Par Alaa Tartir, directeur des programmes du rĂ©seau politique palestinien « Al-Shabaka » ; chercheur doctorant, Ăcole de sciences Ă©conomiques et politiques de Londres (LSE)
En 2015, la Palestine nâavait pas bonne mine. DâaprĂšs lâanalyse de lâIMEU (Institut pour la comprĂ©hension au Moyen-Orient), prĂšs de 170 Palestiniens ont Ă©tĂ© tuĂ©s et 15 377 ont Ă©tĂ© blessĂ©s par des IsraĂ©liens en 2015 ; IsraĂ«l a dĂ©truit ou dĂ©mantelĂ© 539 foyers palestiniens et dâautres bĂątiments en Cisjordanie occupĂ©e et Ă JĂ©rusalem-Est (avec plus de 11 000 ordres de dĂ©molition en attente pour des bĂątiments palestiniens de la « zone C » de la Cisjordanie occupĂ©e) ; et en dĂ©cembre 2015, 6 800 Palestiniens Ă©taient incarcĂ©rĂ©s par IsraĂ«l et environ 650 000 colons juifs vivaient dans les territoires occupĂ©s.
Est-ce que la Palestine ira mieux en 2016 ? Y a-t-il des raisons dâĂȘtre optimiste et dâespĂ©rer dans le contexte morose des Ă©vĂšnements qui se produisent actuellement ? Je rĂ©ponds oui, en dĂ©pit des difficultĂ©s.
Un rapide coup dâĆil aux analyses dont on dispose indique que lâannĂ©e 2016 sera pire pour les Palestiniens.  Ces analyses prĂ©disent une escalade de la violence, lâeffondrement possible de lâAutoritĂ© Palestinienne (AP) avec des consĂ©quences nĂ©gatives pour le peuple palestinien, un clivage intrapalestinien qui sâaccentue alors que la succession dâAbbas se prĂ©pare, de vives ou mĂȘmes de sanglantes querelles au sein du Fatah, lâenracinement de la division Fatah-Hamas, le maintien de lâoccupation militaire israĂ©lienne et lâĂ©chec persistant des AmĂ©ricains et des EuropĂ©ens Ă mettre un terme Ă lâinjustice et Ă lâoppression.
Pour aggraver encore la situation, les observateurs alertent que 2016 pourrait constituer un « moment propice » Ă lâarrivĂ©e dâISIS en Palestine, en particulier si un « vide sĂ©curitaire » naĂźt de lâeffondrement de lâAP.
Certaines de ces prĂ©dictions sont plausibles, mais dâautres, surtout celles qui viennent de divers services de sĂ©curitĂ© et agences de renseignements locaux ou internationaux, sont de simples hypothĂšses ou des prĂ©dictions sans fondement. AxĂ©es sur la sĂ©curitĂ©, elles sont problĂ©matiques puisquâelles privilĂ©gient les besoins et les phobies sĂ©curitaires dâIsraĂ«l et omettent les droits de lâhomme fondamentaux des Palestiniens, et entretiennent plutĂŽt les tendances et les mutations autoritaristes. Par consĂ©quent, jâai soutenu quâau lieu de considĂ©rer que le « vide sĂ©curitaire » entraĂźnera lâĂ©mergence dâISIS ou sera une condition du chaos, le moment est venu de commencer Ă aborder la vraie question en ce qui concerne le sujet de la sĂ©curité : Comment mettre un terme immĂ©diat Ă lâoccupation militaire israĂ©lienne ?
Mais le problĂšme fondamental avec toutes les principales prĂ©dictions mentionnĂ©es ci-dessus est quâelles ignorent les bonnes nouvelles qui viennent de Palestine. Voici une petite liste de quelques « raisons dâespĂ©rer et dâĂȘtre optimiste » quâon doit surveiller en 2016.
Tout dâabord, et câest le plus important, une gĂ©nĂ©ration nouvelle et diffĂ©rente de Palestiniens est en train dâĂ©merger. Cette gĂ©nĂ©ration porte des idĂ©es, des objectifs et des moyens nouveaux. Pendant quâune partie de cette gĂ©nĂ©ration se rĂ©volte dans les rues de Palestine, une autre partie (mĂȘme si moins visible que la jeunesse qui se rĂ©volte) Ă©labore des stratĂ©gies de lutte et les exploite, aux niveaux local et international.
Cette nouvelle gĂ©nĂ©ration transnationale est aussi en train de former son propre leadership intellectuel, indispensable Ă tout processus de changement positif. En 2016, on pourrait bien assister au renouveau tant attendu de la pensĂ©e politique palestinienne, mĂȘme si cet objectif est ambitieux. Sans aucun doute, un nouveau leadership est en gestation et Ă©mergera de cette gĂ©nĂ©ration capable de sâattaquer aux racines de la souffrance, de la faiblesse et du clivage des Palestiniens. Ce nâest pas un rĂ©sultat inaccessible ni un objectif irrĂ©alisable.
Cette gĂ©nĂ©ration nâest pas seulement exaspĂ©rĂ©e par lâoccupation israĂ©lienne et ses politiques coloniales, mais elle est aussi exaspĂ©rĂ©e par les dirigeants palestiniens illĂ©gitimes et non reprĂ©sentatifs actuels. Ils en ont assez et sont las des Ă©checs permanents, et ils rĂ©flĂ©chissent et agissent pour sâassurer quâils vont vers la rĂ©alisation de leurs droits.
Si cette gĂ©nĂ©ration est « invisible » aux yeux de nombreux observateurs et responsables politiques, il faut de toute urgence changer de lunettes du simple fait quâau cours de ces derniĂšres annĂ©es, un nouveau leadership palestinien a Ă©mergĂ© en IsraĂ«l et au sein de la sociĂ©tĂ© civile palestinienne, par exemple.
LâunitĂ© du leadership palestinien en IsraĂ«l est une autre raison dâĂȘtre optimiste, malgrĂ© les mises en garde. Le « tour de force » pendant les Ă©lections lĂ©gislatives israĂ©liennes de 2015 a transformĂ© la menace de la prĂ©sence palestinienne dans la politique israĂ©lienne en une nouvelle opportunitĂ© politique.
LâĂ©mergence de nouveaux leaders comme Ayman Odeh ne sera pas sans consĂ©quences sur les droits civiques et politiques des Palestiniens et la dynamique globale de la lutte palestinienne, si elle est exploitĂ©e judicieusement.
En effet, les observateurs ont soulignĂ© quâ « au lieu dâessayer dĂ©sespĂ©rĂ©ment de rĂ©tablir lâOrganisation de libĂ©ration de la Palestine (OLP) dans un statut de reprĂ©sentante de tous les Palestiniens⊠les Palestiniens peuvent simplement se tourner vers lâouest et les partis politiques palestiniens en IsraĂ«l dĂ©jĂ reprĂ©sentĂ©s Ă la Knesset ». Câest une initiative qui, malgrĂ© ses limites potentielles, pourrait mener Ă de nouvelles configurations et Ă un ensemble diffĂ©rent dâhypothĂšses sur le « conflit israĂ©lo-palestinien ».
Le « nouveau » leadership de la sociĂ©tĂ© civile palestinienne qui a Ă©mergĂ© au cours des 10 derniĂšres annĂ©es est le troisiĂšme Ă©lĂ©ment des perspectives de justice optimistes et prometteuses en 2016. La sĂ©rie de victoires du mouvement Boycott, DĂ©sinvestissement et Sanctions (BDS) menĂ©es par des Palestiniens en sont le parfait exemple. Le rĂŽle dĂ©terminant de BDS et des victoires quâil a remportĂ©es nâest pas seulement à cause de la direction du mouvement sous forme dâune formation intĂ©grĂ©e ni Ă ses principes et ses objectifs fĂ©dĂ©rateurs et gĂ©nĂ©raux, mais Ă©galement au sentiment dâappropriation de lâun des outils de lutte pour lâautodĂ©termination, aux preuves historiques existantes quant Ă lâefficacitĂ© de tels outils Ă garantir la justice, et aux Ă©volutions et changements dans lâopinion publique mondiale Ă propos du conflit israĂ©lo-palestinien.
Lâampleur que prend le mouvement de solidaritĂ© internationale qui Ćuvre en harmonie avec les prioritĂ©s et les appels de la sociĂ©tĂ© civile palestinienne est un bel exemple de coopĂ©ration mondiale pour la rĂ©alisation des droits universels.
De plus, les Palestiniens ont bien plus dâoutils juridiques pour rĂ©aliser leurs droits quâils nâen ont jamais eus auparavant. Lâadoption dâune approche axĂ©e sur les droits en harmonie avec le droit international, comme partie intĂ©grante dâune nouvelle stratĂ©gie et dâune nouvelle perspective palestiniennes, est la clĂ© de tout programme politique alternatif.
Sâil est vrai que ce programme politique alternatif nâexiste pas intĂ©gralement, il est cependant faux de dire que des voix politiques palestiniennes, nouvelles et critiques, nâexistent pas. Ces voix politiques, rĂ©guliĂšrement marginalisĂ©es (surtout quand elles sont indĂ©pendantes), constituent un Ă©lĂ©ment essentiel des perspectives dâavenir optimistes en raison de leur contribution aux processus de conception et dâĂ©laboration des politiques chez elles, en exil, et dans les instances internationales.
Ces voix politiques font de la crĂ©ativitĂ©, de la rĂ©silience et de la pratique de la rĂ©sistance du peuple palestinien un mode de vie sous occupation et les placent au cĆur de leur pensĂ©e et de leur analyse, une mĂ©thode qui a fait dĂ©faut pendant un certain temps. Ce « choix mĂ©thodologique » a des consĂ©quences directes sur les rĂ©sultats Ă court et long-terme, et sur la lĂ©gitimitĂ© des futurs dirigeants et de leurs choix et dĂ©cisions stratĂ©giques.
La concrĂ©tisation, en 2016, de ces raisons dâespĂ©rer et dâĂȘtre optimiste, ou de certaines dâentre elles, pourrait bien faire de 2016 une annĂ©e diffĂ©rente de ce que les principales prĂ©dictions envisagent. Une question, cependant, reste sans rĂ©ponse : y a-t-il de bonnes nouvelles venant dâIsraĂ«l ?
Source de l’article et de la photo  :
Source originale : Huffington Post
Traduction : E.C pour lâAgence MĂ©dia Palestine