PÉDOPHILIE : pour la tolérance zéro, encore un effort !
par Régine et Guy Ringwald
Notre Église Catholique a bien de la peine à prendre la mesure du problème que constitue la pédophilie de ses représentants, notamment des prêtres, à qui elle confie ses enfants. Et plus encore à prendre « les » mesures qui montreraient une fois pour toutes qu’elle veut en finir.
Plusieurs entrées à notre réflexion.
Au Chili, un évêque nommé à Osorno, Mgr Juan Barros, fait l’objet d’un rejet vigoureux de la part des chrétiens de son diocèse. Il a notoirement couvert pendant des années les méfaits d’un prêtre qui s’est fait une effroyable célébrité en la matière, Fernando Karadima, lequel a finalement été condamné par le Vatican. En mai, le Pape François, sans doute mal informé, en tout cas mal inspiré ce jour-là, fait sur la Place Saint Pierre, une « sortie » rejetant brutalement une demande d’un mot de compassion pour les chrétiens d’Osorno [1]. La vidéo sort en octobre. Forte réaction de religieux chiliens. Mary Collins, membre de la Commission pontificale pour la Protection des Mineurs, se dit immédiatement, dans un tweet, « découragée et affligée».
À la Commission pontificale pour la Protection des Mineurs, que le Pape François a mis en place en décembre 2014, siègent parmi les dix-sept membres, deux anciennes victimes : Mary Collins (irlandaise) et Peter Saunders (britannique) [2]. Le 6 février dernier, la Commission annonce que Peter Saunders a demandé à se tenir temporairement à l’écart des travaux de la commission, le temps de « voir la meilleure manière de soutenir son travail» [3]. Peter Saunders fait savoir qu’il n’a rien demandé, mais qu’il est évincé par un vote de la commission elle-même, ce qu’il n’accepte pas. Il demande à pouvoir en référer au Pape qui l’a nommé. Il exprime de fortes réserves quant à l’attitude de la hiérarchie et à sa volonté de traiter au fond le problème.
Mais pourquoi a-t-il été évincé ? Parce qu’il avait introduit à la Commission une demande d’audience émanant de Juan Carlos Cruz, une des victimes de Karadima, qui fait partie du groupe qui mène les poursuites contre Barros, et qui était porteur de deux lettres à l’intention de la Commission. Celle-ci réagit comme nous venons de voir, au motif qu’elle n’a pas compétence pour traiter de problèmes particuliers (si on suit bien, il faut croire qu’elle s’en tiendra à des généralités).
Ce même Juan Carlos Cruz avait d’ailleurs été pressenti pour faire partie de la Commission pontificale. Mais il y avait eu un tir de barrage des Cardinaux Ezzati (Archevêque de Santiago) et Errazuriz, son prédécesseur, actuellement membre du G9 [4] : la presse publie le 13 février un échange de lettres explicites entre les deux cardinaux, datant de juillet 2014 [5]. Prenant la parole lors d’une conférence de presse de Peter Saunders, Juan Carlos Cruz s’exprime en ces termes : « La Commission est une honte. Ils pensent que le viol et les abus sur les enfants sont quelque chose qui est maintenant derrière nous».
Mary Collins se désolidarise de Peter Saunders, arguant que la Commission travaille avec beaucoup de sérieux, sous la houlette du Cardinal O’Malley. Archevêque de Boston, le Cardinal O’Malley jouit d’un certain crédit : il a pris la charge d’un diocèse qui, avant lui, croulait sous les accusations et les condamnations. Toutefois, Mary Collins n’est pas tout à fait confiante. Si elle n’a pas de doute sur le sérieux et le désir de bien faire de ses collègues de la Commission, elle émet ouvertement, des doutes, sur la suite que la Curie sera disposée à donner aux résultats de ses travaux. « Je n’ai pas la même confiance en ceux dont la tâche est de travailler au sein du Vatican et de mettre en forme nos propositions quand elles auront été approuvées par le Pape » [6].
Cardinal O’Malley
Peter Saunders avait aussi dans le courant de l’année dernière mis en cause le Cardinal Pell, Cardinal Préfet pour le Secrétariat pour l’Économie. Celui-ci est en effet accusé d’avoir couvert des cas d’abus sur mineurs lorsqu’il était Archevêque de Melbourne, puis de Sydney. On lui reproche aussi d’avoir « ignoré » les agissements d’un prêtre, Gerald Ridsdale, condamné pour avoir agressé une cinquantaine de jeunes garçons (dont son propre neveu), entre 1960 et 1980, et qui fut déplacé de paroisse en paroisse, selon la méthode bien connue. Pourtant, le Cardinal avait vécu un temps dans la même maison que Ridsdale. Justement, une audition du Cardinal Pell par la Commission australienne compétente est en cours par vidéoconférence entre l’hôtel Quirinale, à Rome et l’Australie. Une délégation de quinze plaignants a fait le déplacement de Rome, accompagnée de psychologues et de pédopsychiatres. Pour savoir ce qui sortira de cette audition, il nous faudra patienter encore un peu, car les deux premières audiences ont surtout révélé les « défaillances de la mémoire » du Cardinal Pell.
Voilà que vient au jour, tout récemment, la position relatée par l’article de John L. Allen Jr publié par Crux, repris in extenso, en traduction française, dans les colonnes de NSAE le 18 février. [7] Comme on l’a vu dans ce texte, Mgr Tony Anatrella, intervenant devant un groupe de nouveaux évêques en formation, leur explique très clairement qu’un évêque n’est nullement obligé de dénoncer à l’autorité civile les cas de pédophilie dont il a connaissance parmi les prêtres qui relèvent de son autorité. Cela tombe mal : au même moment ou presque, le Pape François, dans l’avion qui le ramène du Mexique, dit en toute clarté qu’un « évêque qui change un prêtre de paroisse quand on détecte qu’il est pédophile est un inconscient, et le mieux qu’il puisse faire, c’est présenter sa démission » [8].
Cardinal Barbarin
Mais où cela se complique encore, c’est que dans les mêmes jours, on apprend l’affaire de pédophilie dans le diocèse de Lyon. Là, comme à Osorno, au Chili, les plaignants sont bien décidés à ne pas lâcher prise [9]. Mais alors, se sont dit quelques mauvais esprits, le Cardinal Barbarin devra-t-il démissionner ? Le Père Lombardi, porte-parole du Vatican, est monté au créneau le 19 février : non, ce n’est pas le cas du Cardinal Babarin que visait le Pape. On respire ! D’ailleurs, la Commission présidée par le Cardinal O’Malley, explique : il y a un vide juridique. Si bien que, si l’évêque a une obligation au nom de l’éthique, il n’en a pas au plan juridique. Il y aurait peut-être quelque chose à faire !
Notes :
[1] Voir :http://nsae.fr/2015/10/12/crise-autour-de-la-nomination-de-leveque-dosorno-au-chili/
http://nsae.fr/2015/10/27/osorno-karadima-nouveaux-commentaire-et-developpements-judiciaires/
http://nsae.fr/2015/11/16/affaire-karadima-developpements-judiciaires-en-cours/
[2] Peter Saunders est responsable de la NAPAC : National Association for People Abused in Childhood [3] Le Monde 06 02 2016 d’après AFP [4] Collège de cardinaux nommé par le Pape François pour préparer la réforme de la Curie. [5] Religion Digital [6] Rapporté par NCR 10 Fev 2016 [7] http://nsae.fr/2016/02/18/abus-sexuels-ce-qui-est-dit-et-ce-qui-nest-pas-dit-aux-nouveaux-eveques-catholiques/ [8] La Croix 19 02 2016 [9] voir leur site « la parole libérée » http://www.veritegroupesaintluc.fr/Sources des illustrations :
- Pufui Pc Pifpef I (Own work) [CC BY-SA 3.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)], via Wikimedia Commons
- MEDEF (_FBU3626) [CC BY-SA 2.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.0)], via Wikimedia Commons