les départements, et en dépit du bon sens. Apparemment, il suffit d’être bon en maths : vous prenez le nombre d’élèves (enfin, pas tous, j’y reviendrai…), et vous divisez par 32. C’est bon ? Vous ne gardez que la partie entière, et vous ajoutez 1. Et voilà.
Dans l’école de mon fils, à la rentrée prochaine, l’inspection a retenu 31 élèves. Pas de chance, 31 divisé par 32, ça fait 0,9. Donc une seule classe. 31 élèves pour un enseignant. Et tant pis si il y a trois niveaux différents en classe unique… M. le ministre de l’Éducation, vous voulez une idée de réforme ? Imposez une progressivité sur les seuils de fermeture de classe en fonction de l’effectif total de l’école. Tiens, vous pourriez aussi homogénéiser ces taux entre les départements, sous prétexte d’égalité des chances, par exemple…
Les tout-petits ? Quels tout-petits ?
Je vous ai dit qu’il y aurait 31 élèves dans l’école de mon fils l’année prochaine. C’est faux, en fait, ils seront 35. Oh, l’inspection académique le sait probablement, puisqu’on s’escrime à le lui faire entendre. C’est qu’il y a eu deux inscriptions tardives, en effet, les effectifs sont communiqués par les directeurs d’école en octobre, autant vous dire que se projeter un an à l’avance pour une entrée en petite section est compliqué pour les parents. Et il y a deux tout-petits. Seulement, ces tout-petits, entre deux et trois ans, ne sont pas pris en compte.
C’est d’autant plus hypocrite que l’année dernière, l’inspection académique a fortement « recommandé » de mettre en place un projet d’accueil pour ces tout-petits, et de faire des aménagements matériels pour leur accueil. Ce qui a été fait, et mon fils en bénéficie tous les jours. Mais pour les effectifs, ils ne sont pas pris en compte. Allez savoir pourquoi…
Pourtant, cette toute-petite section, en milieu rural, c’est indispensable. Si vous êtes citadin, vous avez peut-être des crèches, des haltes-garderies, des parcs, et toutes ces choses qui permettent aux enfants de se sociabiliser, et d’apprendre à vivre en société. En milieu rural, rien de tout ça. Voilà une autre idée de réforme pour le ministère : prendre en compte les effectifs de tout-petits (pour moitié à minima, les tout-petits n’étant pas forcément présents toute l’année ni toute la journée) lorsque l’accueil est adapté.
L’État se désengage des territoires ruraux
Tout ça me laisse un goût amer. L’impression que j’ai, aujourd’hui, c’est que l’État se désengage des territoires ruraux. Tous les services publics disparaissent, même l’éducation, qui est pourtant la plus importante. Bien sûr, à leur échelle, les maires font tout pour éviter ça. Mais un maire rural, ça a peu de pouvoir. Et puis, pour les mairies, soutenir une école, ça demande du temps. C’est quelque chose qui se fait sur plusieurs années (nos mairies tentent par exemple de développer l’offre locative pour les familles), quand l’Éducation nationale raisonne de façon comptable à l’année.
Bien sûr, ce n’est pas nouveau. Seulement, avec un président issu du parti socialiste, on pouvait espérer mieux. J’entends encore les élus aux lendemains des élections régionales, parlant du vote FN dans les campagnes : « Nous avons négligé les territoires ruraux ». Oui, c’est vrai. Et malheureusement, j’ai bien l’impression que ça le restera encore quelques années, le temps de faire le vide. Pour nous soutenir, voici un lien vers une pétition pourle maintien de la seconde classe de l’école maternelle de Senailly et vers notre page facebook.
Rémi Joannès, parent d’élève
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Source de l’image : Nitot [CC BY-SA 2.5 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.5)], via Wikimedia Commons