REPENSER DIEU DANS UN MONDE SÉCULARISÉ
Par Francine Trannoy, à partir des notes d’un participant.
SEL 85, (Solidarité, Église, Liberté) de la Fédération des Réseaux des Parvis invitait Jacques Musset, un voisin nantais, sur le thème de son récent livre : REPENSER DIEU DANS UN MONDE SÉCULARISÉ aux éditions Karthala. C’était à La Roche-sur-Yon le samedi 16 janvier 2016. Exposé, partage en petits groupes et mise en commun des remontées ont alterné le matin et l’après-midi. Un pique-nique convivial a permis rencontres et partages.
REPENSER DIEU DANS UN MONDE SÉCULARISÉ. L’enjeu c’est d’ÊTRE CHRÉTIEN dans la modernité et la sécularisation qui caractérisent notre époque. Une réflexion, non pas théorique, mais s’enracinant dans l’expérience la plus personnelle. Pour que ma foi soit crédible, elle doit s’appuyer sur mon expérience humaine. Selon Marcel Légaut, on ne peut pas être chrétien si on ne cultive pas sa propre humanité.
La voie de la raison. Le concordat de Napoléon Ier a gardé un lien, voire une dépendance vis-à-vis de la religion jusqu’en 1905. Avec l’avènement de la philosophie des Lumières, c’était déjà une énorme brèche dans une culture basée sur le religieux. La raison qui était jusque là la servante de l’autorité religieuse revendique son autonomie, avec le droit pour les individus de juger par eux-mêmes. Une véritable révolution copernicienne. Ce courant a gagné les mentalités et l’organisation de nos sociétés en prônant l’exigence de vérification. Descartes écrivait : « jamais ne tenir quelque chose pour vrai que je ne le connaisse comme tel.» L’Église catholique a réagi négativement : condamnations, répressions, proscriptions d’exégètes, d’historiens, de philosophes et même de théologiens. En1971 Hans Kun en publiant « Infaillible ? » a subi les foudres du Vatican [1].
Si DIEU est un héritage périmé pour l’athéisme, il se trouve qu’aujourd’hui la proposition catholique officielle sur Dieu perd de sa crédibilité, y compris chez un grand nombre de chrétiens. On veut expérimenter et vérifier. On ne peut pas croire en faisant fi des exigences de l’intelligence et des découvertes scientifiques. Or un postulat, non démontrable dont on part, comme l’affirmation que Dieu existe et s’est révélé, qu’il est omniscient et tout puissant, n’est plus crédible pour un grand nombre de nos contemporains. Un Dieu que l’on mettait au service de toutes les causes, que l’on sollicitait pour faire la pluie ou le beau temps par les processions des Rogations, à qui l’on fait appel par les prières universelles de la messe pour des choses qui dépendent de nous. De plus comment une hiérarchie, pape, évêques, prêtres, peut elle s’arroger le droit de parler au nom de Dieu ?
D’ailleurs le mot Dieu n’a pas toujours existé, il a émergé quand la quête de sens s’est fait jour, à travers le questionnement des phénomènes naturels, foudre, maladie, infirmité… D’abord « les dieux » des civilisations anciennes, puis sous l’appellation d’un Dieu unique. Quand on n’a pas prise sur le réel, la pente spontanée est de s’en remettre à quelqu’un dont on se concilie les bonnes grâces. L’histoire des religions montre qu’elles se transforment vite en savoir, en enseignement didactique. Le dernier avatar, le catéchisme de l’Église catholique est un empilement de doctrines, un dépôt du passé : comme on est loin du souffle qui émane de la Bible, invitant à la justice et à la fraternité. Car la grande tradition biblique est une invitation à vivre une Bonne Nouvelle!
Peut-on définir Dieu ? Des millions de gens ont été associés à cette aventure de la définition de Dieu. Des dizaines et dizaines de siècles d’une évolution de la conscience du peuple juif sur Dieu ont précédé notre ère : on a des outils pour montrer l’affinement de la conscience juive. Dans l’expérience de l’exil, le peuple juif qui a failli disparaitre a vécu un approfondissement en revenant à l’essentiel. La protestation du livre de Job laisse entendre qu’il n’y a pas réponse. Jésus, profondément juif, a affiné la conscience religieuse juive de ce peuple dont il était membre. Il a fait émerger un visage de Dieu, de celui que dans l’évangile de Jean il nomme son Père.
Les mystiques de tous les temps, de toutes les religions sont l’illustration de cette recherche des multiples visages du divin. Jean de la Croix : « je sais une source qui jaillit et qui fuit, mais c’est de nuit »… Il parle de Dieu, mais avec ses mots à lui. Il y a aussi des mystiques agnostiques ou athées. Ils vivent très intérieurement d’une source inconnue qui les éclaire et les anime dans un souci d’authenticité profonde. Ils demeurent nos contemporains et nous renvoient à notre propre profondeur.
Dieu est-il l’inconnaissable ? Faut-il alors s’en remettre à cette tradition qui pense qu’il est impossible de dire quoi que ce soit sur Dieu ou peut-on rechercher une nouvelle approche qui rende croyable une parole sur Dieu ? Oui, sans doute : en procédant d’abord à une réappropriation de nos propres sources. C’est ce que chaque religion est amenée à faire. Vatican II l’a permis. L’Islam a besoin de faire ce travail de réinterprétation de ses sources. On n’empêche pas les gens de penser. Éviter l’arrêt sur image, car nous sommes en chemin. Je suis l’héritier de toutes ces approches réalisées au fil des siècles. On peut s’attendre à ce que cette réinterprétation soit réprimée par les autorités religieuses en place. Mais cette réinterprétation s’impose. Elle rend heureux. À travers de multiples décapages, c’est un chemin de libération.
Nous sommes des HÉRITIERS et des ÊTRES CRÉATEURS : nous faisons partie d’une histoire, avec ou sans tradition religieuse. Il nous revient de faire de ce qui n’est pas nous, quelque chose de nous.
Jésus et les évangiles. L’évangile de Jean fait dire à Jésus : « il est bon que je m’en aille si je ne pars pas, le souffle qui est vous ne viendra pas sur vous… vous ferez des choses plus grandes que moi. » Jésus a traversé une expérience humaine qui a donné vie à beaucoup de gens. Les apôtres à leur tour ont vécu une expérience qui a permis l’émergence de l’Église.
Qu’en est-il pour nous après 20 siècles de christianisme? Dans la crise du modernisme, le philosophe Maurice Blondel a montré que la voie d’accès à cette réalité qu’on appelle Dieu, ne peut que passer par notre humanité. La fidélité n’est pas répétition, mais recréation dans la société d’aujourd’hui. Nous avons un devoir d’inventaire si nous voulons « repenser Dieu », car le monde n’a pas commencé avec nous. Mais plutôt qu’un catéchisme à déclamer, nous avons à entendre des témoins d’hier et d’aujourd’hui, celles et ceux qui ont compté dans notre propre cheminement par leur manière de vivre. Parler de foi, avant toute adhésion à une confession religieuse, c’est faire crédit à un témoignage qui a un écho en nous et qui nous permet de vivre.
L’athéisme qui nous interroge devrait épurer notre foi. Souvent l’athée a raison de ne pas croire à l’image du Dieu que nous présentons. Quand nous constatons l’impossibilité de transmettre ce qui nous tient à cœur, notre responsabilité est de participer au débat pour faire advenir quelque chose, même au risque de conflits. Par exemple en vue de la juste place des femmes dans une Église catholique qui n’a pas la culture du débat.
Comment approcher aujourd’hui le « mystère de Dieu ? » Une réalité dont nous vivons, mais Dieu nous échappe et c’est heureux. Pourtant, nous ne pouvons pas nous passer de représentations ni de langages tout en expérimentant que langages et représentations ne rejoignent pas cette réalité dans sa totalité. On n’épuisera jamais ce qu’est l’être humain. Même en couple, l’autre est toujours un mystère. Chacun est en marche vers un certain accomplissement.
Une théologie négative conclut à l’impossibilité de définir Dieu. En fait quand on dit Dieu, on dit bien quelque chose.Mais quand nous absolutisons ces représentations, nous tombons dans le dogmatisme. Comme lorsque le doigt désigne la lune et que le regard s’arrête au doigt. L’importance c’est le sens que produisent ces représentations.
Le christianisme s’est implanté très tôt dans la culture grecque qu’il s’est appropriée, puis ce fut l’arrivée des premiers dogmes : mais nous n’avons pas les clés pour savoir ce que représentaient les mots « personne », « nature » qui ont passionné les premiers siècles de la théologie chrétienne. Aujourd’hui pour nombre de chrétiens qui s’interrogent sur l’héritage que nous avons reçu, une autre approche de Dieu est un besoin vital et pas seulement accessoire : quelle est cette réalité mystérieuse que les croyants expérimentent depuis des siècles et qu’on appelle Dieu ? Honorer cette exigence est un défi impossible. « L’impossible nous ne l’atteignons jamais, il nous sert de lanterne. » (René Char)
D’en haut ou d’en bas ?
Puisque la voie surplombante, avec ses postulats sur l’existence de Dieu, n’est plus acceptée, la recherche se fait à partir de la voie ascendante, celle qui part de l’expérience d’humanisation des hommes et des femmes qui ont le souci de penser et vivre juste. Ce qui exige de ne pas tricher avec soi-même, d’être attentif à débusquer les illusions. Quelle que soit son histoire singulière, c’est avant tout une exigence de vivre en vérité et authenticité dans toutes les dimensions de notre existence. Sentiment d’une présence quand on est acteur et témoin.
Si nous sommes honnêtes avec nous-mêmes, il y a cette exigence de lucidité, sur la cohérence du dire et faire, sur ses limites, de vivre vrai dans sa relation à autrui, du respect , du pardon. C’est une exigence de probité intellectuelle que l’on a trop négligée dans le milieu catholique. Laisser venir les questions en évitant les réflexes de peur. Ne pas mettre de limites à ces questionnements ni au chemin à parcourir. Le cheminement d’un être humain est périlleux, ne pas céder non plus à l’activisme qui prend l’apparence de la générosité. Prendre la réalité sans la fuir.
Cette exigence, comme une voix intime, qui s’impose avec insistance, comment la nommer ? Provient-elle d’une source commune à tout homme ? Dans l’expérience de cette exigence accueillie et mise en pratique on atteint l’humain de l’humain, avec la conscience d’être parfois aux limites de ce que l’on peut attendre : Pascal écrivait : « l’homme passe infiniment l’homme. »
En appui sur ce fond commun d’humanité, dans ce sentiment du plus insondable au plus profond de l’être humain, avec Marcel Légaut, chercher trace d’une action au plus profond de soi. Répondre pour chacun à l’exigence intérieure qui le sollicite. Lorsqu’on dit, c’est la vérité, il n’y en a pas d’autres, c’est le totalitarisme. Définir le sens que l’on met sous les mots pour un message qui a toujours besoin d’être réactualisé. Aucune représentation ne peut être absolutisée, mais la durée est un critère qui nous dit si nous sommes sur le bon chemin.
Que l’on soit croyant ou non, nous vivons la même expérience d’humanisation. La ligne de partage n’est pas entre chrétiens, juifs, musulmans, agnostiques ou athées, mais dans la manière dont chacun s’humanise, quelles que soient les références spirituelles auxquelles il se ressource. D’où l’importance d’un dialogue pour un réajustement perpétuel. Jean Sullivan : « on ne voit pas la lumière, mais les visages qu’elle éclaire ». Rien ne nous interdit de balbutier notre expérience de Dieu à travers cette humanisation : vivre vrai et penser juste. Avec Dieu, nous sommes coauteurs. C’est une expérience de co-création quand nous sommes témoins de quelqu’un dont la qualité de vie fait écho en nous. Il est important de le dire, de dire aux gens qu’ils nous font du bien.
Avec Jésus de Nazareth. Cette approche est elle dans la ligne de Jésus de Nazareth? Jésus avait des représentations de son Dieu qui étaient celles de la religion de son temps. L’engagement de toute sa vie a été contre les forces de l’égoïsme, du rejet de l’autre. Notre fidélité à Dieu s’inscrit dans celle de Jésus. Elle se vit aujourd’hui dans la manière que nous avons d’accueillir l’étranger, celui qui est sans toit… Car cette réalité qu’on appelle Dieu est au cœur de chaque humain et donne sens à notre vie.
La foi : quand on a décapé, qu’est-ce qui reste ? demande quelqu’un. Réponse. Nous ne sommes pas des morts en sursis. Il nous reste l’Évangile. Jésus de Nazareth,reconnu dans nos frères et sœurs, nous fait grandir en humanité et nous ouvre au divin.
Source : http://sel85.monsite-orange.fr/page-5675aa03701fe.html
[1] On peut lire : http://nsae.fr/2016/03/09/infaillibilite-hans-kung-en-appelle-au-pape-francois/